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7   Secret et irréversibilité

7.1   Négociations secrètes, mais grandes ouvertes aux multinationales 167

7.1.7   Secret systématique 181

L'opacité des négociations est la règle pour tous les traités de libre-échange, outre les traités euro- étasunien et euro-canadien et l'Accord sur le commerce des services que nous venons d'évoquer : - La Commission européenne n'a rendu spontanément public aucun des mandats de négociation

qui lui ont été accordés par les États membres. Seuls les mandats pour le traité euro-étasunien et pour l’Accord sur le commerce des services ont été rendus publics, mais bien après qu'il ait fuité pour le premier et deux ans après le début des négociations pour le second.

- À propos du traité UE - Afrique de l'Ouest, le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) note qu' « on n’a pas besoin de se cacher pour

parapher des accords qui ont des conséquences supposées positives pour les populations » 471. Là aussi, le mandat de négociation donné par les gouvernements europuniens à la Commission européenne est toujours secret, pour chacun des trois traités euro-africains. Une version anglaise de février 2014 du projet de traité UE - Afrique de l'Ouest a été publiée 215, puis la version définitive a été finalement publiée notamment en français par la Commission européenne en septembre 2014 sous la forme de dix-neuf fichiers puis de quatre fichiers en décembre 151.

Le secret s'accompagne de la publication de brochures de propagande comme celle publiée par la Commission européenne pour justifier les traités euro-africains 231, collection de contre-vérités et de mensonges éhontés comme le montre l'agroéconomiste Jacques Berthelot 68.

- Le degré de secret autour du traité de partenariat transpacifique a été sans précédent. Au cours de sa négociation, le projet d'accord n'a fait l'objet d'aucun débat public aux États-Unis, ni dans la presse ni parmi les décideurs politiques. En revanche, six cent conseillers d’entreprises étasuniennes ont contribué à son élaboration. Tout au long des discussions, la majorité du Congrès a été tenue dans le flou, tandis que les représentants des entreprises étasuniennes étaient consultés et au courant de chaque détail 125. En 2013, WikiLeaks a divulgué le chapitre sur les droits de propriété intellectuelle 564 et celui sur l'environnement 565, puis en 2014 une seconde version du chapitre sur les droits de propriété intellectuelle 567, ainsi que quelques autres éléments. Les documents de travail ne peuvent être rendus publics dans un délai de quatre ans après l'entrée en vigueur du traité, et si le traité n'est pas ratifié, un délai de cinq ans après la fin des négociations 350.

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Une fois paraphé, il a fallu un mois pour que le texte du traité soit enfin publié (le 5 novembre 2015), et encore sans les annexes, uniquement en anglais et sous la forme de 31 fichiers distincts. La version finale a été publiée le 26 janvier 2016 en anglais et le 2 février en français et espagnol, toujours sous la forme de 31 fichiers pour le corps du traité qui fait 622 pages et de 50 fichiers pour les annexes qui font 1 087 pages 513.

- La Commission européenne rend publics les traités quand les négociations en sont terminées, jamais les versions de travail.

On voit donc que les textes des traités sont publiés le plus tard possible, souvent sous la forme de multiples fichiers, ce qui rend leur analyse plus difficile ; les négociations se passant en anglais, la publication dans les différentes langues des différentes parties ne se fait qu'au moment de la signature, rendant à nouveau leur analyse et leur simple compréhension beaucoup plus difficiles. Par exemple, le traité entre l'UE et Singapour paraphé le 17 octobre 2014 – mais non encore signé près de deux ans plus tard – n'est disponible sur le site de la Commission qu'en version anglaise et sous la forme de 55 fichiers différents, aucune version consolidé n'étant fournie 230. Les traités sont en outre très longs, avec des annexes tout aussi importantes que le corps du texte, dans une langue très spécialisée, avec de multiples renvois croisés à des articles, à des annexes ou à d'autres traités internationaux. Tout ceci en rend l'analyse extrêmement difficile, pour les citoyens et leurs organisations comme pour les élus et les journalistes.

