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Stimuler les investissements ou garantir les profits ? 64

4   Changer la règlementation au profit des multinationales 57

4.2   Stimuler les investissements ou garantir les profits ? 64

Le projet de traité entre l'Union européenne et le Canada inclut une clause de « traitement juste et équitable » inscrite dans presque tous les traités d’investissements bilatéraux et multilatéraux. Selon cette clause, une société pétrolière ou gazière canadienne peut, par exemple, faire valoir qu’elle avait l’impression qu’un projet d’exploitation de pétrole ou de gaz de schiste obtiendrait le feu vert, étant donné les signaux favorables envoyés par les autorités au sein de l'UE. Et s'il ne l'obtient pas, considérer qu’elle est l’objet d’un traitement injuste et inéquitable, et réclamer en conséquence des compensations 557.

Le traité prévoit également d’intégrer une disposition de « protection des investissements ». La section définissant les obligations de protection des investissements des parties au traité euro- canadien détaille la définition de l'expropriation directe ou indirecte a, sachant que cela peut être défini par un faisceau d'indices multiples parmi lesquels le fait que les mesures ont un « effet sur la valeur économique de l'investissement » (point 2-a) ou qu'elles aient un impact sur les « attentes définies et raisonnables sous-tendant l’investissement » (point 2-b). Le texte permet donc aux entreprises europuniennes et canadiennes de fonder la rentabilité de leurs investissements sur une garantie de stabilité réglementaire ou normative, garantie du financement immédiat de leur projet et garantie des profits futurs.

b

Ce point est extrêmement important et il est nouveau 15. Le caractère extraordinairement flou de la notion ouvre la porte aux interprétations favorables aux entreprises, et suspendra une épée de Damoclès sur toute décision publique : comment la puissance publique pourrait-elle effectivement garantir l'intangibilité des lois et des règlements applicables aux acteurs économiques privés ? Ce serait renoncer à toute réglementation touchant aux entreprises. C'est pourtant bien ce que suggère le texte du traité. De plus, seront attaquables les mesures « manifestement excessives », y compris celles prises « dans un but légitime de protection du bien-être public, par exemple en matière de santé, de                                                                                                                

a Annexe 8-A point 2.

sécurité et d'environnement », mais seulement dans « de rares cas » a.

De son côté, le traité euro-étasunien accorde aussi à tout investisseur le droit de bénéficier d’un cadre réglementaire conforme à ses «prévisions» – il convient ici d’entendre que le gouvernement s’interdira de modifier sa politique une fois que l’investissement a eu lieu. Quant au droit d’obtenir une compensation en cas d’«expropriation indirecte», il permet aux investisseurs de réclamer un dédommagement suite à une réglementation ayant pour effet de réduire ou d’éliminer les perspectives de profits de la compagnie. En clair : vous n’avez encore rien investi, mais pour des raisons environnementales ou sanitaires on vous interdit de le faire, vous êtes alors en droit de réclamer des compensations pour les profits que vous ne ferez pas !

Ces mesures sont prises, est-il avancé, pour protéger et stimuler les investissements : le préambule du traité euro-canadien « reconnaît que la protection des investissements et des investisseurs stimule les affaires d’une manière mutuellement avantageuse ». De son côté, le mandat de négociation confié à la Commission européenne pour le traité euro-étasunien prévoit de négocier « des dispositions concernant la libéralisation et la protection des investissements » b pour notamment augmenter « l'attractivité de l'Europe en tant que destination d'investissements étrangers » c. Cela vise à mettre les investisseurs étrangers à l'abri des modifications des politiques publiques. Ainsi, les investissements étrangers seraient d'autant plus importants et productifs que leur seraient assurés un cadre législatif et judiciaire favorable, continu et prévisible et une totale liberté de circulation.

Pourtant, de nombreuses études tendent à démontrer le contraire. L'idée selon laquelle plus un pays libéralise le secteur des investissements – notamment via la signature de traités d’investissement, plus il reçoit d'investissements directs étrangers est un mythe. Plusieurs études de la Banque mondiale 310 et de l'organe des Nations Unies chargé des questions de développement et de commerce international (la CNUCED) 133, démontrent que l'introduction de dispositifs de libéralisation et de « protection des

investissements » ne favorise pas l'accroissement ou le renforcement des flux d'investissements directs étrangers. Le développement des infrastructures, l'importance du marché intérieur ou le dynamisme du secteur productif local sont bien plus décisifs. La Chine et la Malaisie, pourtant connus pour être restrictifs dans l'accueil des investissements étrangers, en reçoivent beaucoup, alors qu'à l'inverse, bon nombre de pays d'Afrique, pourtant bien plus libéralisés, en reçoivent très peu 10, 517. Le Brésil, qui n’est signataire d’aucun traité bilatéral d’investissement, n’en est pas moins le principal bénéficiaire des investissements étrangers en Amérique du Sud 101, 283. L'Irlande a de même réussi à attirer énormément d’investissements étrangers sans jamais inclure de mécanisme de règlement des différends investisseur-État dans ses accords commerciaux. Xavier Carim, ambassadeur d’Afrique du Sud à l’OMC, a fait remarquer lors d’une conférence en décembre 2014 à Bruxelles, que, malgré le fait qu’elle ait mis un terme à tous les accords d’investissement, l’Afrique du Sud a enregistré une augmentation des flux d’investissements directs étrangers 53.

On doit même se demander si le commerce est bien facteur de richesses pour les nations, et donc s'il est utile au bien commun d'augmenter les échanges commerciaux. Quand on met en parallèle, pour chaque pays, d'une part ses importations et exportations rapportées à son produit intérieur brut, d'autre part son niveau de développement, on obtient des résultats étonnants : on voit Tableau 5 que les pays les plus pauvres sont plus intégrés au marché mondial que les grands pays occidentaux ; le Brésil est l'exception 66. Pour arriver à ce résultat, il faut bien sûr comparer des pays de taille comparable, car un petit pays aura de par sa taille une tendance naturelle à commercer avec ses voisins, tandis qu'un grand pays pourra trouver facilement ses fournisseurs et ses clients en son sein : il suffit pour s'en convaincre de comparer le poids de l'import-export au sein de l'Union européenne, qui se monte à 41 % quand on intègre le commerce intra-UE, mais tombe à 17 % quand on l'exclut d'après les chiffres respectivement de la Banque mondiale 574, et de l'OMC 417.

                                                                                                                a Annexe 8-A point 3.

b Article 22. c Article 23.

Brésil États-Unis Japon européenne Union Chine Russie Inde Afrique sub-saharienne 13,8 % 15,0 % 15,5 % 17,0 % 25,1 % 25,4 % 26,6 % 33,7 %

Tableau 5 : Échanges de biens et services rapportés au produit intérieur brut en 2013 par grande région : (exportations + importations) / 2 / PIB, selon les données de la Banque mondiale 574 et de l'OMC 417. L'ensemble "Afrique sub-saharienne" inclut les échanges internes, mais ceux-ci sont très faibles : par exemple les imports-exports de la CEDEAO de et vers le reste de l'Afrique sub-saharienne se montent à 5,4 % 66.