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Regards croisés sur les collèges professionnels

Chapitre 2 : unique jusque dans son parcours

I. Regards croisés sur les collèges professionnels

S'il en est à croire les ressources disponibles tant dans les milieux académiques que professionnels, l'apprenant s'apercevra bien vite que les seuls supports existant à ce jour lorsqu'on en vient à la question de la responsabilité du traducteur sont les Codes de déontologie proposés par les différents collèges professionnels. En conséquence, c’est le droit contractuel qui prévaut pour régir les relations entre le traducteur et le client. Il ne s'agit pas ici à proprement parler d'un manque d'encadrement de la profession ; il semblerait dans ce cas plus opportun de parler de défaut par faute de spécificité. Cependant, loin de vouloir émettre un jugement de valeur sur la situation actuelle, il s'agira bien plus d'en dégager les grands axes pour en permettre une compréhension plus poussée et plus accessible, ce qui donnera la possibilité au profane du domaine de connaître, non

47 seulement les rouages de la profession de traducteur dans le domaine juridique, mais d'en apprécier également les risques et les enjeux. Ainsi dans un premier temps nous proposerons une lecture comparée des Codes de déontologie émanant des différentes associations de professionnels de la traduction. Par la suite nous nous attacherons à observer les mécanismes sous-jacents d'appartenance à un ordre professionnel qui engagent la responsabilité du traducteur juridique.

Enfin, nous conclurons cette lecture analytique des Codes de déontologie en mettant en exergue les idéaux majeurs dont ces textes sont les dépositaires.

1. La cohérence de l'esprit au prix de la cohésion des professions

Lorsqu’on en vient à étudier de manière plus détaillée la structure des différents Codes de déontologie, on s'aperçoit qu'ils suivent globalement tous le même déroulement logique et restent de portée très largement générale : pour ce qui est de l'Association suisse des traducteurs-jurés (ASTJ), le Code de déontologie qu'elle propose comporte pour articulation principale les rapports du traducteur avec le donneur d'ordre, ses collègues et les tiers17 étant donné une telle organisation du propos, la seule possibilité d'intégrer un engagement de la responsabilité du traducteur, toute partielle soit-elle, est de coupler la notion de responsabilité à l'obligation de confidentialité qu'impose le Code de déontologie de l'ordre professionnel.

Or, soucieux de précision, il se pose ici un problème flagrant d'objectifs. Si la responsabilité du traducteur, surtout dans le domaine juridique, n’est engagée que par le biais de la confidentialité à laquelle le praticien tenu on observera pour le client un manque de recours possible en cas d'erreur commise avérée, mais surtout on pourrait, à ne pas y prendre garde, observer une dégradation de la qualité dans le contrat rempli, ce qui est à proscrire et à éviter coûte que coûte dans un domaine aussi important, exigeant et rigoureux que la traduction juridique. On observe dans le cas à l'étude que la spécificité des besoins et les exigences spécifiques du domaine juridique dans l'activité de traduction ont bien été pris en compte car un collège professionnel particulier a vu le jour pour regrouper les praticiens de la traduction dans un domaine particulier. Cependant, on pourra déplorer que cette même optique de spécificité n’ait pas été poursuivie lors de l'établissement du Code de déontologie propre à l'Association suisse des traducteurs-jurés.

En effet, si on procède à une lecture comparée du Code de déontologie de l'Association suisse des traducteurs jurés et de celui de l'Association suisse des traducteurs, terminologues et interprètes (ASTTI) qui a une visée plus générale18, on en conclut bien vite que la teneur des deux

17 Voir Code de déontologie de l'ASTJ : http://www.tradulex.org/Regles/DeonASTJ.htm

18 Voir Code de déontologie de l'ASTTI : http://www.tradulex.org/Regles/deontologie_astti.htm

48 Codes de déontologie mis en regard ici ne diverge que sur très peu d'aspects somme toute superficiels.

On pourrait, au vu de ce qui a été précédemment exposé, observer que le caractère trop formel général et abstrait des Codes de déontologie dans certains pays se limite à une volonté et une approche étatique et politique propre à la Suisse. Or, il n'en est rien. À la lecture du Code de déontologie proposé par la Société française des traducteurs (SFT) qui est en France la seule réglementation disponible concernant un exercice de la profession de traducteur quel que soit le domaine de spécialité,19 la structure du Code de déontologie de l'ordre professionnel français en ce qui concerne les professions de traduction met en avant quatre principes fondamentaux qui sont : le respect du donneur d'ordre, de la législation en vigueur dans le pays d'établissement, de la profession de traducteur et de son ordre professionnel. En ce sens nous pourrions dire que la Société Française des Traducteurs se garde bien de formuler toute règle engageant la responsabilité d'un adhérent, laissant à la discrétion pleine et complète des droits nationaux de prendre le soin de réglementer la question de la responsabilité dans le cadre d'une activité de traduction quel que soit le domaine du mandat qui est donné au traducteur.

