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Impact prévisible global du traité euro-­‐étasunien 144

6   Des garanties et avantages illusoires 137

6.2   Des avantages socio-­‐économiques attendus dérisoires 143

6.2.2   Impact prévisible global du traité euro-­‐étasunien 144

Si les citoyens sont tenus éloignés des discussions sur le traité euro-étasunien, c'est peut-être parce que, comme l’a souligné le prix Nobel Joseph Stiglitz 495, « la probabilité que ce qui ressortira des discussions à venir puisse servir les intérêts des Américains ordinaires est faible ; les perspectives pour les citoyens ordinaires des autres pays sont encore plus sombres. » Qu'en est-il ?

Évaluations  économiques  néoclassiques  

La Commission européenne et dans son sillage tous les défenseurs du projet euro-étasunien met en avant les résultats d'une étude de 2013 273 que la Commission a confiée au Centre for Economic Policy Research (CEPR), un think tank (groupe de réflexion) londonien financé par la Deutsche Bank, BNP Paribas, Citigroup, Barclays, JP Morgan, etc. 367 que la Commission européenne présente néanmoins comme « indépendant ». Selon la Commission 147, cette étude prévoit pour 2027 120 milliards d’euros d'augmentation du PIB de l'UE, soit une augmentation de 0,5 %. Dans un autre document 145, la Commission parle d'une « progression de 0,5 à 1 % du PIB, soit 119 milliards d’euros par an ».

Quand on lit l’étude elle-même, on voit d'une part que le gain de PIB attendu est de 68 à 119 milliards d’euros selon les scénarios et non 120, ensuite que nulle part n'est mentionnée une progression de 1 %, et enfin que l’étude appelle à exploiter ses résultats avec précaution, car faire des projections sur l'abaissement des lois et réglementations (dites barrières non tarifaires) est plus difficile que de faire des projections sur l'impact de la diminution des droits de douane, c'est même excessivement difficile selon un rapport pour le Parlement européen 437. Quel est par exemple l'impact

de la suppression d'un règlement sur l'usage de tel produit toxique dans la couleur pour les peintures destinées au bâtiment ? En outre, les résultats, les avantages calculables, en étant prudent, sont attendus à l'horizon 2027. Les documents de la Commission peuvent en outre donner l'impression d'une croissance de 0,5 % par an, alors que l'étude prévoit une augmentation de 0,27 à 0,48 % du PIB dans 10 ans, ce qui correspond à une augmentation de 0,027 à 0,048 % par an.

Ce même document de la Commission 145 poursuit : « Globalement, l’accroissement des échanges représenteraient une hausse de 6 % des exportations totales de l’UE et de 8 % des exportations des États-Unis, pour une valeur de respectivement 220 milliards d’euros et de 240 milliards d’euros. » Le rapport du CEPR prédit en fait une augmentation des exportations de l'UE de 125 à 220 Md €... mais aussi une augmentation des importations de l'UE plus élevée – de 128 à 226 Md €. Le traité se traduirait donc pour l'Union européenne par un déficit commercial. Les défenseurs des traités ne communiquent que sur l'augmentation des exportations et oublient systématiquement l'augmentation des importations, comme la Commission ou Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, qui argumente sur l’ouverture de « marchés restés jusqu’à présent difficiles d’accès pour nos entreprises » 252.

L'étude prévoit en outre une diminution de 72 Md € du commerce intra-europunien, soit d'environ 3 %.

La Commission déduit de la hausse des exportations une augmentation des emplois liés à l'exportation de « plusieurs millions ». Selon ses propres hypothèses, un milliard d’euros de croissance des exportations créerait 15 000 emplois : une augmentation des exportations de l'Union de 220 milliards d'euros (selon la Commission) donnerait donc 3,3 millions d'emplois créés. Comme nous avons aujourd'hui (fin 2015) 21,9 millions de chômeurs dans l'UE à vingt-huit, nous aurions donc une diminution de 15 % du chômage actuel en 2027, en raison de l'augmentation des exportations. La Commission se garde cependant bien de chiffrer le nombre d'emplois détruits par la croissance des importations.

