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Impact prévisible du traité euro-­‐étasunien sur les PME 149

6   Des garanties et avantages illusoires 137

6.2   Des avantages socio-­‐économiques attendus dérisoires 143

6.2.3   Impact prévisible du traité euro-­‐étasunien sur les PME 149

Qu'en est-il pour les 22,3 millions de petites et moyennes entreprises de l'Union européenne (en 2015) ? Elles représentent 67 % de l'emploi et 58 % de la valeur ajoutée des entreprises non financières (cf. Figure 6), et ont créé 85 % des nouveaux emplois entre 2002 et 2010 402. Seules 0,7 % des PME européennes et françaises exportent vers les États-Unis et la valeur des biens et services exportés représente moins de 2 % de la valeur ajoutée produite par l’ensemble des PME européennes 206.

Publiquement, les lobbies d'affaire insistent lourdement sur l'idée que le traité euro-étasunien (PTCI) bénéficiera aux petites et moyennes entreprises, mais en réunion avec la Commission, ils admettent tout le contraire :

- « les 19 millions de PME européennes qui n'exportent pas vont subir une concurrence accrue » selon le MEDEF, lors d'une réunion avec la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, le 26

mars 2015 155,

- « les avantages du PTCI [sur les PME] demeurent hypothétiques » selon le plus important syndicat patronal britannique, la Confédération des industries britanniques (CBI - Confederation of British Industry) lors d'une réunion avec la DG commerce le 1er juillet 2015 154.

Notons tout d'abord que le modèle dit d'équilibre général calculable utilisé par la plupart des études d'impact ne permet pas de différencier les entreprises selon leur taille, et donc d'évaluer l'impact du traité sur les petites et moyennes entreprises 437.

stratégiques de l'OTAN et financé par des multinationales et des États, montre que les dirigeants des

entreprises de moins de 500 employés estiment que le traité euro-étasunien favorisera leurs affaires en simplifiant et clarifiant les règles à l'export.

Cependant, pour le BVMW, principal syndicat patronal des petites et moyennes entreprises allemandes, comme l'activité des PME est basée sur les normes les plus exigeantes, le moins disant normatif serait un désavantage concurrentiel 89. De plus, comme le souligne le mouvement européen de PME et de citoyens MORE – Mouvement pour la responsabilité dans les accords de commerce, les

PME ne pourront guère se faire entendre dans le processus de coopération réglementaire qui risque bien de se faire à leur détriment et au bénéfice des multinationales, qui ont, elles, le temps et les moyens d'y participer 213. De même, pour des raisons du même ordre, la fédération des indépendants et PME wallonnes et bruxelloises (UCM), la Fédération wallonne de l'agriculture (FWA), comme des PDG de grosses PME françaises s'opposent au projet de traité euro-étasunien 390, 520.

