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Troisième Partie : la médecine

Chapitre 2 : peur d'interagir, pourtant il faut traduire

III. Comme un outrage, un défi

Dans le cadre des observations que nous avons faites concernant l'autisme et les particularités propres à ce trouble du comportement social et de la communication, nous souhaiterions maintenant évoquer ici la question de l'intelligence dans l'autisme. Il est clair que les débats soulevés par cette notion sont polémiques par nature ; il n'en reste pas moins que bon nombre de scientifiques s'accordent sur l'existence effective d'une intelligence propre et toute particulière aux personnes qui souffriraient de troubles autistiques. Clairement, l'hypothèse de l'existence des capacités intellectuelles générées par « un trouble » et non seulement une antinomie idéelle mais représente aussi un défi à toutes les vérités communément admises ainsi qu'à toutes les exigences sociétales en matière de comportement, de modes de pensée et de modes de vie.

De surcroît, il est parfaitement clair que pour l'application scientifique des spécificités des phénomènes autistiques, la potentialité d'une intelligence autistique revêt le plus grand intérêt pour le milieu de la traduction professionnelle car nous pourrons ainsi analyser les éléments d'intelligence scientifiquement observés et éprouvés pour les appliquer ensuite au domaine spécifique de la traduction et ainsi démontrée leur utilité de concert avec la possibilité d'une intégration des personnes souffrant de troubles autistiques dans le milieu de la traduction professionnelle à la fois sur le marché privé et institutionnel.

Afin de pouvoir dégager d'un si vaste sujet les éléments revêtant le plus d'intérêt pour la question qui nous occupe, à savoir : les possibilités d'adaptation et d'intégration des personnes souffrant de troubles autistiques dans un milieu professionnel, et plus précisément celui de la traduction, nous nous proposons de procéder ici à une étude comportant trois temps distincts. Dans un premier temps nous aurons la charge d'analyser le cas d'un autisme tout particulier appelé le syndrome d'Asperger. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons de l'oreille musicale chez les personnes atteintes d'autisme. Enfin, la troisième partie de notre analyse sur l'intelligence autistique traitera de la question de la mémoire et du mimétisme, qui est indéniablement un des corollaires principaux de l'intelligence chez les personnes autistes telle qu'elle est envisagée de nos jours.

Nous voyons donc que l'intelligence autistique est une approche qui connaît plusieurs facettes et dont l'analyse requiert non seulement une vue d'ensemble des particularités afférentes aux troubles liés à l'autisme mais également une capacité de raisonnement croisé entre ces mêmes

132 particularités et les besoins ou les exigences de la vie en société ou d'un milieu professionnel en particulier. Nous verrons en outre que l'intelligence autistique et catégorisée et analysée à la lumière d'éléments de mesure et de tableaux cliniques bien précis.

1. Asperger, une hérésie

Au sein même des troubles autistiques, il est un syndrome appelé syndrome d'Asperger qui entre dans la catégorie des troubles autistiques mais qui, de par la nature des troubles qu'il entraîne, se pose en expression quelque peu particulière d'un cas d'autisme. Lors du colloque à Genève en 2010 l'association TED- autisme Genève comptait parmi ses intervenants des orateurs souffrant du syndrome d'Asperger. Leur éloquence laissait pantois. Ainsi nous avons pu observer les interventions successives de plusieurs autistes de « haut niveau » qui ne présentait aucune déficience intellectuelle et qui, bien au contraire, faisait montre de compétences langagières, linguistiques et verbales exacerbées. Ainsi dans une notice explicative du syndrome d'Asperger50 on explique que « les personnes atteintes du syndrome d'Asperger sont étonnantes de par leur culture générale, la richesse d'un vocabulaire et leur intérêt dans un domaine spécifique où elles peuvent exceller ».

Cette affirmation démontre bien toute les possibilités d'intégration des personnes souffrant du syndrome d'Asperger non seulement dans une vie quotidienne et professionnelle normale, mais plus spécifiquement dans le milieu professionnel de la traduction.

En effet, il est clair que la culture générale ainsi que la richesse de vocabulaire sont des qualités incommensurables pour exercer la traduction à une échelle professionnelle. Aussi un autiste de « haut niveau » aurait à la lumière de cette affirmation toute légitimité à solliciter un poste de traducteur puisqu'il en a toutes les qualités et que les troubles du comportement qui sont associés au syndrome sont liés à la vie sociale, à la compréhension des codes de comportement et à une relation très singulière au temps.

