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Le traducteur ou l'éternel combattant

Deuxième Partie : la socio-psychologie

Chapitre 1 : de l'individu au groupe

III. Le traducteur ou l'éternel combattant

La profession de traducteur est, à bien des égards, semblable à un combat. Les adversaires que le praticien serait amené à affronter sont protéiformes. Il est évident que l'ennemi juré du traducteur en exercice reste l'oisiveté. Nous pouvons voir que la traduction de par la nature de cette activité entraîne une nécessité de perfectionnement qui ne connaît aucune limite. Ainsi les acquis doivent toujours être actualisés et l'apprentissage, lorsqu'on vient à la traduction ne peut jamais être considéré comme pleinement et complètement achevé.

Cette observation constituera le premier point de cette partie qui consiste à envisager le traducteur comme un professionnel dont l'objectif ultime est l'apprentissage et l'éternel enrichissement de ses connaissances. Le deuxième temps de notre propos consistera à se focaliser sur un aspect tout autre de la combativité dans le cadre de la profession de traducteur, il s'agira d'observer les possibilités d'implémentations des outils d'aide à la traduction dans le cadre d'une situation de handicap vécu par un praticien. Ne nous limitant pas à la seule observation des outils d’aide à la traduction, nous couvrirons également de manière plus générale la dimension dans laquelle la profession de traducteur constitue une activité professionnelle de choix lorsqu'on doit compter avec un handicap, éternel comparse du quotidien. Enfin, nous proposerons une réflexion quelque peu plus philosophique sur la force des mots et de l'expression écrite comparée à la force du mouvement et de l'expression physique. Nous conclurons ainsi ce premier pan de notre analyse sur le positionnement social du traducteur professionnel dans une perspective psychosociologique.

1. Combattant et élève de toute une vie

76 L'une des constantes chez tous les éminents penseurs de la traduction est sans nul doute l'idée de considérer comme indispensable à l'exercice des activités de traduction une curiosité des plus vaste et étendue. Bien que la polyphonie du discours traductologique peut parfois mener à des conclusions et demeure parfois très discutable, voire contestable, il est une idée sur laquelle tout le corps professionnel de traduction accorde ses violons : la traduction exige de celui qui l'exerce une curiosité de tout, à chaque instant.

La variété des sujets abordés au cours de traductions dans les mandats qui sont proposés impose au traducteur de toujours se tenir informé des dernières actualités ou des dernières avancées dans le domaine dont il est question. Il est en outre indéniable que le principal attrait de cette profession réside justement dans cette multiplicité de domaines auxquels le praticien a affaire.

Ainsi un traducteur ne peut jamais réellement considérer que son apprentissage est terminé puisque la nature même de sa profession le met dans la position d'un éternel apprenant sur chaque sujet qu'il aborde. La formation continue est inhérente à la profession de traducteur ; elle en est à la fois la clef est l'attrait. C'est pourquoi nous pouvons dire que le traducteur devra, pour être performant, accepté de combattre sa propre paresse et ainsi ne pas céder à la nature humaine qui le mènerait à penser que les acquis sont immuables. C'est pourquoi l'exercice de la profession de traduction entraîne également à un certain degré d'importantes remises en question de la part du praticien.

Quel que soit le domaine de spécialisation du traducteur, son métier ne souffre aucune inertie ni aucun isolement. Au vu des observations que nous avons fait il apparaît plus qu'évident que les sujets des traductions sont changeants et conduisent de ce fait à au un éternel besoin de perfectionnement. Nous savons donc que le profil du traducteur est quelque peu atypique car c'est un professionnel qui a pour base une formation racine mais dont le champ d'exercice variera selon les lectures, la documentation et les recherches personnelles. Une exhaustivité de connaissance sur tous les domaines étant humainement impossible, il paraît naturel que le traducteur soit en quelque sorte polymorphe : tantôt juriste, puis scientifique en passant par auteur de romans à succès. C'est là toute la particularité du traducteur qui doit être capable d'endosser plusieurs rôles sans jamais laisser voir qu’il ne s’agit pas de son domaine de prédilection tout en sachant se faire assez discret pour ne pas entacher d'une implication trop personnelle le contenu du mandat qui lui est proposé.

Or pour parvenir à cet équilibre fragile, il n’existe qu’une seule solution, saisir chaque occasion qui se présente pour accumuler des connaissances sur tous les sujets de sorte à pouvoir en parler le cas échéant dans le cadre d'une traduction comme s'il s'agissait de son domaine de spécialité.

En ce sens nous pouvons dire que le traducteur est un combattant de l'inaction dans le cadre des connaissances mais également un combattant de la monotonie qui a besoin d'un milieu toujours

77 différent pour s'épanouir et étancher sa soif de connaissance. Ainsi la nature de la profession de traducteur permettrait de faire perdurer un apprentissage académique jusqu'à une période très avancée de la vie et nous allons voir maintenant qu'elle est également un fantastique moyen de combattre les obstacles et les embûches que la vie pose sur le chemin de personnes souffrant d'un handicap car elle leur permet l'épanouissement personnel et intellectuel outre leur situation.

2. Traducteur par force et par passion

Comme nous l'avions déjà évoqué en d'autres endroits de ce texte, la traduction constitue une vie est une activité professionnelle privilégiée pour les personnes souffrant d'un handicap. De par le fait, elle permet une activité intellectuelle très stimulante sans pour autant exiger de celui qui la pratique un effort physique. En effet, l'outil informatique devenu aujourd'hui indispensable dans le cadre de l'exercice de la traduction est le meilleur allié de la personne souffrant d'un handicap à la fois au quotidien et a fortiori dans le cadre d'une activité professionnelle de traducteur. Il y a un grand nombre d'outils disponibles sur le marché que l'on appelle les outils d'aide à la traduction et qui comprennent tous les logiciels destinés à la traduction assistée par ordinateur (TAO), ou plus précisément les banques de données terminologiques, les mémoires de traduction, les concordanciers et les bi-textes. Ce sont là des logiciels qui ont prouvé leur utilité et qui ne sont en aucun cas explicitement adressé au traducteur qui souffrirait d'un handicap.

