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4   Changer la règlementation au profit des multinationales 57

4.6   Impacts dans les différents domaines 81

4.6.2   Climat, énergie et transports 87

Nous avons vu que les mandats de négociation des traités, du moins ceux qui ont été publiés, ne comptent aucune référence aux exigences climatiques. La mise en œuvre des traités de libre-échange devrait en revanche contribuer aux émissions de gaz à effet de serre et rendre plus difficile la transition écologique.

En effet, les études d'impact que la Commission européenne utilise pour justifier le bienfondé des négociations (cf. § 6.2) indiquent très clairement que la libéralisation des échanges génèrerait une hausse des émissions de gaz à effet de serre : par exemple de quatre à onze milles tonnes de gaz carbonique (CO2) par an pour le seul traité euro-étasunien. Cette hausse, même limitée, n'est-elle pas contraire aux exigences climatiques que l'Union européenne et ses États-membres se sont fixées ? Cette question n'est pas secondaire. La contribution du commerce mondial de marchandises aux                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      

d'intérêts soient démontrées, être considéré comme satisfaisant à cette condition. »

Ceci n'apparaît pas en contradiction avec la déclaration d'intention dans les motifs : le diable se niche dans les détails au bout du couloir...

a - Convention internationale de réglementation de la chasse à la baleine, de 1946,

- Convention relative au renforcement de la Commission interaméricaine du thon tropical, de 1949. - Convention relative aux zones humides d'importance internationale, de 1971,

- Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), de 1973,

- Convention MARPOL pour la prévention de la pollution par les navires, de 1973 et amendée en 1978,

- Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique, de 1980, - et Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone, de 1987.

dérèglements climatiques est considérable : le fret serait responsable de 10 % des émissions mondiales. On peut même calculer que la mondialisation des échanges (diversification des marchandises, dégroupage de la production, gonflement du volume des échanges) et la logistique de la mondialisation contribuent à plus de 20 % des émissions globales 141, 142.

Alors qu'il ne peut y avoir de transition énergétique sans promotion des énergies renouvelables à l'échelon local, dans une logique de coopération et de partage des connaissances et des savoir-faire, les États et les collectivités locales ne pourraient ni privilégier les productions locales, ni imposer des « transferts de droits de propriété intellectuelle » en matière de développement des énergies renouvelables : ces mesures seraient perçues comme des « entraves » aux investissements étrangers et une « restriction déguisée au commerce international » (cf. § 4.6.5 et 4.6.6). Or ces critères de localité et de qualité sont de puissants outils pour relocaliser des emplois et des activités à travers la promotion de produits et de compétences locales, et l'utilisation des meilleures technologies disponibles 141, 142.

La proposition de chapitre “Énergie et matières premières” faite le 20 juin 2016 par l'Union européenne aux négociateurs du traité euro-étasunien –qui a fuité 240 – confirme ce risque. Le texte ne propose aucun mécanisme de sauvegarde ou de protection du climat et de l’environnement qui permettrait aux signataires du traité de faire primer l’impératif écologique et climatique sur les considérations commerciales. La Commission européenne et les États-membres proposent d’étendre la libéralisation de l’énergie sans jamais interroger cet objectif au regard du contenu de l’Accord de Paris, notamment son article 2 qui prévoit de tout mettre en œuvre pour contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C, ou idéalement 1,5°C : aucune référence à l’urgence climatique ne pourrait être invoquée pour prendre des mesures exceptionnelles et dérogatoires aux règles commerciales en vigueur. Cette proposition consacre la primauté du commerce sur l’urgence climatique et la mise en œuvre de l’Accord de Paris 97.

a

La proposition de l'UE pour l'insertion d'un volet "Climat" dans le chapitre "Commerce et développement durable", publiée elle aussi le 20 juin 2016 et fuitée 241, est essentiellement déclarative. Quand une contrainte est énoncée, c'est pour justifier la libéralisation du commerce au nom du climat, dont les règles doivent primer sur les objectifs climatiques. Résultat : aucune clause ne protège, de façon explicite et juridiquement efficace, le droit et le pouvoir discrétionnaire de régulation des États et des collectivités publiques dans le domaine de la lutte contre les dérèglements climatiques. Les pouvoirs publics sont là encore privés de leviers d'action essentiels pour respecter les engagements pris lors de l'Accord de Paris 98.

Nous avons même avec l'Accord sur le commerce des services (ACS) un exemple édifiant du double discours. Alors que les dirigeants politiques de tous les pays soutenaient en chœur à Paris lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique, d’autres responsables de ces mêmes pays négociaient en coulisses pour                                                                                                                

dynamiter les règles environnementales. WikiLeaks et treize médias et organisations internationaux ont en effet dévoilé, en pleine COP21, les avant-projets portant sur l’énergie et les transports discutés au sein de l'ACS durant l'automne 2014. Ces documents montrent que ces États continuent leurs discussions souterraines pour pousser toujours plus loin l’abaissement des normes et des droits sociaux et environnementaux et l’affaiblissement des États face à la puissance des multinationales 422, 568.

Pour l'Internationale des services publics qui a analysé ces documents, l'ACS permettra d'étendre l'exploration des énergies fossiles et donc le dérèglement du climat. Le projet de traité vise en effet à mettre à bas toutes les barrières, réglementaires et autres, dans le domaine de l’énergie. Par exemple, il limitera la capacité des gouvernements nationaux, régionaux et locaux à décider de politiques qui distinguent entre les sources d’énergie polluantes et fossiles, comme le pétrole et le charbon, et les sources d’énergie propres et renouvelables comme l’éolien et le solaire. Et ce en vertu du « principe de neutralité technologique » que révèle l'annexe sur les services énergétiques 393. On ne voit pas comment les gouvernements pourraient atteindre les réductions des énergies fossiles exigées par les objectifs de la COP21 s’ils ne peuvent pas faire la différence entre les sources d'énergie.