La Commission européenne ne recule d’ailleurs devant aucun argument pour justifier les traités : dans un autre argumentaire 153, elle avance – sans le moindre argument – que des réglementations différentes des deux côtés de l’Atlantique avec un même degré de protection induisent une « bureaucratie superflue » susceptible d'augmenter le coût des biens de 10 à 20 %, chiffre énorme et manifestement très surévalué : comment peut-on croire que répondre à une norme étrangère équivalente à la norme locale peut faire augmenter le prix de production dans de telles proportions ? Plus sérieusement, trois études font la synthèse des études d'impact du traité euro-étasunien. Est d'abord parue en mars 2014 une étude de la Fondation autrichienne pour la recherche sur le développement (ÖFSE) 463, commanditée par le groupe de la Gauche unitaire européenne - Gauche

verte nordique (GUE-NGL) du Parlement européen, et menée sous la responsabilité de Werner Raza, économiste spécialiste du commerce international et du développement et directeur de l'ÖFSE. Puis en

octobre 2014 est parue l'étude de Jeronim Capaldo, chercheur de l'Université de Tufts aux États-Unis et à l'Organisation internationale du travail OIT 99. Il s'agit d'une étude d'impact du traité, mais qui a d'abord fait la synthèse critique des études précédentes. Enfin en janvier 2015, a été publiée l'étude de l’Institut syndical européen (European Trade Union Institute, ETUI) 403, le centre indépendant de

recherche et de formation de la Confédération européenne des syndicats (CES), signée de Martin Myant, directeur de recherche, et Ronan O’Brien, chercheur indépendant.

Outre l'étude du CEPR publiée en 2013 et déjà citée 273, ces différentes synthèses analysent quatre autres études d'impact du traité euro-étasunien :

- une étude du bureau d'étude hollandais ECORYS de 2009 a 59,

                                                                                                               

a J. Francois est à la fois le deuxième auteur de cette étude, le responsable de l'étude du CEPR de 2013 273, et

- une étude allemande publiée en janvier 2013 et menée par des économistes de l’institut IFO de

Munich pour le ministère de l'Économie 259, qui a servi de base à des études légèrement ultérieures – publiées en juin 2013 – menées par le même institut et financées par la Fondation Bertelsmann 258,

- une étude d'un service du premier ministre français, le CEPII, publiée en septembre2013 266 (non

prise en compte par la synthèse d'ETUI),

- une nouvelle version de l'étude Bertelsmann, publiée en octobre 2014 260, prenant en compte les échanges commerciaux de 173 pays (au lieu de 126 dans l'étude initiale) et utilisant les données de 2012 (au lieu de 2007). Cette étude récente n'est analysée que par la synthèse la plus récente, celle d'ETUI.

On peut citer en outre une étude d'impact de 2010 216 menée par le Centre européen d’économie politique internationale de Bruxelles (European Centre for International Political Economy, ECIPE),

et une mise à jour de l'étude du CEPR réalisée par ECORYS en 2016 210, qui n'ont pas été analysées par

les trois synthèses.

Quelles sont leurs conclusions ?

La plupart de ces études – y compris la principale et la plus développée des études de l'IFO 259 –

donnent des impacts du traité euro-étasunien sur le PIB, les échanges commerciaux et les salaires, faibles mais positifs. Les augmentations de PIB et de salaires sont estimées aller de 0,3 à 1,6 % dans l'Union européenne. Seules les études Bertelsmann 258 et IFO de 2014 260 prévoient des augmentations

de PIB beaucoup plus élevées, respectivement de 5,2 et 3,9 % pour l'UE, 13,4 et 4,9 % pour les États- Unis. Mais ces chiffres paraissent peu crédibles à différents auteurs comme à la Commission européenne 147, 403.

Quant à l'impact sur l'emploi, toutes les études (sauf celles de l'IFO) considèrent par hypothèse le

plein emploi sur toute la période d'étude et ne peuvent donc évaluer un impact sur l'emploi. Seules les études de l'IFO évaluent l'impact sur l'emploi. La principale étude de l'IFO (pour le ministère) prévoit

une augmentation de 124 000 emplois au sein de l'UE, de 69 000 aux États-Unis et une perte de 165 000 emplois ailleurs dans le monde. Les études Bertelsmann 258 et IFO de 2014 260 prévoient des

augmentations de l'emploi dix fois plus élevées – 0,42 point au maximum, soit environ 1,3 million d'emplois créés dans l'Union, et environ 1,1 million aux États-Unis, ce qui cependant semble totalement irréaliste à la fois aux auteurs des études de l'ÖFSE, d'ETUI, comme du premier rapport IFO

pour le ministère allemand, entre autres 403, 437.

Ces impacts positifs sont essentiellement dus à l'harmonisation réglementaire : l'étude du CEPR évalue ainsi l'impact maximal de l'élimination des droits de douane à 0,11 % de croissance du PIB en dix ans sur un total de 0,48 %, le reste étant dû à l'harmonisation réglementaire. Ce rôle premier de l'harmonisation réglementaire est confirmé par la mise à jour 2016 de cette étude qui l'évalue à 76 % de l'impact économique pour l'UE et 87 % pour les États-Unis.