Toutefois il est un outil développé par les programmeurs dont l'utilité première n'était pas pensée pour des traducteurs mais qui s'avère être un allié de poids dans l'accomplissement de tout mandat proposé aujourd'hui dans le monde de la traduction. Il s'agit des logiciels de reconnaissance et de synthèse vocale. Là encore leur utilisation n'est pas spécifiquement destinée aux traducteurs handicapés cependant, de par la fonctionnalité première de ce logiciel il est difficile de ne pas voir le pas de géant qu'il permet d’effectuer dans l'objectif de rendre accessible aux personnes handicapées la profession de traducteur. Il s'agit, selon toute vraisemblance, de l’outil informatique appliqué au domaine de l’aide à la traduction le plus pertinent lorsque le traducteur doit en plus des contraintes professionnelles gérer une situation de handicap qui l'empêcherait d'accomplir les gestes fonctionnels lui permettant d'établir la traduction par voie informatique conventionnelle. Pour un traducteur en pleine possession de ses moyens, un logiciel de reconnaissance vocale représente un gain de temps considérable et un confort de travail non négligeable car les bonnes dispositions dans ces conditions de travail se ressentiront inévitablement sur le produit qu'il présentera aux donneurs d'ordre. Pour ce qui est du traducteur handicapé, la reconnaissance et la synthèse vocale constitue un espoir, l'espoir d'un accès à une vie professionnelle indifférenciée de celle de ses confrères. La présence sur le marché de logiciels de reconnaissance vocale est, pour un traducteur qui souffrirait

78 d'un handicap moteur est également synonyme de regain de compétitivité car avec l'utilisation de ces logiciels il jouit des mêmes prédispositions logistiques que ses collègues ce qui lui permettra de ne pas être délaissé par les donneurs d'ordre sous prétexte d'un manque d'efficacité due à son handicap.

Compte tenu de ce qui a été dit l'image de la profession de traduction devient une image résolument positive et ouverte car ce métier passionnant qui parfois est choisi par dépit par les personnes qui souffrent de handicaps peut se révéler très stimulant et gratifiant car il offre beaucoup de possibilités et ne souffre que de très peu de répétitivité. Le monde moderne permet aujourd'hui aux personnes qui souffrent de handicaps de s'épanouir professionnellement et personnellement mais il faut toujours garder à l'esprit que la traduction demeure un travail essentiellement et même quasi exclusivement intellectuel ce qui en fait une profession privilégiée pour les personnes qui souffrent de handicaps et désireuses de s'exprimer et de s'affirmer dans une société au travers d'un métier enrichissant et varié. Il est clair que si c'est par la force des choses que l’on devient traducteur, c'est par passion que l'on décide de le rester.

3. "The pen is mightier than the sword38"

C'est sur cette image proverbiale qu'il nous paraît le plus judicieux de conclure cette analyse sociologique de la perception du traducteur en société. Elle permet de mettre en lumière deux aspects centraux de notre étude. Tout d'abord ce proverbe démontre que la lutte intellectuelle est souvent plus pertinente et plus efficace que l'agression physique. Ce proverbe met également en lumière que l'utilisation habile des mots et des moyens d'expression dont les hommes disposent constitue souvent un moyen d'affirmation de soi plus judicieux et plus subtil. Ce proverbe est parfaitement illustratif des deux corollaires de notre réflexion à savoir : la traduction et le handicap.

L'image du traducteur en tant que « valeureux guerrier des mots » est parfaitement perceptible dans cette situation qui est un joli pied de nez à toutes les dépréciations dont un traducteur peut faire l'objet puisque comme nous l'avons vu il est souvent amené à souffrir d'une mauvaise image qui est son fardeau à une échelle sociale. Or ce proverbe constitue également une jolie revanche sur tous ceux qui soutiennent qu'une preuve de force ne peut être que physique.

D'après cette maxime le traducteur handicapé serait tout aussi fondé qu'un autre, et même plus, à s'exprimer et à faire montre de toute la force dont ils disposent par ses compétences intellectuelles, linguistiques et plus largement professionnelles. La profession de traducteur peut mener la personne handicapée à l'affirmation de soi en la menant même à jouer un rôle clé dans les

38 Proverbe anglais tiré BULWER-LYTTON, Edward, Richelieu or the Conspiracy, 1839.

79 événements liés aux différents textes sur lesquels le traducteur handicapé sera amené à travailler.

C'est ainsi que le traducteur aura, outre son handicap, tiré une reconnaissance à l'échelle sociale ainsi qu'internationale. La profession de traducteur permet donc un épanouissement personnel et professionnel spécifique et complet tout en gardant à l'esprit qu'une faiblesse physique peut devenir un atout intellectuel.

Il s'agira de voir ici que la profession de traducteur est très certainement à l'avant-garde à l’égard de l’intégration des personnes handicapées car la nature de l'activité permet une intégration plus facile des personnes souffrant de handicaps. En outre, la traduction est un domaine où la remise en question est perpétuelle et constante ce qui donne lieu à une éternelle évolution du domaine et à une recherche « du toujours mieux ». Le revers de la médaille étant un doute omniprésent chez tous les praticiens de la traduction à différentes échelles.

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