D'après une enquête menée courant 2014 par UPS auprès de 8 000 propriétaires et PDG de PME de moins de 250 employés en Allemagne, Belgique, France, Italie, Pays-Bas, Pologne et Royaume-Uni, l'argument de la croissance des exportations des PME grâce à la diminution des coûts qui serait induite par le traité ne trouve clairement pas d'écho 395. En France par exemple, 94 % des PME interrogées pensent que les gains éventuels du traité iront exclusivement aux grandes entreprises. Une étude de la Fondation Schöpflin et du BVMW allemand conduite début 2016 par l’institut Prognos auprès des adhérents du BVMW tire aussi la sonnette d’alarme. Les 800 PME qui ont répondu – des PME plutôt plus importantes et plus industrielles que la moyenne des PME allemandes – estiment que les risques liés au traité euro-étasunien l'emportent sur les avantages. Elles s'attendent à des effets positifs pour les grandes entreprises, mais une majorité prévoit des effets négatifs sur l'économie dans son ensemble ainsi que sur le secteur des petites et moyennes entreprises. Une majorité des PME estiment qu'elles ne bénéficieront pas de l'harmonisation des normes prévue dans le traité et les deux tiers préfèrent que l'harmonisation soit conduite dans un cadre multilatéral, notamment dans les organismes internationaux de normalisation, plutôt que via des traités de libre- échange. Vis-à-vis des mécanismes d'arbitrage privé, bien peu d'entreprises les voient comme un instrument important pour demander des dédommagements sur les marchés étrangers, et une large majorité demande plutôt un accès non discriminatoire aux tribunaux ordinaires des pays étrangers 90. De son côté, pour le journal britannique destiné aux dirigeants de PME SME Insider, en l'absence de clauses claires protégeant les petites et moyennes entreprises, le traité euro-étasunien est clairement un outil des grandes entreprises pour renforcer leur expansion et se décharger de leurs responsabilités. Et d'ajouter : « Les bénéfices pour les PME, s’ils existent, sont négligeables. Les risques sont énormes. » En effet, les États-Unis sont capables dans une large mesure de produire des biens meilleur marché que l'Union européenne, parce que les règles y sont moindres : la réglementation du travail est minimale en comparaison de l'UE, les salaires sont bas pour un pays développé, et la réglementation des substances chimiques dangereuses pour le consommateur est plus laxiste 351. Les PME qui basent aujourd’hui leur modèle économique sur des produits de bonne qualité respectant des normes élevées souffriront d’une concurrence accrue de produits moins chers. À supposer qu’ils souhaitent adapter leurs méthodes de production à des normes moins exigeantes et donc moins chères, ils auront plus de difficultés à le faire que les grandes entreprises qui pour beaucoup ont déjà externalisé l’essentiel de leur production à l’étranger ou pourraient le faire facilement.

L'argument de Cecilia Malmström – « nous savons que les petites entreprises et les territoires dans lesquels elles opèrent ont des chances d’être parmi les plus grands gagnants de cette accord » 386 – semble donc bien faire un flop de plus en plus net auprès des PME 206, 359. Des PME se sont même organisées en mouvements pour s'opposer spécifiquement au traité euro-étasunien : 2 300 entreprises allemandes au sein de KMU gegen TTIP (PME contre le PTCI), 2 200 entreprises autrichiennes au sein de son équivalent autrichien, 170 entreprises britanniques au sein du récent Business Against TTIP (Entreprises contre le PTCI) britannique 88, 357, 358. Leurs slogans : "Pour un accord commercial juste et transparent" ou "Le partenariat transatlantique est tout autre".

L'expérience de traités de libre-échange similaires comme le traité nord-américain ALENA ou le traité

entre les États-Unis et la Corée du Sud montrent que ces traités défavorisent les PME par rapport aux grandes multinationales, comme nous le verrons au § 6.2.9 et 6.2.10. Ainsi après vingt ans d'ALENA,

les exportations des PME étasuniennes vers le Mexique et le Canada ont deux fois moins augmenté que celles des grandes entreprises, et les exportations des PME ont été plus faibles au sein de l'ALENA

qu'ailleurs. Dans le second cas, les PME étasuniennes ont vu leurs exportations vers la Corée du Sud chuter cinq fois plus que celles des grandes entreprises.

Observons par ailleurs que les constructeurs automobiles français, faiblement implantés sur le marché étasunien, estiment que leurs concurrents européens seront les réels bénéficiaires d’un accord. Les équipementiers automobiles et Toyota sont au contraire favorables à un accord de libre-échange, ainsi que les constructeurs allemands et britanniques 398.

Tout ceci tendrait à prouver que ce traité de libre-échange favorise les entreprises les mieux implantées, les plus puissantes.

En effet, pour le monde des affaires et de la finance, pour les multinationales les mieux implantées, les avantages sont immédiats :

- baisse, voire disparition des obligations sociales, sanitaires, environnementales et culturelles, - liberté d'investir ce qu'ils veulent, où ils veulent, comme ils veulent et d'en retirer le profit qu'ils

veulent (c'est la définition de l'investissement par le PDG d'American Express), - unique bénéficiaire de la concurrence libre et non faussée,

- des normes édictées par le privé, pour le privé.

L’objectif réel de ces projets de traité vise en fait à confier l'élaboration des normes aux grandes sociétés privées et à limiter le droit des gouvernements, des parlements et finalement des citoyens à légiférer, plutôt qu'à créer des emplois et favoriser la croissance comme annoncé.