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II. L’argumentation

II.5 Topiques et Doxa

Selon le dictionnaire Le Larousse, l’éthos est défini comme suit :

« Ensemble des caractères communs à un groupe d’individus appartenant à une même société.

Manière d’être sociale d’un individu (vêtements, comportement) envisagé dans sa relation avec la classe sociale de l’individu et considérée comme indice de l’appartenance à cette classe »117

Si nous avons recours à cette définition, c’est pour mieux expliquer les fondements mêmes du discours argumentatif et des éléments que l’on y retrouve, d’une part ; et d’une autre part, il semble que l’« éthos » soit relié, à juste titre, à la doxa et aux topiques. In fine, nous comprenons, dans ces deux définitions, que l’éthos touche un groupe d’individus qui ont les mêmes manières, traditions, culture, religion, habitus, comportements, et la relation qu’a l’individu en tant que personne indépendante avec ce groupe. Dans l’éthos, il y a l’individu fortement influencé par son

116Amossy, Ruth. L'argumentation dans le discours. Op.cit. p94.

117Le Larousse de la langue française. En ligne : www.larousse.fr/dictionnaire/francais/éthos/31434, consulté le 21/04/2014

groupe. A Oran, par exemple, nous avons un habitus alimentaire, la h’rira. Cet habitus nous est parvenu de ce que l’éthos social a transformé la h’rira (soupe) en plat traditionnel (spécial ramadhan) en plat traditionnel oranais. Derrière la h’rira, il n’y a pas seulement la nourriture mais il y a, de plus, toute une région de l’ouest algérien. Autre exemple, la karentika, plat oranais par essence ? C’est ce que l’on croit ou ce que croit la majorité des oranais. Toutefois, la karentika, plat de pois-chiche en purée cuisiné au four, nous a été transmis par les espagnols pendant l’occupation espagnole à Oran, son nom d’origine est la « calientita ». Ces deux exemples montrent que l’éthos est fortement imprégné par la concordance entre plusieurs éléments d’ordre social qu’il soit hérité ou emprunté.

Quand il s’agit de discours publicitaire, éthos discursif et éthos prédiscursif sont décryptés, dans la plus part des cas, dans les éléments linguistiques ainsi que dans les éléments iconiques. Si nous reprenons la figure 4 (affiche Renault), nous remarquons que l’une des réalités, dans lesquelles l’entreprise Renault s’inscrit, est celle de la modernité, et ceci parce qu’elle fait référence au domaine des technologies modernes. Cet éthos prédiscursif de l’affiche, et, via elle, de son locuteur réside dans l’image que Renault se figure avoir dans l’imaginaire des consommateurs/récepteurs ; quant à l’éthos discursif, il réside dans l’ensemble de l’affiche : Renault est une marque de voiture, elle est moderne, cependant, le consommateur algérien porte sur lui-même un regard traditionnel – ou le locuteur/émetteur se figure que le consommateur algérien se voit comme étant une personne traditionnelle, cantonnées dans ses habitus et ses habitudes et nous le relevons à travers les vêtements traditionnels portés par deux des personnages de l’affiche – Renault va permettre à ce consommateur de vivre sa part traditionnelle tout en appartenant, et ceci grâce à l’achat de la voiture, à l’univers de la modernité.

Les quatre points cités précédemment et qui sont relatifs aux deux éthos relevables dans l’univers publicitaire peuvent être appliqués sur la figure 4 de la manière suivante :

1- Renault représente l’univers moderne.

2- Les consommateurs se représentent la marque Renault comme une marque de voitures ayant une technologie nouvelle, les consommateurs pensent que l’entreprise véhicule la modernité à travers le produit mis en vente.

3- les consommateurs ont une image traditionnelle sur leurs propres personnes. De ce fait, leurs représentations d’eux-mêmes s’inscrivent dans la tradition.

4- Les opinions communes ou les doxas partagées par les consommateurs et l’entreprise seront comme suit : La voiture est un objet moderne et les algériens sont considérés comme des personnes très attachées à leurs traditions.

La doxa ou de ce que l’on appelle plus couramment les « opinons communes » renvoie, selon Ruth Amossy, à l’opinion public. Elle a une valeur de probabilité et n’est, donc, pas une vérité. Sa valeur est par conséquent relative à la vraisemblance « la doxa est donc l’espace du

plausible tel que l’appréhende le sens commun »118.

