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Procédure de ratification des traités de libre-­‐échange 40

2   Une multitude de traités de libre-­échange 15

2.9   Signature et ratification 40

2.9.1   Procédure de ratification des traités de libre-­‐échange 40

L'article 53 de la Constitution de la 5e République dit: « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient les dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés. [...] » Cet article n'a cependant guère de validité, car les traités instituant l'Union européenne (le Traité sur l'Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tous deux modifiés par le Traité de Lisbonne) sont supérieurs en droit à la Constitution française, sauf dans de rares cas : en 1998 (arrêt Sarran), le Conseil constitutionnel français réaffirma la primauté de la Constitution française, mais en en plaçant désormais l’essentiel « sous le chapeau de l'article 88-1 » qui dispose que « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ; le Conseil ne reconnaît d'exceptions que dans des « cas rares », tels les articles 1er (la République est laïque) et 3 (définition du corps électoral), qui sont donc les seuls à ne pas être placés sous le chapeau de cet article 88-154. Pour le reste, notre Constitution ne peut être opposable aux décisions de l'UE.

                                                                                                               

a Articles 10 et 18 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités 420

b Article 2, paragraphe 1, alinéa b), article 14, paragraphe 2, et article 15 de la Convention de Vienne de 1969

sur le droit des traités 420

Par ailleurs, en application de l'article 54 de la Constitution française, aucun traité ne peut être ratifié par le Président de la République s’il contient des dispositions contraires à la Constitution. Si c'est le cas, il faut préalablement modifier la Constitution, comme cela a été fait lors de la ratification des traités européens de Maastricht ou de Lisbonne.

Pour la négociation et la ratification des traités impliquant l'Union européenne, ce sont donc les règles de l'UE qui prévalent : dans les domaines de compétence exclusive de l'UE, les décisions n'impliquent que les organes communautaires (Conseil des ministres, parlement européen). Dans les domaines de compétence mixte relevant à la fois de la compétence de l'Union et de celle des États, chaque État membre doit en outre ratifier le traité selon ses propres procédures.

La politique commerciale est de la compétence exclusive de l'Union Européenne. Le Traité de Lisbonne a étendu la politique commerciale aux investissements553, qui depuis lors concerne notamment « les modifications tarifaires, la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux relatifs aux échanges de marchandises et de services, et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, l'uniformisation des mesures de libéralisation, la politique d'exportation, ainsi que les mesures de défense commerciale, dont celles à prendre en cas de dumping et de subventions » a. La procédure d'adoption d'un traité relevant de la politique commerciale commune est décrite à l'article 207 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour ce qui concerne la Commission et le Conseil des ministres.

Après la révision juridique du traité paraphé et sa traduction dans les 24 langues officielles de l'Union européenne, la Commission en présente les résultats au Conseil des ministres, qui statue généralement à la majorité qualifiée (au moins 55 % des États représentant 55 % de la population b). Cependant, si le texte qui lui est soumis comporte des dispositions sur « le commerce des services, sur les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et sur les investissements étrangers directs, le Conseil statue à l'unanimité lorsque cet accord comprend des dispositions pour lesquelles l'unanimité est requise pour l'adoption de règles internes » c. L’unanimité s’impose également pour la négociation et la conclusion d’accords qui « dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l'Union et dans le domaine du commerce des services sociaux, d'éducation et de santé lorsque ces accord risquent de perturber gravement l'organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services » d.

Pour les traités de libre-échange, il semble bien que nous soyons dans l'un de ces cas car, comme nous l'avons vu plus haut, le mandat du traité euro-étasunien a apparemment dû être voté à l'unanimité par le Conseil des ministres (cf. § 2.3.1), comme le mandat du traité euro-canadien (cf. § 2.2). L'unanimité nous semble donc de mise, mais ce sera à un État membre d'apporter la preuve que le texte porte atteinte à la diversité culturelle ou perturbera l'organisation de certains services et éventuellement à la Cour de justice de l'Union d'apprécier si le droit de veto s'applique. Les gouvernements disposent ainsi d'une grande liberté d'appréciation du résultat final des discussions. Cependant formellement, en cas de désaccord entre la Commission et le Conseil des ministres, le Conseil ne peut imposer sa position qu'à l'unanimité e. Le Conseil peut choisir, par exemple, de changer la base légale ou la nature de l'accord en termes de mixité. Concrètement, si la Commission propose de prendre une décision d'autorisation de la signature en considérant que l'accord tombe dans son intégralité dans le cadre de la politique commerciale et d'investissement de l'UE, et serait donc de compétence exclusive de l'UE, la décision du Conseil serait prise à la majorité qualifiée et il n'y aurait                                                                                                                

a Article 207-1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

b http://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/qualified_majority.html?locale=fr c Article 207-4 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

d Suite de l'article 207-4

pas de ratification par les parlements nationaux. Si le Conseil est en désaccord avec cette proposition de la Commission en considérant par exemple que l'accord est mixte, il ne pourrait le faire qu'à l'unanimité 510.

Il y aura donc un premier moment de responsabilité formelle pour les gouvernements, quand ils diront à la Commission européenne « ce que vous avez négocié nous convient ou ne nous convient pas ». Si les gouvernements disent « c'est bien », alors la Commission pourra signer le traité.

Le parlement européen sera ensuite amené à se prononcer. Il dispose du pouvoir d’approuver ou de rejeter le projet de traité au terme d'une procédure baptisée « avis conforme ».

Enfin, si le parlement approuve le projet, intervient la ratification par chacun des États membres et donc par chacun des Parlements nationaux si le traité est considéré comme mixte.