Au cours de cette analyse, il nous est apparu que le domaine de la traduction et de la responsabilité du traducteur dans la restitution du message à proprement parler n'était que partiellement, indirectement ou implicitement engagée. Ainsi a fortiori nous pourrons penser que la position et la place de traducteur handicapé et de sa responsabilité dans l'exercice de la traduction juridique reste en suspens. Pour l'heure, de même qu'il n'y a pas de distinction entre les règles de déontologie pour les traductions générales et spécifiquement juridiques, on peut observer une absence de réglementation spécifique pour les traducteurs souffrant de handicaps et se jouissant de la pleine possession de leurs moyens. C'est cette absence de différenciation et de distinction qui contribue à l'égalité de traitement dans le cadre de la vie professionnelle et de la concurrence loyale.

Ainsi, les collèges professionnels espèrent offrir aux donneurs d'ordre le meilleur service possible en leur proposant tous les profils qu'ils ont à disposition et il n'en tient qu'au traducteur à titre personnel de se démarquer de la concurrence en brillant par ses capacités et en s'astreignant à des règles d'éthique et d'exercices de la discipline de traduction en tous points irréprochables.

19 Voir Code de déontologie de la SFT : http://sft.fr/Code-de-deontologie-des-traducteurs-et-interpretes.html

49 2. Être bon traducteur : un engagement, un choix, une décision

Après avoir analysé les différents textes réglementant l'exercice de l'activité de traduction dans le cadre des collèges professionnels, nous sommes contraints d'en conclure que l'engagement du praticien tout comme son affiliation à un ordre professionnel donné est soumis à sa volonté personnelle. En ce sens, il est évident que c'est par son adhésion à un ordre professionnel donné que le traducteur s'engage à respecter les dispositions des Codes de déontologie et d'éthique proposés par les différents organismes. C'est pourquoi nous pouvons dire qu'adhérer à une association professionnelle présente des avantages car le traducteur pourra ainsi se constituer plus facilement une clientèle et avoir plus facilement accès à des mandats, sans oublier que l'affiliation d'un professionnel à une association constitue en soi un gage de qualité, ce qui est d'un grand secours aux donneurs d'ordre à l'heure de faire un choix quant aux traducteurs à qui il confie un travail.

Quoi qu'il en soit, l'appartenance à un ordre professionnel ne revêt en Suisse ou en France aucun caractère impératif ou obligatoire. Il est donc évident qu'un traducteur qui ne souhaite pas être associé à un groupe professionnel n'est en aucun cas tenu d'y adhérer. En revanche, pour ce qui est de la nomination des traducteurs experts en France ou traducteurs-jurés en Suisse une évaluation des compétences est exigée de même que nombre d'années minimum d'exercice d'une profession ayant trait au domaine linguistique ou à la traduction, de plus la France présente également une exigence de formation pour ces traducteurs experts20. Suite aux présentes observations nous pourrions dire qu’adhérer à un ordre professionnel dans le domaine de la traduction c'est en accepté les règles, l'idéologie et les méthodes de travail. Il s'agit là d'une sorte de « label » que le traducteur est en droit de valoriser s'il décide de respecter les principes que l'organisme impose.

Toutefois cette démarche demeure purement et complètement volontaire, le traducteur indépendant, non adhérent à un ordre professionnel n'est en rien obtenu de respecter les principes de l'ordre précité. Ainsi la responsabilité d'un traducteur ne peut être engagée, bien qu'indirectement, que si celui-ci est membre d'un ordre professionnel. Voilà donc la parfaite démonstration du peu d'encadrement et de la souplesse dont jouit la profession de traducteur à l'heure actuelle.

Ainsi nous pouvons voir que la signature de les Codes d'éthique et de déontologie par les praticiens de la traduction est fondée le principe du volontariat et que outre cette signature ce sont les dispositions générales de Code des obligations et des Codes civils ou pénaux qui sont applicables

20 Voir article ABDEL HADI, Maher, « L'agrément du traducteur assermenté en droit français et genevois », in : Actes du colloque La traduction juridique : histoire, théorie(s) et pratique, Université de Genève, 17-19 février 2000, p. 503-519.

50 lorsqu'il est question de la responsabilité du traducteur dans l'exercice de son activité professionnelle. Là encore le domaine de la traduction juridique n'est pas spécifiquement traité et encadré, la question de la responsabilité dans l'exercice de l'activité de traduction n'est pas abordée dans les textes de lois généraux car le domaine d'application serait bien trop spécifique pour justifier une entrée explicite dans un texte de loi de portée nationale quand on sait que la loi se doit par définition d'être « générale et abstraite ».