Si la doxa se constitue de l’ensemble des opinions communes, des croyances et des idées reçus sans discussion119, il n’en reste pas moins qu’elle construit une société dans laquelle des personnes vivant ensembles peuvent partager les mêmes opinions et être à l’aise avec ces opinions partagées.

Il est important, voire nécessaire, de préciser que l’homogénéité de la doxa est une notion floue. Le fait d’avoir plusieurs sociétés, plusieurs individualités partageant un même espace sociétal, individualités qui établissent des identités communes et diversifiées génère une multitude de doxa. Toutefois, dans le cadre du discours publicitaire, la doxa est l’opinion partagée de tous les consommateurs car la particularité de la publicité est d’être un discours qui touche la masse, et à l’intérieur de cette masse, une individualité par l’utilisation de déictiques spécifiques.

La mise en place de doxa et de topiques permet de générer des espaces dans lesquels s’inscrivent tout aussi bien des formes de discours linguistiques qu’iconiques. Ces formes de discours sont principalement des formes vides au départ, caractéristiques de tout signe, avant de se remplir de sens et ceci dans un contexte donné. Quand le contexte est celui de l’argumentation, nous avons vu que ses codes et techniques varient, toutefois, il n’en reste pas moins que si l’on veut convaincre une personne du bien fondé de notre discours, nous devons lui permettre de voir qui elle est et comment elle est perçu. Il existe certainement une forme de confusion entre la doxa et les topiques dans le sens où les deux notions renvoient à cette idée d’opinions communes. Néanmoins, il est nécessaire de préciser que la doxa est construite à partir des topiques. Elle est considérée comme étant un ensemble de croyances, d’idées reçues et d’opinions communes. Les topiques quant à elles, sont cet espace qui représente l’idée commune et partagée de tous, l’idée reçue et la croyance commune. Une topique sert à défendre une thèse

118Amossy, L'argumentation dans le discours. Op-cit. p113

(en même temps, elle peut tout aussi bien défendre son contraire120), l’essentiel étant dans le fait que l’utilisation de telle topique ou d’une telle autre est fortement liée, non seulement, à la perception de la société sur tel ou tel évènement mais, aussi, à l’évolution temporelle qui l’accompagne. De ce fait, les topiques sont des lieux communs évolutifs, ce qui fait d’eux des phénomènes instables dans la durée.

Sur un axe synchronique, une topique est stable et génère un sens particulier ; sur un axe diachronique, elle constitue un phénomène mobile et changeant qui prend en charge les variables de la société. La mutabilité de la société et son évolution tant sur le plan technologique que mental produit une constitution de nouvelles formes de topiques. Dans la plupart des cas, les topiques s’actualisent sous la forme de stéréotypes. Si ces derniers sont considérées comme des représentations sociales c’est parce qu’ils sont toujours « préconstruits »121 et établis à partir de croyances et des opinions des personnes vivant dans telle ou telle époque. Selon Ruth Amossy,

« Le stéréotype peut se définir comme une représentation ou une image collective simplifiée et figée des êtres et des choses que nous héritons de notre culture, et qui détermine nos attitudes et nos comportements »122 Nous remarquons qu’il y a une corrélation entre les images de notre société et la perception que nous en faisons, entre les diverses figures qui composent nos représentations et enfin entre l’évolution des mentalités, les prises de consciences et les différents entendements de la raison et de la pensée de l’Homme tant sur sa base d’individu à part entière que sur celle de personne rattachée à un ensemble d’autres hommes, partageant avec lui une multitudes de croyances et d’opinions sur le monde.

Aussi, quand il s’agit de discours publicitaire dans la presse, celui-ci permet de cibler précisément une très grande part de récepteurs/consommateurs car « l’affichage est un média

coup de poing qui s’impose au plus grand nombre et qui est capable de forcer l’attention »123. La publicité s’impose de deux manières : 1) Elle se trouve sur presque chaque deuxième page du journal ; 2) Elle fait référence à un univers connu du récepteur, elle l’interpelle via un discours linguistique (utilisation de déictiques de la 2èmepersonne du singulier ou du pluriel ou de procédé

120Ruth Amossy. L'argumentation dans le discours. Op.cit. p128. 121Ibid. p139

122Ibid. p139.

123Marie Laure Gavard-Perret. « les acteurs du marché publicitaire », in Eric Vernette, 2000. La publicité. Théories,

argumentatif tel que l’enthymème124 par exemple) et un discours visuel (par l’utilisation de signes iconiques qui renvoient à l’image que le consommateur/récepteur aurait de lui-même et de sa réalité.

