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Respect des droits de l'homme 163

6   Des garanties et avantages illusoires 137

6.4   Respect des droits de l'homme 163

Comme l'indique la Fédération internationale des droits de l'homme 261, l'Union européenne a l'obligation de s'assurer que les traités commerciaux auxquels elle participe ne nuisent pas aux droits de l'homme dans les différents pays. Pour cela, l'UE devrait mener des études d'impact sur les droits de l'homme et prendre les mesures nécessaires pour éviter une détérioration des droits de l'homme dans les autres pays. C'est une obligation légale au niveau europunien et au niveau international. Au niveau de l'UE, l'article 21 du Traité sur l'Union européenne issu du Traité de Lisbonne spécifie que « l'action de l'Union sur la scène internationale […] vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d'égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations Unies et du droit international. » Il précise ensuite que

« l'Union définit et mène des politiques communes et des actions […] afin […] b) de consolider et de soutenir la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international […] ». L'article 207-1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne affirme que « la politique commerciale commune est menée dans le cadre des principes et objectifs de l'action extérieure de l'Union. »

Dans son Cadre stratégique en matière de droits de l'homme et de démocratie adopté en juin 2012 162, le Conseil de l'Union affirme que « L'UE œuvrera en faveur des droits de l'homme dans tous les domaines sans exception de son action extérieure. En particulier, elle intégrera la promotion des droits de l'homme dans ses politiques relatives au commerce, aux investissements […] ». Dans son plan d'action associé qui s'appliquait jusqu'à fin 2014, le Conseil affirmait que la Commission européenne doit « intégrer les droits de l'homme dans les analyses d'impact, lorsqu'elles sont effectuées pour des propositions législatives et non législatives, des mesures d'exécution et des accords commerciaux ayant des conséquences économiques, sociales et environnementales importantes, ou définir des politiques futures en la matière. »

L'UE s'est donc clairement engagée à ce que les traités de libre-échange qu'elle signe promeuvent les droits de l'homme. Qu'en est-il dans la réalité ?

6.4.1 Traités  de  libre-­‐échange  et  droits  de  l'homme  

Quel devrait être l'impact des traités en cours de négociation sur les droits de l'homme ?

En raison du caractère juridiquement contraignant de la Charte des droits fondamentaux de l'UE (avec de fortes restrictions pour la Pologne et le Royaume-Uni) qui a la même valeur juridique que les traités instituant l'Union a, l'impact des traités de commerce sur les droits fondamentaux doit être systématiquement évalué 343.

Au niveau international, tous les États membres de l'UE ont ratifié les deux pactes adoptés en décembre 1966 par les Nations Unies et entrés en vigueur en 1976 120, 438 : le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 418, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques 419. Ces traités impliquent pour les États « d'identifier et de résoudre les contradictions potentielles entre les traités préexistants relatifs aux droits de l'homme et les accords postérieurs de commerce ou d'investissement » 343. Dans son rapport présenté à la 19e session du Conseil des droits de l'homme de l'ONU en mars 2012, Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation 188, précise que « les États […] doivent s'assurer qu'on ne les empêchera pas de contrôler les acteurs privés dont la conduite pourrait aboutir à la violation des droits de l'homme, par exemple suite à un niveau excessivement élevé de protection des investisseurs étrangers dans leur pays ou en raison d'une interprétation large de l'interdiction d'imposer à ces investisseurs des exigences de performance » b. Ensuite, ils doivent « éviter de conclure des accords qui toucheraient les budgets publics ou la balance des paiements avec pour effet d'empêcher le plein exercice des droits de l'homme et donc de le remettre à plus tard voire le rendre impossible. » c Ces obligations concernent tout autant les citoyens des États eux-mêmes que les citoyens des États avec lesquels ils

                                                                                                               

a Selon l'article 6 du Traité sur l'Union européenne

b Point 2.3 page 7 : « States […] must ensure that they will not be precluded from the possibility of

controlling private actors whose conduct may lead to violating the human rights of others, for example as a result of an excessively high level of protection of foreign investors established on their territory or because of a broad understanding of the prohibition of imposing performance requirements on such investors. »

c Point 2.4 page 7 : « States should refrain from concluding agreements that would affect their public budgets

or balance of payments in a way that would impede the full realization of human rights, making the fulfilment of human rights impossible or delayed. »

envisagent de conclure des traités a.

Dans son rapport soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies le 5 août 2015 195, l’Expert indépendant pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable, Alfred-Maurice de Zayas, affirme que les États signent des traités bilatéraux et multilatéraux de libre-échange et d’investissement qui entravent le respect de leurs obligations découlant des traités relatifs aux droits de l’homme qu'ils ont ratifiés, et qui entraînent la violation des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Les États sont cependant tenus de respecter les pactes internationaux et doivent veiller à ce que les acteurs non étatiques opérant sur leur territoire ne violent pas les droits de l’homme. Les accords internationaux d’investissement doivent être réexaminés de façon à s’assurer qu’ils reconnaissent la primauté de la Charte des Nations Unies : les tribunaux arbitraux de règlement des différends entre investisseurs et États présentent ontologiquement et conceptuellement des lacunes, et ne résistent pas à l’épreuve de la compatibilité avec la Charte et les normes des droits de l’homme.

