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4   Changer la règlementation au profit des multinationales 57

4.6   Impacts dans les différents domaines 81

4.6.4   Droit du travail, droit social 91

Le Canada a proposé d’inclure dans l'Accord euro-canadien des références aux droits du travail, dont ceux promus par l’Organisation internationale du travail (OIT), en l'assortissant de mécanismes de plaintes et de sanctions financières ou d'amendes en cas de violation. Mais la Commission européenne et les États membres de l'UE ont refusé d’inclure cette approche dans le texte final 15. Le traité se contente de réaffirmer le respect des principes et droits fondamentaux au travail qui sont obligatoires pour tout membre de l'OIT, qu'il ait ou non ratifié les conventions de l'OIT b.

Pourquoi cette proposition du Canada ? Parce que les efforts de réglementation du droit du travail – la définition des normes du travail – sont fournis depuis près d'un siècle dans le cadre de l’OIT, pour protéger les droits fondamentaux et l’intérêt général, l'OIT considérant notamment que le travail n’est                                                                                                                

a www.sud-travail-affaires-sociales.org/IMG/jpg/GUIDE_JOB_ETE_fede-2.jpg b Article 23.3-1 du traité euro-canadien

pas une marchandise.

Créée après la première guerre mondiale, en 1919, l’Organisation internationale du travail devient en 1946 une institution spécialisée du système des Nations Unies. Sa structure est tripartite, ses membres étant des représentants des gouvernements, des employeurs et des salariés. Elle propose notamment des normes fondamentales qui visent à protéger les travailleurs, ratifiées ensuite par ses États membres. Ainsi les pays membres de l’Union européenne ont tous ratifié les huit normes fondamentales de l'OIT a, la plupart des quatre autres conventions prioritaires dites de gouvernance b, et environ la moitié des 177 autres conventions dites techniques de l'OIT c. Le Canada a ratifié six normes fondamentales, deux normes de gouvernance et quatorze conventions techniques. De leur côté, les États-Unis n’ont ratifié que deux des huit normes fondamentales d, une seule des quatre conventions prioritaires et onze seulement des conventions techniques 409. L’histoire suggérant que l’« harmonisation » à laquelle conduisent les traités de libre-échange tend à se faire sur la base du plus petit dénominateur commun, les salariés europuniens peuvent donc craindre une érosion des droits dont ils bénéficient actuellement.

Les traités de libre-échange éliminent de fait le cadre de l'OIT : les normes du travail seraient définies alors par des accords commerciaux et plus par l'OIT, renversant un siècle d’efforts de réglementation comme le note la CGT 120. Cecilia Malmström elle-même, la Commissaire européenne chargée du commerce, a reconnu lors d'une conférence à Bruxelles en novembre 2015 que les articles du traité euro-étasunien protégeant le droit social seront sans effet en l'absence de dispositions d'application, ce qui est le cas actuellement 115.

De son côté, l'Accord sur le commerce des services (ACS) prend des engagements quant au déplacement de personnes physiques d’un pays signataire vers un autre dans le but de fournir un service. Selon une étude de l'Internationale des services publics 487, ces engagements permettent aux entreprises d’un pays d’envoyer provisoirement leurs employés – y compris les dirigeants, consultants, commerçants, infirmières, travailleurs de la construction, etc. – dans un autre pays dans le but de fournir un service. À moins de l'exclure expressément de la liste des engagements d’un pays, l’ACS (comme l’AGCS) interdirait donc tout examen des besoins économiques, notamment les études sur la situation du marché de l’emploi : dans la majorité des pays, avant l’embauche de travailleurs étrangers temporaires, un employeur potentiel est aujourd'hui contraint de prouver qu’il existe un manque de travailleurs locaux qualifiés. Mais en vertu des engagements de l'ACS, ce type d’examen des besoins économiques serait interdit.

Les traités commerciaux comme le traité euro-étasunien ou l'Accord sur le commerce des services considèrent donc les travailleurs migrants comme des marchandises – contrairement à l'OIT – et limitent la capacité des gouvernements à garantir leurs droits.

Le Comité européen des régions, institution consultative de l'Union, demande donc l'inclusion dans l’ACS d'un chapitre social qui établisse, sur la base des conventions pertinentes de l’OIT, des normes                                                                                                                

a Convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 ;

Convention n°98 sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 ; Convention n°29 sur le travail forcé, 1930 ;

Convention n°105 sur l’abolition du travail forcé, 1957 ; Convention n°138 sur l’âge minimum, 1973 ;

Convention n°182 sur les pires formes de travail des enfants, 1999 ; Convention n°100 sur l’égalité de rémunération, 1951 ;

Convention n°111 concernant la discrimination (emploi et profession), 1958.

b Les États membres ont ratifié une moyenne de 3,6 de ces 4 conventions, et 3,8 conventions en moyenne

pondérée par la population de chaque pays.

c Les États membres ont ratifié une moyenne de 70 conventions techniques, et 84,3 conventions techniques en

moyenne pondérée par la population de chaque pays signataire.

de protection dans le domaine social, notamment celui du travail 114.

Certains syndicalistes étasuniens mettent aussi en garde leurs homologues européens en précisant que les États-Unis sont, dans le cas du traité euro-étasunien, le partenaire à bas salaires, contrairement aux autres accords commerciaux que le pays a coutume de conclure : en effet, les salaires aux États-Unis sont en général inférieurs à ceux perçus dans la plupart des industries manufacturières européennes. Un tel accord une fois ratifié, les États-Unis deviendraient le " Mexique de l’Europe ", en raison des faibles salaires versés dans les États du Sud du pays 484. De l'autre côté de l'Atlantique, le syndicat britannique GMB (plus de 620 000 membres), bien informé sur l’état des rapports sociaux aux États- Unis, considère que le traité euro-étasunien représente un risque très réel que les droits sociaux et à l’emploi difficilement gagnés en Europe soient rabaissés au niveau souvent très inférieur des droits sociaux étasuniens 322 p. 26.

Les représentants des salariés étasuniens reconnaissent que le droit du travail de l'UE est plus avancé que son homologue étasunien et qu’en conséquence les travailleurs étasuniens n’ont pas à redouter, du point de vue de leurs acquis sociaux, la concurrence europunienne. Aussi, la grande centrale syndicale américaine AFL-CIO s'est-elle prononcée en faveur du lancement de la négociation du traité euro-étasunien 182. Mais ils craignent des pertes d'emplois par la disparition des règles de préférence nationale pour les commandes publiques dont ils bénéficient actuellement (cf. § 2.3.2) 559. Du côté du traité transpacifique récemment signé, les normes de l'OIT sont tout aussi ignorées 461. « Ce que nous ne voulons pas, c’est que le capitalisme international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est la plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. » Ce que Jean Jaurès redoutait lors de cette déclaration devant la Chambre des députés le 17 février 1894 est donc toujours d'actualité 270.

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