L'ouvrage de Laurent Mottron (2006), intitulé L'autisme une autre intelligence, démontre au travers d'un graphique exprimé en centiles que les capacités des autistes Asperger en matière de vocabulaire et de quotient intellectuelle verbale (QIV) sont bien supérieurs à l'autisme dit conventionnel51. Nous pourrions donc postuler que les capacités linguistiques d'un autiste Asperger pourrait, non seulement être jugé équivalentes à celle d'un « neurotypique » mais elles pourraient aussi objectivement être admises comme supérieure à la moyenne. Ce qui, dans une perspective tout

50 Voir annexe 7

51 MOTTRON Laurent, L'autisme, une autre intelligence, Madragar, Bruxelles, 2006, p.129.

133 à fait utilitariste, permettrait aux personnes souffrant d'autisme de ce type d'espérer voir leurs qualités reconnues et exploitées à leur juste valeur.

Laurent Mottron (2006) parle dans son ouvrage de « pics d'habileté », il explique en effet que les personnes autistes doivent présenter des capacités tout à fait étonnantes et singulières. Il explique également qu’une des limite de l'échantillon des tâches de l'échelle d’intelligence de Wechsler, l'échelle WISC/WAIS52 est qu'« on juge comme déficiente intellectuelle une personne dont la moyenne des performances est inférieur à un certain niveau. Cela signifie que même si la personne présente une performance exceptionnelle à un sous-ensemble de tâches, mais réussit à un niveau très bas dans la majorité des taches, ses performances élevées seront noyées par sa performance médiocre dans les autres tâches »

On pourra donc postuler qu'un autiste qui présenterait une déficience intellectuelle, établie scientifiquement comme telle, pourrait, malgré cet état de fait, présenter des capacités linguistiques et verbales, si pas supérieures, tout du moins égales à celles d'une personne ne souffrant pas de troubles autistiques. Par conséquent, envisager la personne autiste comme hautement compétente, surtout dans le cas de l'autisme de « haut niveau » ou autisme Asperger pour exercer le métier de traducteur paraît de moins en moins être une folie populiste, idéaliste et égalitaire ayant pour unique but de chambouler codes préétablis de nos sociétés contemporaines.

Il est clair que Laurent Mottron (2006) combat vivement l'idée selon laquelle la déficience intellectuelle serait un corollaire absolu des troubles autistiques. Il explique en outre que le diagnostic des personnes autistes souffrant de déficiences intellectuelles est plus complexe et plus long. Il s'insurge également contre cette vision du DSM-IV qui se cantonne vision obsolète, d'après Laurent Mottron (2006) de généralités établissant que l'éventualité de déficience intellectuelle est présente « dans la plupart des cas » d'autisme. Le professeur explique dans son deuxième chapitre que 75 % des cas d'autisme connaissent des déficiences intellectuelles contre 25 % qui en seraient exempts.53 Laurent Mottron (2006) représente dans un graphique une courbe comparant trois types d'autismes en fonction du quotient intellectuel de chaque groupe du sujet, il démontre ainsi scientifiquement, en prenant pour appui les creux cognitifs verbaux et l'intelligence verbale que le quotient intellectuel est l'élément principal des compétences verbales tout en admettant que la

52 MOTTRON Laurent, L'autisme, une autre intelligence, Madragar, Bruxelles, 2006, figure 3, 235 pages.

53 MOTTRON Laurent, L'autisme, une autre intelligence, Madragar, Bruxelles, 2006, figure 3, p. 29.

134 définition des compétences d'un autiste doit se faire à la mesure du groupe témoin auxquelles il est confronté54.

Nous avons vu que dans le cas de l'autisme Asperger que les compétences de vocabulaire et de culture générale, tout comme les déficiences intellectuelles de manière générale n'étaient pas l'objet central du problème. L'autisme s'exprime dans le syndrome d'Asperger de manière différente, en créant des difficultés d'interaction sociale ou des difficultés de concentration comme le souligne la notice explicative sur le syndrome portée en annexe du présent travail de recherche.

Nous avons également pu observer que certaines constantes existaient dans les caractéristiques particulières que présentaient les personnes atteintes d'autisme de « haut niveau » et puisque l'objet du travail est ici d'observer l'adaptabilité et l'utilité des troubles autistiques dans une vie sociale et un contexte professionnel conventionnel lié à la traduction, il s'agira de souligner qu'il y a des compétences identifiables qui, dans toute l'étendue de leurs qualités, permettraient aux autistes de « haut niveau » une intégration dans une vie professionnelle traditionnelle, au prix de quelques concessions et aménagements logistiques.

