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3. De la maladie vers le handicap : acteurs, moments, enjeux

3.2. Ethnographie des décisions : la production professionnelle des

3.2.2. Positions professionnelles et appréciation de la question sociale

Etudier la façon dont les trajectoires professionnelles des différents acteurs du CMP influencent leur perception, leur appréciation et leur production des orientations vers les dispositifs du handicap, nécessiterait une enquête à part entière. Il faudrait en effet recueillir la trajectoire biographique des différentes catégories d’agents et les situer sur les différentes générations, ce qui n’a été fait ici que superficiellement en dehors des assistantes sociales, Toutefois, nous pouvons avancer ici quelques pistes d’analyse et

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quelques premières hypothèses, liées aux statuts des professionnels, aux effets de générations et à l’organisation du travail.

Nous notons tout d’abord une influence du statut occupé par le médecin psychiatre au sein du CMP sur sa pratique. En effet, on observe dans les CMP une forte diversité de statuts des médecins : certains sont Praticiens Hospitaliers à temps plein sur le CMP, d’autres sont Praticiens Hospitaliers à temps partiel sur le CMP et à temps partiel sur une autre structure du secteur (l’intra-hospitalier, le foyer postcure, le CATTP, l’hôpital de jour) ; d’autres encore sont vacataires et exercent une autre activité à l’extérieur du centre hospitalier (en cabinet privé, en clinique, ou encore dans un autre centre hospitalier). Certains enfin sont des médecins étrangers, qui ont encore une connaissance limitée des dispositifs sanitaires et sociaux français.

Ainsi, l’influence du statut et du contrat qui lie le médecin au CMP est importante dans son appréhension des orientations vers la MDPH pour les patients. Les psychiatres à temps plein ont tendance à développer une approche plus globale de la prise en charge de leurs patients, de part leur investissement plus important dans le CMP et leur présence en continu, qui leur offre davantage de possibilité de communication « informelle » avec les collègues – infirmiers, assistantes sociales – cette communication étant un des moyens privilégiés pour échanger et faire évoluer le suivi des patients. En effet, les temps de réunion sont limités. Au CMP Paris, la réunion hebdomadaire pluridisciplinaire est réservée à la présentation des nouveaux patients, elle ne permet donc pas d’élaborer de projets pour les patients « au long cours ». Au CMP Banlieue, la réunion hebdomadaire est construite, cette fois, comme un moment où les professionnels des différents corps de métier vont pouvoir échanger sur les cas considérés, à un moment donné, comme problématiques, à partir de leurs différents points de vue et expertises ; mais, certains praticiens hospitaliers à temps partiel et vacataires n’y participent pas. La possibilité de participer aux temps d’élaboration et aux discussions informelles avec les collègues, infirmiers et assistantes sociales qui voient les patients dans un autre contexte que la consultation médicale, a donc une influence importante dans l’élaboration des pratiques de chaque médecin, et est directement corrélée à son statut dans le lieu. De fait, les médecins les plus présents au CMP auront tendance à promouvoir un accompagnement de leurs patients le plus global possible, et

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de fait à investir davantage la question des orientations vers les dispositifs sociaux et médico-sociaux de leurs patients.

Par ailleurs, nous avons observé l’effet de génération dans le rapport aux questions sociales, pour les différentes catégories professionnelles.

Cet effet est crucial chez les médecins. Les plus âgés ont été formés dans le contexte d’une psychiatrie sociale, qui a fondé le projet de sectorisation. Ils conçoivent leur rôle comme un accompagnement global du patient, alliant technicité médicale et accompagnement sur des questions plus sociales. Les plus jeunes délèguent plus volontiers aux assistantes sociales le volet orientation, et ne vont pas considérer la question de l’insertion sociale des patients comme faisant partie de leurs missions.

Chez les infirmiers, cet effet de génération, s’il existe dans l’évolution du cadre de la formation57, est relativement gommé par l’organisation du travail infirmier dans les

CMP que nous avons observés. Si les deux CMP sont clairement de type psycho- pharmacologique (Jacqueline, 2006), on observe des nuances dans leur façon respective d’orienter leurs missions, qui sont particulièrement notables dans l’organisation du travail infirmier. Le CMP Paris, soumis à un très fort turn over du public, a choisi de centrer ses missions sur l’accueil des demandes de soin de tous les publics, promu par le projet de la sectorisation, et se concentre sur l’organisation de la réception des demandes de soin et d’intervention. On observe une certaine satisfaction des professionnels du service pour leurs efforts dans la standardisation de leurs pratiques d’accueil. Le CMP Banlieue lui, connaît moins de pression au niveau de la circulation des patients : il peut davantage s’organiser autour d’un suivi au long cours et dans une certaine proximité des patients, dans une certaine tradition découlant de la psychiatrie d’après guerre, dite « sociale ». Les professionnels expriment une certaine fierté pour l’aspect « artisanal » des pratiques du service, découlant pour eux davantage du « bon sens » et d’une tradition humaniste, que d’un cadre théorique ou procédural auquel ils pourraient se référer (« On n’est pas trop protocole ici ! » me dit une infirmière). Aussi, le CMP Banlieue va organiser le rôle des infirmiers autour du suivi au quotidien des patients, y compris par le biais de visites à leur domicile (VAD). Ces visites vont donner à voir l’organisation de la vie du patient à son domicile, ce qui donne une composante

57 La disparition de la formation spécifique des infirmiers de secteur psychiatrique à partir de 1992 est

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sociale forte à leur métier et rend nécessaire la prise en compte, voire la prise en charge de la personne dans tous les pans de sa vie. Dans ce CMP, il n’est pas rare ainsi qu’une infirmière se charge de la mise en place d’une démarche médico-sociale, y compris de la mise en route d’un dossier MDPH. Au CMP Paris, les visites à domicile ont été extériorisées et regroupées dans un service ad-hoc : les missions des infirmiers du CMP, relèvent principalement de la réalisation d’entretiens dits de « premier accueil » auprès de personnes sollicitant le CMP pour la première fois, d’entretiens de suivi des patients au long cours, plus cadrés et standardisés : si des demandes non médicales émergent, elles sont plus systématiquement renvoyées vers le service social, voire non traitées. Ces effets d’organisation de la mission infirmière, liés à la façon dont le CMP incorpore sa mission de service public, dans un contexte donné, prennent le pas sur les effets de génération chez les infirmiers. Dans un même cadre de travail, on n’observe pas de différence d’approche notable entre les plus anciens, titulaires d’un diplôme d’infirmier en psychiatrie, et les plus jeunes, titulaires d’un diplôme d’infirmier généraliste.

Chez les assistantes sociales, enfin, la jeune génération est volontiers décrite par les plus anciennes comme peu militante. Une certaine crise de l’engagement dans la profession58 coexiste avec la place de plus en plus importante faite aux nouvelles

générations d’assistantes sociales, du fait de la montée des précarités sociales et de l’impératif de sortie que subissent les centres hospitaliers. Certains attribuent d’ailleurs cette crise de l’engagement à la pression faite aux assistantes sociales de régler des situations de plus en plus difficiles avec de moins en moins en moyens humains et économiques.