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Appellations d’origine protégée et autres indications géographiques 96

4   Changer la règlementation au profit des multinationales 57

4.6   Impacts dans les différents domaines 81

4.6.7   Appellations d’origine protégée et autres indications géographiques 96

L'Union européenne protège une multitude d'indications géographiques, dans le domaine des vins et spiritueux, de la production fromagère et fruitière, des pâtisseries, des produits issus de la viande (foie gras, confit...), en particulier en France, en Italie, en Grèce, en Espagne, mais également en Allemagne ou encore aux Pays-Bas. L'indication géographique donne à un produit sa réputation et augmente sa valeur commerciale. Ce sont donc des sujets de grande importance pour les producteurs agricoles et agroalimentaires europuniens et leurs fédérations comme pour les consommateurs.

Les Étasuniens souhaitent assouplir les règles d'utilisation de toute une liste d'indications géographiques de façon à pouvoir les utiliser pour des produits fabriqués outre-Atlantique, comme le champagne en Californie, la feta, la mozzarella... Concession inacceptable pour les Europuniens sur le papier, ce qui, d'après nos informations, empêcherait toute discussion concrète pour l'heure.

Récemment, lors d'un débat entre le secrétaire d’État américain à l'agriculture, Tom Visack, et le commissaire européen, Phil Hogan, ce dernier a clairement réaffirmé la détermination de Bruxelles à obtenir un niveau de protection maximale des indications géographiques europuniennes. À quoi Tom Visack répondit : « Tant que vous ne saurez pas me montrer Feta sur une carte, nous ne vous accorderons pas le monopole de l'usage de cette appellation ». En effet, pour un certain nombre d’appellations, la proposition étasunienne consiste très exactement à reconnaître à l'Union européenne l'usage de l'indication géographique accolée au lieu exact (pays ou région), mais de conserver le droit d'utiliser l'appellation générique. Par exemple, seule la Grèce pourrait commercialiser de la feta « de Grèce », mais n'aurait pas le monopole du nom « feta » ; des fromagers étasuniens pourraient ainsi en fabriquer et en commercialiser sans aucune autre précision.

Le concept d’appellation d’origine, essentiel pour les Europuniens pour pouvoir combattre ce qu’ils considèrent comme des contrefaçons étrangères, est en effet pratiquement ignoré aux États-Unis et au Canada. En France et, par extension, en Europe, l'indication géographique est fondée sur une propriété publique, l'État étant nu-propriétaire et les ayants droit – les acteurs d'une filière, qu'ils soient vignerons, producteurs de fromage ou de jambon – n'en sont que des usufruitiers. Les pays d'Amérique du Nord n'ont pas du tout cette conception. Seule la marque privée dont l'entreprise est propriétaire est reconnue et protégée. Le statut de propriété publique d'une AOP ou d'une IGP n'a donc aucun sens pour eux. Les Étasuniens s’en tiennent à l’idée d’un registre volontaire, sans valeur contraignante, et uniquement pour les vins et spiritueux 159, 182. Quelle sera la décision finale ?

La France reconnaît actuellement 102 appellations d'origine protégée ou AOP dans le domaine alimentaire (hors vins et alcools) : 52 fromages et autres produits laitiers, 16 fruits et légumes, 14                                                                                                                

olives et huiles d'olive, 12 viandes et charcuteries, et 8 autres productions. Cette dénomination protège un produit dont la production, la transformation et l'élaboration doivent avoir lieu dans une aire géographique déterminée avec un savoir-faire reconnu et constaté. La Belgique en reconnaît 2, l'Espagne 105. Sont reconnues aussi de nombreuses indications (et non appellations) géographiques protégées ou IGP, qui protègent un produit dont la production, ou la transformation ou l'élaboration doit avoir lieu dans une aire géographique déterminée.

Le traité euro-canadien abandonne la plupart d'entre elles a : 173 dénominations europuniennes seraient « sauvées » dont 42 dénominations françaises et 27 espagnoles. Cependant, la simple comptabilisation des AOP ou IGP reconnues dans le traité amène à surévaluer leur nombre, car une même appellation peut être reconnue sous différents noms dans le traité et donc compter pour plusieurs (ainsi l'AOP Cantal est aussi reconnue sous les noms de fourme de Cantal, petit Cantal et Cantalet). 12 des 42 appellations françaises reconnues dans le traité (six AOP et six IGP) ne sont que des déclinaisons d'autres appellations, ainsi que 3 des 26 appellations espagnoles reconnues. Au total, les 173 dénominations reconnues par le traité ne représentent que 145 AOP ou IGP réelles.

