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1. Handicap, maladie mentale et trajectoire

1.3. Un tournant biographique : de la qualification de « malade » à la

La recherche TRAPSY veut donc questionner les usages de l’hétérogénéité de l’offre de soin psychiatrique et d’accompagnement du handicap psychique dans ce contexte. De façon plus restreinte, elle veut mettre en lumière les logiques, les évènements, les caractéristiques sociales qui amènent les individus suivis médicalement pour une maladie mentale invalidante, à demander une reconnaissance de handicap, à utiliser les dispositifs du handicap.

Ce questionnement présente un double intérêt :

- Un intérêt politiste qui, s’intéressant aux définitions du « handicap psychique » et au ciblage d’un public, essaye d’en voir les effets sur les professionnels et les bénéficiaires.

- Un intérêt plus sociologique, qui poursuit notre analyse de la façon dont les personnes dépendantes passent d’un accompagnement sanitaire, domestique, médico-social, social à un autre et selon quelles combinaisons.

Ainsi, la recherche TRAPSY souhaite avoir une approche large des trajectoires, ne se limitant pas aux ancrages institutionnels, mais capable de mettre en lumière les facteurs qui expliquent la reconnaissance à l’âge adulte d’un handicap pour les patients de la psychiatrie, et le moment dans leur carrière de malade où s’effectue cette reconnaissance.

1.3.1. Une approche sociologique des décisions médicales

Notre approche s’ancre dans une lecture sociologique de la décision donc, qui repose sur deux postulats :

- La reconstitution des processus ayant abouti à l’expertise : le moment d’expertise formalisé par une notification de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) n’est que la partie émergée d’un processus de décision bien plus long, composé d’interactions et de négociations entre professionnels, patients et familles le cas échéant (Eideliman et Bertrand, 2014). Autrement dit, les décisions professionnelles d’orientation vers les dispositifs du handicap, formalisées par un certificat médical et une notification de la MDPH, et se

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présentant comme des moments d’expertise (c'est-à-dire comme les produits d’une certaine autonomie de jugement par des catégories professionnelles légitimes39), ne peuvent pas être saisies comme des séquences indépendantes des

étapes antérieures, qui sont tout autant de moments de requalification des difficultés des personnes et de négociation des solutions à mettre en œuvre entre différents points de vue (professionnels de différentes cultures, patients, familles), qui vont aboutir à la décision en dernière instance.

- Une lecture élargie des décisions médicales : dans la lignée des travaux de Nicolas Dodier, nous optons pour une rupture avec un « modèle dualiste » d’analyse des décisions médicales, reposant sur la fiction d’une évaluation épurée et objectivante, dans laquelle les éléments non médicaux seraient des parasites40.

Nous faisons le pari que ces « parasites » sont particulièrement entremêlés en psychiatrie avec les critères proprement médicaux, et qu’une mise en lumière permettra de mieux les comprendre. Ainsi, sans opter pour une posture questionnant la production des diagnostics et des évaluations médicales, nous chercherons à repérer ce qui explique le moment où les personnes font l’objet d’une reconnaissance de handicap. La variété de ces moments sera ainsi l’occasion de nous démarquer de l’argumentaire médical posant que les questions relatives au handicap ne peuvent se poser qu’à partir du moment où les troubles sont stabilisés.

1.3.2. La coexistence de différents types d’aide : quelles configurations ? Notre travail souhaite également questionner le recours aux différents types d’aide, en posant la question de leur subsidiarité, de leur complémentarité, et de leurs enchaînements. Nous cherchons à observer des configurations de prise en charge (qui intervient auprès de la personne, qui supporte les coûts de l’intervention, qui fait quoi ?) et à comprendre à quel moment ces configurations entrent en crise pour faire place à une nouvelle configuration. Ce sont ces passages d’une configuration à l’autre qui font l’objet de notre analyse.

Nous distinguons en effet deux types de période dans les trajectoires individuelles :

39 Dodier N., L’expertise médicale, essai de sociologie sur l’exercice du jugement, éditions Métailié, Paris,

1993, p.21.

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les moments de routine, lorsqu’une prise en charge se maintient sans changement, et les moments de crise, qui correspondent aux changements de prise en charge, sans préjuger de la cause première de ces changements : une aggravation de l’état de santé, la disparition d’une ou de plusieurs personnes clés dans la prise en charge, la mise sous tutelle ou curatelle, l’obtention de nouveaux droits ou la disparition de structures existantes, la perte d’un emploi ou d’un revenu, un changement d’âge qui correspond à un seuil institutionnel, le décès d’un proche, etc

C’est ainsi que nous avons cherché à comprendre la différence entre les « parcours de vie », qui diffèrent des « parcours de soin » en ce qu’ils intègrent le passage par le secteur médico-social voire par la prise en charge informelle, tels qu’ils sont prévus officiellement, voire théorisés par les acteurs institutionnels, et les passages effectifs d’une configuration à une autre. On utilisera donc les termes de la façon suivante : le terme « parcours » fera référence à l’idéologie officielle du parcours telle qu’elle a été décrite plus haut ; le terme « trajectoire » fera référence à une lecture sociologique des biographies, rendant compte de micro-mobilités ascendantes ou descendantes plus nombreuses et plus désordonnées que dans une société caractérisée par une certaine stabilité statutaire ; et nous utiliserons le terme « passage » pour décrire précisément ce qui se passe lors des orientations ou des réorientations d’un dispositif à un autre, voire à une absence de dispositif.

En d’autres termes, si le « parcours de vie » représente une alternative à un parcours institutionnel, souhaitée par les institutions, qui permette de transformer les manques et les dysfonctionnements institutionnels en « accidents de parcours individuel », une trajectoire est faite de la succession – finalement dotée de significations – de passages d’une configuration de prise en charge à une autre, chacun de ces passages pouvant être observé à l’échelle des relations au sein du milieu professionnel, et en lien avec les perceptions croisées de la situation par les différents protagonistes du processus de décision, patients et proches compris.

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