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Des traités de type constitutionnel et quasiment irréversibles 183

7   Secret et irréversibilité

7.2   Des traités de type constitutionnel et quasiment irréversibles 183

Les traités de libre-échange actuellement en négociation définissent des règles supérieures en droit aux normes nationales des signataires, y compris généralement aux Constitutions. Les 66 pays signataires de la Convention de Vienne sur le droit des traités en 1969 se sont en effet accordés pour reconnaître que les traités priment sur le droit national, y compris leur Constitution. Au sein de l'Union européenne, seules la France et la Roumanie n'ont pas ratifié ce traité ; Australie, Canada, Japon, Nouvelle-Zélande et Suisse l'ont ratifié, mais pas les États-Unis. La France se considère néanmoins liée par les nombreuses dispositions qui se bornent à une simple codification du droit des

traités.

Dans son argumentaire 153, la Commission européenne affirme que « le partenariat transatlantique ne prévaudra pas et il n’abrogera ni ne modifiera automatiquement la législation et la réglementation de l’Union » et que ce traité ne primera pas sur les normes de l’Union. L’UE ou les États-Unis pourraient donc, si l’on suit cet argument, édicter une loi contraire au traité et donc ne pas le respecter ? Ce serait la négation du traité, qui ne serait donc plus qu’une déclaration d’intentions. Cet argument est manifestement de la poudre aux yeux.

L’article 54 de la Constitution française dispose que si un traité comporte une clause jugée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, l’autorisation de le ratifier ou de l’approuver ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution. L'article 55 de la Constitution dispose quant à lui que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. » C'est la condition de réciprocité.

Les règles des traités de libre-échange touchent en outre à la plupart des domaines politiques – économique, social, environnemental – qui n’entretiennent que de vagues liens avec le commerce. Pour tous ces domaines, ils ne font pas seulement état de décisions techniques – par exemple importer tant de tonnes de tel produit sans droits de douane, mais définissent des règles générales – par exemple la suprématie du droit de faire des affaires et du profit sur le droit du travail ou de l'environnement – et des méthodes pour élaborer des règles et les décider – par exemple le Forum de coopération réglementaire ou les groupes d'arbitrage privés. Ces traités se plaçant en outre au-dessus des lois nationales et généralement au-dessus des Constitutions, ce sont donc des traités de type constitutionnel.

Par ailleurs, la souveraineté du peuple, des citoyens, implique entre autres la réversibilité des décisions : si une majorité de citoyens promulguent aujourd’hui une règle, une nouvelle majorité de citoyens doit pouvoir annuler ou modifier demain cette même règle. Dans le cas des traités de libre- échange multilatéraux comme ceux que nous avons étudiés, faisons l'hypothèse d'un fonctionnement totalement démocratique des institutions nationales et europuniennes : si l’on considère les citoyens d’un État signataire particulier, ils ne pourraient seuls modifier un traité, puisqu’il faudrait l’accord des autres partenaires ; si l’on considère les citoyens de l’ensemble des pays signataires du traité, une majorité simple des citoyens ne suffirait pas puisqu’il faudrait la majorité dans chacun des pays signataires, ce qui, vue l’hétérogénéité des espaces politiques, correspondrait automatiquement à une majorité très largement supérieure à 50 %, peut-être de 70 ou 80 %. Ceci, si chacun des États signataires était réellement démocratique : or, comme nous l’avons vu en France et aux Pays-Bas en 2005, une majorité de votants ne suffit pas pour décider dans nombre de pays… Le traité ne pouvant être amendé qu'avec le consentement unanime des signataires, il s'imposerait donc indépendamment des alternances politiques.

On pourrait aussi vouloir dénoncer le traité. Les aspects d'un traité qui sont de la compétence de l'UE ne peuvent être dénoncés que par l'UE, c'est-à-dire à la majorité qualifiée des États membres (cf. § 2.9). La seule possibilité pour un État membre de l'UE serait de dénoncer les aspects d'un traité qui sont de sa compétence propre, si le traité a été reconnu mixte. Cela créerait sans aucun doute un imbroglio politique et juridique qui demanderait pour en sortir une très forte volonté politique et donc un soutien populaire massif.

Le principe de réversibilité des lois implique en outre qu’une loi doit avoir un champ unique ou réduit et ne pas lier entre elles des décisions indépendantes, afin qu’on ne soit pas obligé d’annuler des décisions indépendantes quand on ne veut n’en annuler qu’une seule. Or les traités de libre-échange lient entre eux les sujets les plus divers, des services publics à l’environnement en passant par le droit

du travail et la vente de soutiens-gorge a. Par exemple, si une majorité de Français décidaient que les normes sociales étaient supérieures en droit au droit du commerce, la France pourrait dénoncer le traité euro-étasunien, mais cela nous obligerait par là même à voir nos exportations soumises à des droits de douane prohibitifs, et à annuler toutes les autres dispositions du traité sur des sujets qui n'ont rien à voir avec les normes sociales, voire même à extraire les Français des échanges internationaux. La dénonciation d'un seul aspect d'un traité n’est donc guère possible.

Sous cette forme, les traités de libre-échange, au contraire de la plupart des traités internationaux traditionnels, sont donc quasiment irréversibles : les citoyens dont ils règlent la vie n’ont pas le pouvoir démocratique de les modifier ou de les annuler.

Ce caractère quasi constitutionnel et irréversible des accords ou traités de libre-échange nous fait préférer le terme de « traité » au terme d' « accord ». En effet, même si formellement en droit international « accord » et « traité » sont synonymes, le terme d' « accord » dans son sens général signifie plutôt entente entre personnes résultant de leur conformité de sentiments ou arrangement formalisé entre personnes ou entités. Utiliser le terme d' « accord » tend donc à minimiser l'importance des traités de libre-échange, à les faire passer pour de simples arrangements.

Pour mémoire, dans l’article 28 de la Déclaration des droits de l’homme de la République française de 1793 466, les fondateurs de la République avaient eu la sagesse et la modestie d’inscrire une disposition : « Un peuple a le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Une disposition attaquée frontalement par les traités de libre-échange.

                                                                                                               

a Dans l'annexe 5-A (page 680) du traité euro-canadien : le Canada pourra exporter vers l'UE 297 000 kg de

soutiens-gorge, jarretières et articles similaires. En sens inverse l'UE ne pourra en exporter vers le Canada que 26 000 kg (page 688).

8 Ne  pas  confondre  marketing  politique  et