De manière très claire, la Commission européenne demandait même à ses négociateurs à la COP21, dans une note interne qui a fuité, de refuser que le futur accord climatique puisse imposer des limites au commerce, en s'opposant à « toute nouvelle disposition qui irait au-delà » de l'existant et poserait des restrictions au commerce dans le cadre des politiques environnementales, comme à « la création de liens formels entre la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et l'OMC » ou « le lancement d'un programme de travail sur les mesures commerciales » 110.

Le projet général des négociations secrètes est révélé en creux par une proposition commune de la Norvège et de l'Islande, pays très impliqués dans l’énergie et la transition énergétique. Ces deux pays tiennent à rappeler que « les engagements pris en matière de libéralisation des services à l’énergie ne limitent en aucune façon la souveraineté ou les droits des parties sur les ressources énergétiques ». Ils prennent même le soin de préciser les droits exclusifs que les pays sont en droit de conserver : déterminer les zones géographiques qui peuvent faire l’objet d’exploration, de développement et d’exploitation de ses ressources énergétiques, déterminer le rythme auquel ces ressources sont réduites ou exploitées, arrêter et bénéficier des taxes, royalties et tout autre paiement liés à ces explorations et exploitations, réglementer les aspects environnementaux et sanitaires de ces exploitations, pouvoir participer à des projets d’exploitation et d’exploration, entre autres, à travers des participations directes du gouvernement ou au travers des entreprises d’État 568.

Cette proposition semble indiquer que les négociateurs de l'Accord sur le commerce des services entendent aller très loin dans la remise en cause des prérogatives des États en matière d’énergie pour laisser la place aux multinationales du secteur. Celles-ci ne cachent d'ailleurs plus leur volonté de se débarrasser de toutes les contraintes environnementales et réglementaires imposées par les États, qui font obstacle, expliquent-elles, au développement et à l’exploitation des ressources énergétiques et minières. L’un des objectifs principaux de cet accord semble être de transférer le pouvoir en termes de politique énergétique et climatique des citoyens qui misent sur leurs gouvernements pour créer des économies justes et durables aux multinationales, afin de restreindre la capacité des gouvernements à réguler les marchés de l’énergie et les entreprises du domaine. Le projet de traité semble en effet plus écrit pour des multinationales comme Bechtel, Halliburton, Schlumberger, Veolia ou Engie (ex-GDF- Suez) que pour des sociétés innovantes apportant des prestations de services dans les énergies renouvelables 393, 568.

C’est le même objectif de dérégulation à tout-va, de contestation de tout pouvoir étatique qui domine dans les négociations sur les transports routiers 568. Dans l'esprit des négociateurs, rien ne doit faire obstacle au trafic de marchandises. Ainsi certains recommandent que « les parties doivent reconnaître le rôle essentiel des routes internationales pour le transport des biens périssables et que de tels transports ne peuvent être indûment reportés par des règles routières, en particulier celles restreignant les transports pendant certains jours ». Les interdictions de transports routiers le week-end en France,

déjà largement mises à mal, deviendraient ainsi illégales, si le texte était adopté.

De même, toutes les dispositions pour limiter le transport routier, faire payer le transit international, imposer le ferroutage, comme en Suisse par exemple, seraient aussi considérées comme des entorses à la concurrence et jugées illégales. « Les parties doivent abolir et s’abstenir d’introduire le moindre obstacle administratif et technique qui pourrait constituer une restriction déguisée ou avoir des effets discriminatoires sur la liberté des services dans le transport international », est-il proposé. Impossible avec une telle clause d’avoir la moindre politique en vue de limiter ou d’encadrer le transport routier 422, 568.

Mais cela va plus loin encore. Le projet prévoit que les États ne pourraient pas poser de restriction sur les habilitations données aux chauffeurs. Il suggère même que les États renoncent à leur contrôle du territoire et délèguent l’attribution des visas à d’autres. Il propose ainsi que ce rôle soit confié à des associations de transporteurs, qui serviraient d’intermédiaires et se porteraient garantes dans l’attribution des visas pour leurs membres. Elles pourraient leur délivrer des visas annuels voire pluriannuels, en lieu et place des États 422, 568.

Les conséquences combinées des propositions de ce traité en discussion constitueraient d’importants obstacles pour n’importe quel État désireux d’investir et de gérer ses infrastructures nationales, de planifier leur développement ou de défendre des normes sociales et de santé dans l’industrie du transport elle-même, comme le dénonce la Fédération internationale des salariés du transports 538. Mais, si l'on en croit le Président de la République lors de son allocution à la conférence environnementale 2016 au Palais de l'Élysée, la France ne saurait signer des traités aussi peu compatibles avec le Traité de Paris : « La France sera également très vigilante, je le dis dans ce contexte particulier, pour que les négociations internationales futures, les accords commerciaux, ne remettent pas en cause, de manière subreptice, les avancées qui ont été décidées lors de la COP21. Je ne vois pas comment, notre pays, la France, pourrait signer des traités commerciaux si les chapitres relatifs au développement durable ne sont pas contraignants. » 318