2. La musique qui adoucit l'autisme

Au sein de tous les témoignages que nous avons écoutés au cours de nos recherches effectuées pour ce travail, nous avons pu constater l'émergence d'une constante chez les personnes souffrant d'autisme Asperger, il s'agit de l'oreille musicale. En effet lors du colloque de l'association TED- autisme Genève, nous avons observé à plusieurs reprises que la musique était utilisée comme moyen de sollicitations et de stimulation par bon nombre de praticiens et de thérapeutes pour favoriser le traitement de l'autisme.

Nous pouvons dire que l'oreille musicale est de toute première importance dans le cadre de l'exercice professionnel de la traduction, et à plus forte raison encore de l'interprétation. En effet, la musicalité d'une langue en permettra bien souvent la compréhension plus subtile. L'intérêt d’une sensibilité à la mélodie linguistique permettra d'atténuer les accents étrangers pour les interprètes et cette même mélodie permettra de mieux manipuler les éléments de l'implicite dans une langue, surtout passive. On ne soulignera jamais assez que la question de la mélodie est une part gigantesque des carrières linguistiques les plus poussées. Acquérir la musicalité d'une langue, c'est en quelque sorte l'adopter. Ne dit-on pas que nous ne sommes réellement familiers d'une langue que lorsque « nous l'avons dans l'oreille ». C'est la sensibilité à cette musique est à cette mélodie de

54 MOTTRON Laurent, L'autisme, une autre intelligence, Madragar, Bruxelles, 2006, p.133-135.

135 la langue qui nous permet de détecter instinctivement la correction, la qualité et la précision des tournures stylistiques et de la construction syntaxique d'un texte.

C'est précisément pour cette raison qu'il existe une diglossie temps prononcée en français, non pas entre deux variantes d'une même langue mais plutôt entre la forme écrite et la forme orale de la langue de Molière. Cette oreille musicale conduit donc à l'élaboration de l'idiomaticité d'un texte, ce qui aura pour conséquence de donner au texte tout son naturel et sa fluidité à la lecture. Il faut également noter qu'en poésie la musicalité de la langue occupe une place de premier ordre, car c'est, principalement elle, qui a la charge de toute la valeur esthétique du texte produit.

En traduction, nous savons donc que la sensibilité musicale revêt une importance car elle est, pour partie, garante de l'efficacité, de la pertinence et de la correction de la traduction. En ce sens, penser que des personnes souffrant de troubles autistiques qui seraient dotés d'une sensibilité musicale supérieure à celle de « neurotypiques » comme tendent à le démontrer de nombreux témoignages ainsi que l'ouvrage intitulé : je suis né un jour bleu55, pourrait conduire à la conclusion que du fait, justement, de cette sensibilité, les personnes atteintes d'autisme de « haut niveau » seraient mieux prédisposées que certaines personnes non-autistes à l'apprentissage des langues et à leur utilisation dans un contexte de traduction.

L'exemple que nous propose Daniel Tammet dans son ouvrage autobiographique où il expose sa capacité à parler cette langue et à apprendre une langue aussi complexe que l'islandais en quatre jours seulement paraît ici le parfait exemple de ses capacités hors normes et de cette facilité déconcertante dont font preuves les autistes de « haut niveau » pour l'accumulation de connaissances. D'aucuns objecteront que la traduction exige bien plus que l'apprentissage d'une langue étrangère, et dans un souci d'objectivité nous ne pouvons qu'adhérer à cette vision des exigences professionnelles dans le monde de la traduction. Il n'en reste pas moins que la sensibilité musicale reste une prédisposition très profitable à la personne autiste pour l'apprentissage d'une langue qui est, si pas le seul élément nécessaire à la traduction, en tout cas le premier.

Nous avons également pu observer que les autistes de haut niveau entretiennent également une relation très particulière avec les facultés mémorielles. C’est là une compétence typiquement autistique de plus à ajouter au nombre de leur « pieds-de-nez à la vie ».

3. Rien à envier à l'éléphant

55 TAMMET, Daniel, Je suis né un jour bleu. À l'intérieur du cerveau extraordinaire d'un savant autiste.

Edition des Avènes, Paris, 2007, 236 pages.