L'impact global du traité euro-étasunien sur le PIB et l'emploi de l'UE serait donc très faible selon les études les plus communément admises que nous venons de voir, au plus de 0,1 point de PIB par an. Toutes ces évaluations sont globales, pour l'ensemble de l'Union ou pour les États-Unis. Mais, à la différence des États fédérés américains, les États membres de l'UE sont en concurrence et aucun budget communautaire ne permet de répartir et de redistribuer les gains obtenus par un pays pour compenser les pertes subies par un autre. Il est donc extrêmement réducteur de ne considérer qu'une moyenne europunienne. C'est pays par pays qu'il faudrait faire l'inventaire des coûts-avantages du traité euro-étasunien.

Des études d'impact national ont donc été commandées par certains gouvernements, et notamment : - pour les Pays-Bas, l'étude d'Ecorys publiée en octobre 2012 451 évalue l'impact global et détaillé

les États-Unis, l'UE et les Pays-Bas ;

- pour la Suède, l'étude de l'Office national suédois du commerce publiée en novembre 2012 361 évalue secteur par secteur l'impact du traité euro-étasunien pour la Suède, le reste de l'UE, les États-Unis et le reste du monde ;

- pour l'Autriche, l'étude du FIW publiée en janvier 2013 274 évalue l'impact sur l'Autriche du traité euro-étasunien, mais aussi du traité euro-canadien et du traité entre l'UE et la Géorgie, la Moldavie et l'Arménie ;

- pour le Royaume-Uni, l'étude du CEPR publiée en mars 2013 112 évalue l'impact du traité euro- étasunien sur ce pays, les États-Unis et le reste de l'UE, par secteur économique ;

- Pour l'Italie, l'étude de Prometeia 183 publiée en juin 2013 évalue l'impact du traité euro-étasunien sur ce pays par secteur économique ;

- pour la France, l'étude du CEPII publiée en septembre 2013 et citée plus haut 266, qui, outre

l'impact global du traité euro-étasunien sur les États-Unis et l'UE à 27 États membres, évalue l'impact sur l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et les pays en accession ; elle reste cependant globale, de donnant aucun résultat par secteur économique. Il n'y a eu depuis aucune étude plus précise à notre connaissance.

Toutes ces études sont basées sur la théorie économique néoclassique, et comme les études plus globales, elles recourent aux mêmes modèles. Les gains attendus en terme de PIB restent faibles, ils sont cohérents avec le gain estimé pour l'UE, mais seule l'Autriche parmi les six pays étudiés subirait un impact économique supérieur à l'impact prévu pour l'Union : cf. Tableau 7.

Pays impacté Allemagne Autriche Espagne France Italie Pays-Bas Roy.-Uni Suède Études nationales - 1,7 274 - 0,2 266 0,3 183 0,2-1 451 0,14-

0,35 112 0,2

361

Étude WTI 275 0,6 0,9 0,4 0,3 0,5 0,5 0,4 0,5

Tableau 7 : Impact à long terme du traité euro-étasunien sur le PIB (en %) de différents pays selon les études.

À ces études nationales, s'ajoute l'étude de l'Institut du commerce mondial (World Trade Institute) regroupant douze laboratoires de neuf pays européens, lequel a évalué l'impact du traité sur chacun des États membres de l'UE pour la Chambre de commerce étasunienne auprès de l'UE 275. Cette étude utilise la même méthode que les autres études néoclassiques et la plupart des principaux auteurs de ces études y ont participé. Quatorze ans après la mise en œuvre du traité, elle prévoit des variations des PIB nationaux de -0,3 à +1,6 %. Nous en donnons quelques résultats Tableau 7 : si le résultat global est proche des autres évaluations, pays par pays, les différences sont relativement importantes. Les salaires devraient connaitre des variations de -0,2 à +1,5 % : +0,3 % pour la France, +0,4 % pour l'Italie et la Grande-Bretagne, +0,6 % pour l'Allemagne. La mise à jour 2016 de l'étude du CEPR, réalisée par certains des auteurs de l'étude du WTI, donne des résultats très proches 210.

De son côté, la Fondation Bertelsmann a évalué l'impact du traité avec les États-Unis sur les échanges commerciaux et l'emploi des 50 États étasuniens 48.