Enfin, s'il est effectivement vrai que des dispositions sont prises pour garantir une certaine qualité de service pour ce qui est de traduction près les Cours d'appel, telles que par exemple l'obligation d'exercer, l'obligation de formation ou l'évaluation des compétences, on voit qu'en France la profession de traducteur n'est en aucun cas protégé et que les responsabilités ne sont que très généralement établies. Ainsi par extension nous pourrions affirmer que l'établissement de responsabilités spécifiques à caractère impératif pour les traducteurs exerçant dans le domaine juridique serait déjà une très grande avancée et que l'étape ultime serait d'y jouxter une spécification explicite en ce qui concerne les traducteurs exerçant dans le domaine juridique et qui souffrirait d'un handicap. Il ne s'agit en aucun cas ici d'atténuer la responsabilité mais bien plus de répondre à des questions centrales que pose l'exercice de cette activité si particulière qu'est la traduction juridique et à laquelle des personnes aussi diverses que multilingues s'adonnent avec joie et plaisir.

Les ordres professionnels ont déjà répondu à cette question liminaire du respect dans la profession de traduction, il s'agira maintenant de pousser l'étude jusqu'à l'identification explicite des mécanismes matériels menant à une conduite est un travail respectable et irréprochable du traducteur.

3. La traduction, un idéal poursuivi ou surévalué

À la lecture des différents Codes de déontologie proposés par les ordres professionnels existants à l'heure actuelle nous avons pu observer que les axes centraux de ces textes étaient le respect en toutes circonstances de la dignité afférente à la profession de traducteur et de la probité qu'un traducteur se doit de maintenir dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. Au-delà de ces grands principes idéologiques nous avons, comme exposé précédemment, observer l'absence de dispositions concrètes et ciblées visant le maintien et les méthodes d'application de cette probité et à la mise en pratique ou à la définition explicite du concept de dignité de la profession.

Outre ces grands principes connus de tous, le traducteur ne connaît aucune autre règle qui encadre, restreint ou réglemente l'exercice de son activité à titre professionnel. La pierre angulaire des Codes de déontologie est le respect, qui s'exerce à l'égard des confrères, des donneurs d'ordre

51 ou toute autre personne physique ou morale jouant un rôle dans l'activité professionnelle. Il est un autre grand principe tout aussi philosophique et idéologique qui trouverait tout aussi bien sa place dans un tel texte contraignant, il s'agit de l'équité. En effet, le point central de notre étude étant le handicap dans la profession de traduction, il nous paraîtra ici opportun d'intégrer cette singularité à la liste des particularités que l'on pourra trouver chez les praticiens de la traduction et avec laquelle il faudra bien souvent composer pour permettre une évolution compétitive et concurrentielle du marché.

D'aucuns affirmeront que la question de l'équité dans l'exercice de la profession de la traduction est réglée par les dispositions relatives au respect entre collègues que l'on peut lire dans les différents Codes de déontologie des différents ordres professionnels. Cependant, il semble ici que la nature de l'activité professionnelle exercée ainsi que les supports légaux et législatifs déjà en vigueur justifie de faire porter au titre de précision annexe les modalités d'exercice de la profession de traducteur en cas de handicap. En effet, au jour d'aujourd'hui, un traducteur est soumis aux mêmes réglementations du travail indépendamment de sa condition de santé. Au même titre que les grands principes de respectabilité et de dignité de la profession, la singularité de certaines situations devrait être précisée, non pas pour qu'en découle de facilités ou un allégement de la responsabilité mais simplement pour que soit reconnu la singularité des méthodes de travail qu'imposent certaines situations de handicap. Aujourd'hui la traduction qui a pour sujet central le droit ne jouit pas d'un support juridique et légal suffisant pour protéger ou encadrer un traducteur qui mettrait son temps et parfois même sa vie au service du droit. C'est là un paradoxe bien étrange qui transcende les vérités idéologiques et bien-pensantes pour mettre en lumière les aspects concrets et palpables sur lesquels le droit n'a, pour l'heure, que peu de prise.

Pour permettre une analyse plus complète nous allons maintenant faire un raisonnement par analogie en prenant pour support d'études premiers le cas de l'interprétation qui est une autre facette des professions liées aux langues étrangères et à l'activité de traduction et nous verrons que dans ce cas précis le droit, sans avoir de base plus solide que pour les cas précédents, bénéficie de la nature différente de l'activité d'interprétation en comparaison avec la traduction.