Cependant en octobre 2014, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour clarifier le flou juridique qui entoure les compétences de l'Union et des États membres en matière de signature et de ratification du traité de libre-échange entre l'Union et Singapour (cf. § 2.8.2). L'avis de la Cour de justice, qui devrait être publié d'ici janvier 2017, sera contraignant383.

Le traité envisagé avec le Canada, comme celui envisagé avec les États-Unis ou l'Accord sur le commerce des services, dépassent clairement le simple libre-échange et empiètent sur les prérogatives des États, car, comme on le verra plus loin, ils bouleverseraient les lois et réglementations sociales, sanitaires, environnementales et techniques, et transféreraient à des groupes d'arbitres privés le règlement des conflits des entreprises privées envers les pouvoirs publics. Le mandat de négociation donné à la Commission européenne pour le traité euro-étasunien163 traite d'ailleurs explicitement de « domaines de compétence mixte » en son article 22 a.

La question de la mixité des traités de libre-échange a alimenté des débats : en 2011, des parlementaires allemands, irlandais et britanniques ont demandé que le traité de libre-échange avec la Colombie et le Pérou soit déclaré mixte et donc soumis à la ratification des Parlements nationaux ; puis dans un projet de décision de 2015, le Conseil européen a traité cet accord de « mixte », alors que sa couverture en termes de compétences est bien plus réduite que celle des traités euro-canadien ou euro-étasunien521. Le Parlement français l'a ratifié en septembre 2015, comme il a déjà ratifié le traité de libre-échange avec la Corée du Sud.

Le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, Matthias Fekl, a en outre affirmé devant le Sénat le 12 novembre 2014 que les traités euro-étasunien et euro-canadien étaient des accords mixtes et que cette analyse était partagée par l'ensemble des États membres298, 482. L'Assemblée nationale n'était cependant pas convaincue que le caractère mixte des traités de libre-échange soit évident pour tous et notamment pour la Commission européenne et le Conseil de l'Union européenne : elle a demandé en effet à ces dernières instances dans une résolution européenne du 23 novembre 201432 que le traité avec le Canada soit clairement qualifié de mixte. Une étude universitaire allemande dirigée par le professeur de droit public, de droit européen et de droit international Andreas Fischer- Lescano juge de même que ce dernier traité est bien mixte265. La Commission européenne a finalement d'abord tenté de proposer le traité euro-canadien à l'approbation des seuls Conseil et parlement européens, puis devant le refus d'un grand nombre d'États membres b peut-être échaudés                                                                                                                

a « Les négociations relatives aux investissements porteront sur des dispositions concernant la libéralisation et

la protection des investissements, y compris les domaines de compétence mixte comme les aspects relatifs aux investissements de portefeuille, à la propriété et à l'expropriation […]. »

b Dix-neuf États membres ont refusé la non mixité lors du Conseil des affaires étrangèresde l'UE le 13 mai

2016 selon nos informations : Allemagne, Autriche, Chypre, Croatie, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lithuanie, Luxembourg, Malte, Pologne, Portugal, Rép. tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie. Les neuf autres États membres sont : Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Lettonie, Pays-Bas, Suède.

par le Brexit, a préféré faire marche arrière et proposer le 5 juillet 2016 un statut mixte, assorti sans doute d'un engagement du Conseil à accepter une application provisoire 47.

Le Comité européen des régions, l'assemblée consultative des représentants locaux et régionaux de l'UE au sein du système institutionnel de l'Union, dont les 350 membres sont nommés sur proposition des gouvernements des États membres, estime que le traité euro-étasunien est bien mixte, comme le Conseil économique, social et environnemental (français) dans son avis du 22 mars 2016 113, 116. L'Accord sur le commerce des services est clairement un accord mixte. En effet, selon les précisions apportées par une collaboratrice de la Direction générale du commerce de la Commission485, l'ouverture des négociations a fait l'objet de deux décisions du Conseil le 18 mars 2013 :

- une première décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations sur un accord plurilatéral sur le commerce des services, prise à la majorité qualifiée ;

- une seconde décision des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil autorisant la Commission européenne à négocier, au nom des États membres, les dispositions d'un accord plurilatéral sur le commerce des services qui relèvent des compétences des États Membres. Cette décision n'était pas un acte propre de l'UE et a été adoptée par commun accord, ce qui n'implique pas l'application d'une règle de vote, mais une exigence de consensus entre tous les États membres.

On peut donc en déduire que certaines dispositions de l'Accord relèvent des compétences des États membres et donc que cet accord est mixte. Le Parlement français devrait donc normalement avoir à donner son accord ou à rejeter les différents traités de libre-échange actuellement en négociation s'ils ne sont pas abandonnés avant.

Mais aujourd'hui, alors que les négociations sont très largement entamées voire terminées, les citoyens et leurs élus ne savent toujours pas si ces traités – traité avec le Canada mis à part – sont de la compétence exclusive de l'Union européenne ou de compétence mixte, et donc quelle sera la procédure de ratification. On discute donc de projets politiques dont on ne connait pas les règles d'adoption, ce qui interdit aux citoyens, à leurs organisations et à leurs élus d'adapter leur mobilisation à la procédure de décision : les citoyens sont laissés dans le brouillard institutionnel. Or la démocratie suppose que les conditions d’élaboration des règles, des lois, respectent un cadre stable et défini à l'avance. Si ce n’est pas le cas, l’effectivité des pouvoirs légitimes et le périmètre des pouvoirs réels deviennent incernables ; les règles – les traités en l'occurrence – menacent d’être non pas l’expression de la volonté générale, mais celle de puissances particulières et occultes, les pouvoirs réels.

Aux États-Unis, le Congrès devra ratifier le traité transpacifique, le traité euro-étasunien, comme l'Accord sur le commerce des services.