Finalement 30 dénominations françaises, soit 24 appellations d'origine protégée sur 102 et 6 indications géographiques protégées sur 97 sont reconnues dans le traité euro-canadien. En Belgique, aucune des trois AOP ou des onze IGP n'est reconnue. En Espagne, 19 AOP sur 105 sont reconnues, ainsi que 4 IGP sur un peu moins d'une centaine. On en trouvera la liste en Annexe 5.

Cela signifie que n'importe quelle producteur canadien ou europunien de produits laitiers pourra par exemple vendre au Canada du beurre quelconque sous le nom de « beurre d'Isigny » ou n'importe quel fromage sous le nom de « bleu des Causses », dénominations exclues des dénominations retenues par le traité.

En outre, pour certaines appellations protégées par le traité, la protection ne s'applique pas ou s'applique partiellement pour les producteurs canadiens déjà actifs sur le marché canadien au 18 octobre 2013, les restrictions d'appellation étant limitées aux nouveaux acteurs de la filière b. Cela concerne notamment le Munster français, les Gorgonzola, Fontina et Asiago italiens, et la Feta grecque. Cela concerne aussi le Jambon de Bayonne, le Beaufort, et les Nürnberger Bratwürste (saucisses à griller de Nuremberg), expressions toujours utilisables par les entreprises qui les utilisaient depuis cinq ans au moins, et encore utilisables pendant cinq ans seulement par les entreprises qui les utilisaient depuis moins de cinq ans.

Enfin, le chapitre du traité concernant l’origine des produits indique qu’un produit dont l'origine est reconnue par le traité peut être constitué de matières dont l'origine n'est pas reconnue... Par exemple, la définition de l'indication géographique « Scotch whisky » implique seulement que le whisky a été distillé en Écosse avec de l'eau d'Écosse, mais pas nécessairement avec des céréales écossaises ou même de l'UE. Il peut donc être produit à partir de maïs OGM importé des États-Unis ou d'Amérique du Sud 66. Ainsi, les consommateurs ne pourront plus réellement se fier aux AOP encore existantes pour s’assurer de la qualité des produits.

Une telle réforme tuerait donc nombre de productions locales européennes dont la valeur repose sur leur origine certifiée 31. Mais selon le précédent négociateur européen, K. de Gucht, l’acceptation par les États-Unis des indications géographiques pourrait servir de compensation à l’ouverture du marché européen du bœuf, du porc et des volailles aux exportations américaines 322 p. 46. Ce donnant-donnant est confirmé par Christian Schmidt, le ministre allemand de l'agriculture, qui a déclaré début janvier 2015 au journal allemand Der Spiegel : « Si nous voulons profiter des avantages du libre-échange avec le gigantesque marché américain, nous ne pourrons plus protéger chaque type de saucisse et de fromage comme une spécialité » 187, 474...

Concernant le traité euro-étasunien en négociation, la Commission européenne a fait une proposition                                                                                                                

a Annexe 20-A Partie A. b Article 20.21.

des 201 indications géographiques qu’elle veut protéger, y compris 75 fromages 159, 239. Pour la France, la Belgique et l'Espagne, toutes les indications géographiques reconnues par le traité euro- canadien sont inclues, auxquelles s'ajoutent dix AOP et une IGP françaises non viti-vinicoles, une AOP et une IGP belges, et deux AOP espagnoles.

Dans le domaine des vins, les appellations et indications géographiques protégées représentent plus de 85 % des vins produits en France. L'Assemblée des régions européennes viticoles (AREV), qui

fédère 70 régions viticoles européennes par le biais d'un représentant politique et d'un représentant de la profession, explique que les vins européens respectent les normes de l’Organisation internationale du vin (OIV) qui sont plus ambitieuses que les normes suivies par les États-Unis et qui risquent d’être sacrifiées dans la mesure où les États-Unis ont quitté l’OIV en 2001, précisément parce qu’ils n’ont pas souhaité se lier aux normes établies et observées par cette organisation internationale. En novembre 2015, l’AREV a adopté une résolution appelant la Commission européenne à assurer la

protection des appellations géographiques et des mentions traditionnelles, ainsi que le respect des normes et réglementations sanitaires, environnementales et culturelles 30, 507.

Le traité de libre-échange entre l'UE et le Canada incorpore l'Accord entre la Communauté économique européenne et le Canada concernant le commerce des boissons alcooliques de 1989 tel que modifié, et l'Accord entre la Communauté européenne et le Canada relatif au commerce des vins et des boissons spiritueuses de 2003 3 en les amendant marginalement a. Les indications géographiques europuniennes dans ce domaine semblent être et rester reconnues au Canada.