Les études d'impact sur les droits de l'homme utilisent le cadre normatif des droits de l'homme et posent des questions spécifiques toujours selon Oliver de Schutter 189 : est-ce que l’accord va violer les droits de l'homme et rendre plus difficile leur protection, notamment en interdisant la réglementation des entreprises ? Est-ce qu’il va réduire la marge de manœuvre du gouvernement en matière de logement, d’éducation et d’alimentation ? Est-ce qu’il va avoir un impact discriminatoire en fragilisant encore davantage la situation des segments les plus vulnérables de la population, ou est- ce que des mesures ont été prévues pour compenser l’impact négatif des libéralisations sur ces derniers ?

Aussi, suite à la plainte de la Fédération internationale des droits de l'homme et du Comité vietnamien pour les droits de l’homme qui rappelaient que l’Union européenne a l’obligation de mener une étude de l’impact sur les droits humains avant la signature de tout accord de libre-échange, la médiatrice européenne Emily O'Reilly estime, dans son projet de recommandation adopté le 26 mars 2015 et traitant de l’accord de libre échange entre l'UE et le Vietnam alors en cours de négociation (cf. § 2.8.2 page 35), que l’absence d’étude d’impact portant spécifiquement sur les droits de l'homme constitue un cas de mauvaise administration 262, 424. Elle appelait en conséquence la Commission européenne à conduire ladite étude, et ceci sans attendre. La Commission européenne refusait de satisfaire à ses obligations en la matière, au titre qu’une étude partielle avait été menée en 2009 ; elle devait répondre aux recommandations de la médiatrice européenne avant le 30 juin 2015. La réponse de la commissaire au commerce, Cecilia Malmström, a été d'assurer que l'Union européenne allait suivre de près la question des droits de l'homme et que l'Union pouvait si nécessaire dénoncer le traité. Elle a finalement publié une étude d'impact du traité sur les droits de l'homme (et le développement durable) en février 2016 237, 263. Cette obligation n'a vraiment pas été respectée spontanément.

Au-delà du cas particulier de ce projet de traité de libre-échange, tous les projets de traités de libre- échange sont concernés. Or, les grands projets de traités comme les traités euro-canadien, euro- étasunien ou l'Accord sur le commerce des services n'ont pas à notre connaissance fait l'objet d'études d'impact sur les droits de l'homme. Il en est de même de la plupart des autres projets de moindre envergure que nous avons effleurés au § 2.8.

Un groupe de dix experts des Nations Unies sur les droits de l'homme – experts indépendants et rapporteurs spéciaux – ont exprimé en juin 2015 leurs inquiétudes sur les effets potentiellement néfastes des traités de libre-échange sur les droits de l'homme, qu'ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux 194. Ces traités sont selon eux susceptibles d'avoir des effets néfastes sur la santé, la sécurité alimentaire, le droit du travail, l'extrême pauvreté, les dettes                                                                                                                

a   Point 2.6 page 7 : « States owe these obligations both to the individuals on their territory, and to individuals

on the territory of the State with which they conclude a trade or an investment agreement, to the extent that the conclusion of the agreement may affect such individuals’ ability to enjoy human rights. »  

publiques... Les experts de l'ONU critiquent particulièrement les mécanismes de règlement des différents des multinationales envers les États – les groupes d'arbitres privés – qui affectent le droit des États à légiférer dans tous les domaines et protègent les multinationales mais non les États. Ils recommandent en outre que, contrairement à la pratique actuelle, les négociations soient transparentes et ouvertes au public et aux organisations de la société civile.

Dans son avis sur l'Accord sur le commerce des services, le Comité européen des régions, l'assemblée des représentants locaux et régionaux au sein du système institutionnel de l'Union, demande que ce traité prévoie la possibilité de réaliser un contrôle juridictionnel du respect des droits de l’homme dans le commerce des services 114.

6.4.2 Alternative  :  assurer  la  prééminence  des  droits  de  l'homme  

Face aux conséquences délétères des traités de libre-échange sur les droits de l'homme, s'il est nécessaire de les évaluer a priori et a posteriori, cela n'est sûrement pas suffisant pour assurer le respect de ces droits. Une solution est d'indiquer clairement dans chaque traité que les droits humains priment sur les différentes dispositions du traité, comme le propose le mandat commercial alternatif 39 présenté en Annexe 9. Plus précisément, chaque traité doit indiquer que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques priment sur les autres dispositions du traité.