Appliquons maintenant cette base théorique sur deux discours publicitaires pour voir comment les doxa et les topiques sont mis en relation pour créer du sens et ainsi faire émerger des stéréotypes. Nous commencerons d’abord par l’analyse iconique dans une image visuelle publicitaire, ensuite, nous nous attacherons à étudier un discours linguistique.

Figure 5125:

L’observation de la figure 5, nous permet de dégager plusieurs signes iconiques : sept personnages tenant des téléphones mobiles s’organisant autour d’un élément iconique central, un bâtiment. A l’intérieur de l’image, une plaque comporte en caractères latins, un signe linguistique « Batima » qui phonétiquement renvoie à la prononciation du mot « bâtiment » dans le dialecte des algériens. Ce signe linguistique prend la charge d’un élément iconique car il fonctionne comme relais126au signe iconique du bâtiment lui-même. L’immeuble en question est de couleur sable usé, nous voyons des fissures sur la largeur du mur et sur sa longueur, ainsi que l’effacement de la peinture au niveau de la première fenêtre en haut et à droite de l’image.

124Cf. p50 de notre travail. Toutefois pour les besoins de l’analyse, nous allons devoir redéfinir cette notion ultérieurement.

125 Cette affiche publicitaire a été redimensionnée et nous avons choisi de supprimer tous les éléments linguistiques renvoyant à l’offre de la marque de téléphonie mobile « Allo OTA » pour des raisons pratiques. 126Selon la terminologie de R. Barthes.

Aussi, toutes les persiennes des six fenêtres sont dans un état délabré voire même cassé (troisième fenêtre en bas et à gauche de l’image). Ces quelques éléments iconiques permettent de montrer l’usure du lieu. Même si l’ « usure » renvoie à un sens dénoté péjorativement, ce sens est annulé, voire contredit par les six personnages qui présentent des visages tous heureux, tous les traits anthropomorphes et figuratifs127 permettent de relever le contentement dans leurs visages (sourires, éclats de rire, clin d’œil, regards illuminés, etc.). Il y a de prime abord grâce à la contradiction, une construction narrative basée sur la signification suivante : le lieu où résident les personnages, malgré sa détérioration, ne les affecte pas. L’observation des personnages permet la construction d’autres récits narratifs tous liés à l’utilisation du produit mis en vente, non pas le téléphone portable mais le service de la téléphonie mobile OTA Algérie. De la ménagère de cinquante ans qui laisse bruler son plat (en haut à droite de l’image) au jeune homme romantique de trente ans tenant une rose rouge à la main (en bas à gauche), les personnages discutent et sont heureux, on le voit aussi à travers l’exagération des traits

anthropomorphes de leurs visages et de la position de leurs corps (l’un d’eux est assis sur le bord de sa fenêtre n’ayant aucune crainte de tomber) et ceci grâce à l’offre comme le souligne E. Vernette, « la publicité cherche à attirer la cible en présentant l’offre de la façon la plus attractive possible pour la faire aimer, quitte à exagérer parfois délibérément pour retenir

l’attention »128.

Dans cette affiche, plusieurs stéréotypes (dans son sens de représentation sociale figée) et représentations (dans son sens général qui renvoie à un phénomène qui « possède en plus la

propriété d’analogie qui lui permet de refléter la structure des objets sous une forme qui

ressemble à la perception »129) sont véhiculés à travers les personnages ainsi que les quelques autres signes iconiques mineurs que nous relèverons au fur et à mesure. Premièrement,

l’hétérogénéité quant à leurs âges (entre 30 et 50 ans à peu près), à leurs sexes (femmes et

hommes) et à leurs origines (noir, blanc et asiatique) permet de générer une première signification, celle du cosmopolitisme qui s’actualise en tant que représentation, celle qui énonce qu’en Algérie, toutes les individualités cohabitent ensembles ; deuxièmement, le partage qui s’actualise à travers un micro récit sous la forme de stéréotype, le micro récit est supposé à travers la lecture des signes existant sur les deux tiers à droite de l’image visuelle, en effet, les deux personnages sont en discussion, l’un avec l’autre ? On ne le sait pas mais on le suppose à travers le lien qui les relie et qui réside dans la corbeille de fruit que la femme asiatique donne à l’homme blanc (ce dernier possède tous les traits anthropomorphiques des visages d’homme de l’est algérien, les kabyles). Le stéréotype étant le suivant : les voisins doivent avoir des liens de bonté et de générosité les uns avec les autres.