136 Dans la succincte explication du syndrome d'Asperger que nous avons porté en annexe au présent travail de recherche, il est expliqué que : « [...] Leur langage le plus souvent recherché et très précis, leur mémoire photographique... Tout ceci déconcerte ». Lors d'un témoignage au cours du colloque auquel nous avons assisté, une dame diagnostiquée tardivement autiste Asperger a fait part à l'auditoire d'une anecdote sur ses trajets en voiture. Elle se souvenait qu'on lui avait demandé quel était la distance qui séparait son domicile de l'école de ses enfants et elle soulignait que dans sa réponse son trouble autistique l'avait « contraint » à un degré de précision quelque peu inhabituel.

En effet, elle se souvenait avoir donnée le nombre exact des kilomètres qui séparaient les deux lieux dits et elle expliquait ce phénomène par le fait que l'approximation n'est pas dans sa nature, du fait de son trouble autistique et que donc elle conservait mentalement l'image du compteur kilométrique affichant le nombre de kilomètres exacts, ce qui lui permettait donc par conséquent de faire preuve d'une précision infaillible56.

Voilà comment nous pouvons affirmer que l'autisme, en tout cas sa forme appelée Asperger donne lieu à une mémoire photographique dépassant l'entendement. De plus, une analogie semble ici possible avec le monde de la traduction toujours en recherche de plus de précision et de rigueur.

C'est à cet égard que cette particularité mémorielle peut s'avérer un atout de taille pour le professionnel de la traduction qui souffrirait d'autisme et qui pourrait ainsi s'attacher aux moindres détails tout en s'efforçant de se déprendre du texte source grâce à la musicalité de la langue cible pour établir une traduction des plus précise et plus non pas malgré mais avec les particularités de sa situation.

Laurent Mottron (2006) corrobore l'idée d'une supériorité des capacités mémorielles chez les autistes dits savants57 et il établit un tableau des composants de la mémoire humaine qu'il n'applique qu'aux personnes autistes ne présentant aucune capacité spéciale.

Ainsi nous avons pu observer que les autistes savants constituent une catégorie à la marge des autistes conventionnels car leurs capacités intellectuelles dépassent non seulement les frontières de l'autisme mais également celle de l'intelligence « neurotypique » dans certains aspects.

C'est à cet égard que la mémoire et les compétences peuvent être exploitées dans le domaine de la traduction car nous avons vu que les personnes autistes fonctionnaient également par mimétisme comme nous l'explique Bernard Touati lorsqu'il nous parle de cette mère qui a voulu nourrir son enfant de paroles en lieu et place de lait. Le médecin constata alors qu'outre une sévère

56 Colloque du 13 novembre 2010 intitulé Autisme et éthique : quels projets pour la petite enfance ? organisé par l'association TED-autisme Genève, affiliée à autisme suisse romande.

57 MOTTRON Laurent, L'autisme, une autre intelligence, Madragar, Bruxelles, 2006, p.106.

137 carence nutritionnelle l'enfant autiste présente un langage « [...] fortement investi et développé avec un souci de précision exceptionnelle à cet âge58 ». Cette constatation nous mène à un questionnement sur les liens entre mémoire et mimétisme qui pourrait être plus exacerbé chez une personne autiste que chez un « neurotypique ».

Or, ce mimétisme semble exister chez tous les enfants, cependant, si l'on parvenait à prouver qu'il est plus prononcé chez les autistes, alors nous pourrions voir là aussi un avantage certain dans l'exercice professionnel de la traduction pour la personne autiste, car ce mimétisme servirait de repères à la personne en charge de la traduction pour s'assurer de la cohérence des tournures stylistiques employées dans la traduction.

Par exemple. si un segment doit être traduit d'une seule et même manière tout au long du texte, une mémoire par mimétisme exacerbée permettrait aux traducteurs de conserver cette même traduction tout au long d’un texte sans avoir même à rechercher dans les tournures traduites qu'il a déjà utilisé. Ce n'est là qu'une hypothèse de profane qui demande à être scientifiquement vérifiée et qui pourrait comme le reste des observations faites, conduire nous l'espérons et après vérification scientifique à une meilleure intégration des personnes souffrant de troubles autistiques en société car comme nous l'avons vu, les personnes possèdent des compétences et des aptitudes particulières que la société aurait tout intérêt à exploiter car elle pourraient s'avérer très utiles dans la vie active de certains domaines de professionnalisation, comme la traduction par exemple.

58 TOUATI, Bernard, JOLY, Fabien et LAZNIK, Marie-Christine, Langage, voix et parole dans l'autisme, 2007, p. 11.

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