Les négociations des traités de libre-échange sont donc opaques, se déroulent derrière des portes closes, les mandats donnés par nos gouvernements ne sont pas diffusés et encore moins disponibles dans les langues nationales, les médias n'ouvrent aucun débat et ne donnent pratiquement aucune information à temps – c'est-à-dire suffisamment tôt pour informer les citoyens avant la fin des négociations, les responsables politiques des partis de gouvernement sont muets ou nous racontent de belles histoires. Ceux qui décident – essentiellement les représentants du monde des affaires et de la finance, secondairement des responsables politiques néolibéraux – ne rendent de comptes à personne (hormis aux actionnaires des multinationales).

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Face à ce secret, une enquête pourrait être ouverte par le Médiateur européen contre la Commission,                                                                                                                

a TPP : Trans-Pacific Partnership ou Accord de partenariat transpacifique ; source :

www.choice.com.au/reviews-and-tests/money/shopping-and-legal/legal/trans-pacific-partnership-secretly- trading-away-rights.aspx

pour avoir refusé l'accès à certains documents du traité euro-étasunien à cinq ONG : ClientEarth, la Fédération européenne des journalistes, les Amis de la Terre Europe, le CEO et le Bureau européen de l'environnement 170. Ces ONG défendent que l'exécutif européen a décidé d'ignorer les obligations de la Convention d'Aarhus en termes de transparence, selon lesquelles les autorités doivent donner accès aux informations liées à l'environnement au public. Le Médiateur ne peut pas forcer les institutions de l'UE à respecter ses recommandations, mais exerce néanmoins une certaine influence sur leur comportement, pouvant en dernier recours conclure une enquête par des critiques gênantes. Le refus de la Commission de donner accès à ces documents contredit également le jugement rendu en juin 2014 par la Cour de justice de l'Union européenne, qui avait jugé que les documents se rapportant aux activités internationales, dont le traité euro-étasunien, ne doivent pas être systématiquement exemptés du principe de transparence 172.

Dans un élan de candeur, l’ancien ministre du commerce étasunien Ronald Kirk a bien fait valoir l’intérêt «pratique» de «préserver un certain degré de discrétion et de confidentialité». La dernière fois qu’une version de travail d’un accord en cours de formalisation a été mise sur la place publique, a-t-il souligné, les négociations ont échoué — une allusion à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), une version élargie du traité nord-américain ALENA.

Pour répondre à l’accusation de secret des négociations, le gouvernement français a créé en octobre 2014 un Comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale, composé d'un collège de parlementaires et d'un collège de la société civile. Ce dernier rassemblait une vingtaine d'ONG et syndicats et une vingtaine de syndicats patronaux et fédérations professionnelles. Mais, après cinq mois d’existence, quatre de ses membres (Amis de la Terre, Attac France, Confédération Paysanne, Union syndicale Solidaires) l’ont quitté en mars 2015 « face à la volonté manifeste du gouvernement de ne pas engager de réelle consultation démocratique », refusant de « cautionner plus longtemps ce qui n’est qu’un outil de communication du gouvernement, dissimulant la volonté d’imposer ces accords à tout prix » 37.

Les fuites des textes en négociation – souvent grâce à Wikileaks – ainsi que les nombreuses analyses disponibles posent deux questions 423 :

- Mais qui sont ces négociateurs, qui progressent dans l’ombre, cherchant à imposer des bouleversements considérables derrière un langage d’une sécheresse à toute épreuve ? Sont-ils insensibles à ce qui les entoure ? Dans leurs débats, comment peuvent-ils ignorer à ce point les angoisses et les attentes des opinions publiques, comme les promesses faites par les gouvernements, répétées de sommets internationaux en sommets internationaux, sur la protection de l’environnement, sur l’évasion fiscale, entre autres ?

- Comment des gouvernements dits démocratiques peuvent-ils accepter de discuter de tels textes ? Qui leur a donné mandat de renoncer à leur pouvoir législatif, à consentir des droits de veto au pouvoir économique ? On comprend mieux, à la lecture des documents fuités comme des analyses, pourquoi les États veulent absolument garder ces négociations secrètes.