Quel serait l'impact du traité sur le reste du monde, c'est-à-dire sur les pays non directement concernés ? En termes d'échanges commerciaux, les études Bertelsmann/IFO 258, 440 prévoient une

réduction significative (d'environ un tiers) des exportations vers les États-Unis de l'Inde, de la Chine, de l'Indonésie, de la Thaïlande et de la Corée du Sud. La diminution des exportations de ces pays vers des pays membres de l'Union sont plus faibles, mais sont proches d'un quart dans de nombreux cas. Cependant, nous avons vu plus haut le peu de crédit que l'on peut accorder aux études de l'IFO. Une

commerciaux avec les seuls pays en développement : ils restent faibles pour la plupart des pays. Ils seraient cependant très significatifs quant aux exportations vers les États-Unis pour le Niger (-12 %), le Kirghizistan (-4 %) et le Malawi (-3 %). Pour les exportations vers l'UE, les impacts resteraient faibles, au plus de -1 % pour l'Afghanistan.

En termes non plus d'échanges commerciaux mais de PIB par habitant, les études Bertelsmann/IFO

prévoient des diminutions systématiques pour tous les partenaires commerciaux de l'UE, de -3 à - 10 %. Les diminutions les plus importantes concerneraient le Canada (-10 %), l'Australie et le Mexique (de -7 à -8 %), le Belize, le Japon, le Chili, la Jordanie, Israël et le Costa Rica (de -5 à - 6 %).

Évaluation  à  l'aide  du  "Modèle  des  politiques  mondiales"  des  Nations  Unies  

À côté des études néoclassiques, Jeronim Capaldo de l'Université de Tufts, après avoir passé en revue les études d'impact antérieures, évalue l'impact du traité euro-étasunien en utilisant un autre modèle de simulation, à savoir le "Modèle des politiques mondiales" des Nations Unies, lequel prend en compte plusieurs mécanismes d’ajustement importants souvent négligés par les autres modèles comme la distribution des revenus ou les relations entre croissance et emploi 99.

De manière généralisée dans l'UE, le traité se traduirait en 2025 par une baisse de l'activité économique, des revenus et de l'emploi. De plus, sa mise en œuvre augmenterait l'instabilité financière, diminuerait les recettes fiscales et réduirait encore la part des salaires dans la valeur ajoutée. A l’inverse, la part des profits et des rentes dans le revenu global augmenterait, ce qui indique qu’il y aurait, proportionnellement, un transfert de revenus du travail au capital. Le traité conduirait selon cette étude à la désintégration plutôt qu'à l'intégration européenne. En revanche, l'effet serait positif aux États-Unis.

Les résultats dépendent du pays concerné comme le montre le Tableau 8. La France serait, avec les pays nord-européens, la plus touchée : baisse de 0,5 % du PIB, perte de 130 000 emplois, réduction moyenne des revenus des actifs de 460 euros par mois, baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée de 8 points (elle était de 62 % en 2013 selon l'étude), baisse des ressources budgétaires de 0,6 point de PIB (elles étaient de 52,9 points de PIB en 2013).

Le traité euro-étasunien est donc susceptible de provoquer des évolutions divergentes et inégalitaires selon les États membres et donc d'accentuer les actuels déséquilibres.

 

Exportations nettes

Croissance

du PIB Emplois Salaires Impôts nets

Unités % PIB diff. entre les % unité €/employé/ mois % PIB

États-Unis 1,02 0,36 784 000 58 0,00

Royaume-Uni -0,95 -0,07 -3 000 -354 -0,39 Allemagne -1,14 -0,29 -134 000 -284 -0,28

France -1,90 -0,48 -130 000 -460 -0,64

Italie -0,36 -0,03 -3 000 -55 0,00

Autres pays d'Europe du Nord -2,07 -0,50 -223 000 -404 -0,34 Autres pays d'Europe du Sud -0,70 -0,21 -90 000 -14 -0,01

Total UE -583 000

Tableau 8 : Effets à long terme du traité euro-étasunien selon l'étude de Capaldo 99. Les chiffres reflètent une simulation des bénéfices et pertes en 2025. Les impôts nets sont calculés d’après les impôts indirects moins les subventions.

Bien que l'objectif annoncé du traité soit in fine de créer des emplois et de la croissance au sein de l'Union européenne, grâce à un accès accru aux marchés, une plus grande compatibilité de la réglementation et la définition de normes mondiales (article 7 du mandat de la Commission), on ne peut que douter de la réalité de cet objectif. En effet, les différentes études d'impact qui ont été réalisées ne prévoient au mieux que de très maigres avantages pour les citoyens dans 10 à 20 ans (c'est notamment le cas de l'étude mise en avant par la Commission), et au pire des pertes considérables sur tous les plans. Cela n’empêche pas le ministre des Affaires étrangères d’affirmer que « les évaluations montrent que les gains potentiels sont significatifs pour la France et l’Union européenne » 252.

Figure 6 : Poids des petites et moyennes entreprises au sein de l'UE et en France 206.