A ce stéréotype s’ajoute d’autres images positivées comme par exemple la notion de la tolérance. En effet, le fait que le partage se fasse entre deux personnages dont les origines sont différentes donne une valeur ajoutée au stéréotype de partage de départ et l’actualise sous la forme d’une nouvelle représentation : la femme est stéréotypée comme généreuse, c’est elle qui a le cœur sur la main, elle donne donc ses fruits à l’homme, stéréotypé comme le sexe fort, qui se sert selon ses besoins et ses envies  les deux stéréotypes renforcent la représentation générale de la tolérance non seulement entre deux origines différentes mais aussi entre deux personnes de sexes différents. La tolérance s’additionnant à la représentation générale de l’hétérogénéité crée une forme d’homogénéité, phénomène qui vient renfoncer l’idée de bâtiment cosmopolite, ce dernier étant une métonymie de la société algérienne de manière générale.

128Eric Vernette, 2000. La publicité. Théories, acteurs et méthodes. Op-cit. p11. 129M. Denis, 1989. Image et cognition, P.U.F. Paris. p

L’affiche publicitaire reprend, par conséquent, la doxa partagée par une grande part de personnes (ici les consommateurs/récepteurs algériens). Cette doxa est construite à partir des représentations générales et des stéréotypes qui sont inscrits comme des croyances partagées par la masse. Cette doxa qui regroupe l’hétérogénéité, le partage, la tolérance et cette idée de cosmopolitisme est défendu à travers des topiques qui, dans notre affiche publicitaire, sont constitués par les signes iconiques et les différentes relations qui les relient130.

Passons maintenant à l’analyse des topiques linguistiques qui accompagnent le discours publicitaire utilisé dans l’affiche de Nissan131. Pour ce faire, nous avons choisi de travailler sur un procédé, l’enthymème, qui va nous permettre de comprendre quels lieux communs ont été sollicités pour la constitution de la doxa générale.

Voici comment se présentent les trois phrases qui accompagnent l’image visuelle de la marque de voiture Nissan : 1) « Les journaux écolo » ; 2) « roulez en SunnyGPL » ; 3) « découvrez les journées écolo de Sunny, durant le salon de l’automobile du 30 septembre au 10 octobre 2009 ». Nous les avons extraites parce que sur le plan plastique, ce sont ces trois phrases qui attirent le plus l’attention du consommateur/récepteur vu qu’elles sont écrites en grands caractères. Dans notre exemple, la phrase qui représente l’enthymème est la (2) « Roulez en SunnyGPL ». Revenons sur la définition de l’enthymème qui est « Forme abrégée du syllogisme dans laquelle on sous-entend l’une des deux prémisses ou la conclusion »132 , cela veut dire que si le syllogisme est constitué d’une partie majeure, d’une autre mineure et d’une dernière la conclusion ; l’enthymème, lui, omet deux de ses parties. Dans notre exemple, la phrase (2) représente la partie de la conclusion, non seulement, par la déictique de la personne, (le vous : 2ème personne du pluriel) mais, aussi, par le contenu de sens qu’elle actualise. La phrase (1) représente une forme de titre ou l’annonce du thème de l’affiche publicitaire. Néanmoins, elle permet aussi de comprendre ce que serait la partie majeure du discours si celui-ci était présent et qui serait le suivant : Sunny est une marque respectueuse de l’écologie. Aussi, la partie mineure s’actualiserait en ces termes : vous êtes une personne respectueuse de l’écologie. A travers cet exemple, nous remarquons une doxa partagée, celle de la protection de l’environnement qui nécessite de respecter l’écologie ; cette doxa est construite à travers une topique : l’idée que toutes les personnes souhaitent prendre soin de leur environnement et qui s’actualise grâce à l’enthymème. Ajoutons à cela une valeur ajoutée grâce au nom de la voiture : en effet, Sunny,

130Nous irons plus loin dans notre analyse dans la deuxième partie de notre travail et qui est spécialement consacrée à la description et à l’analyse de notre corpus de travail.

131Voir l’affiche publicitaire dans l’annexe.

monème anglais, signifie ‘ensoleillé’ et qui dit soleil dit belle journée en perspective, balade, randonnée, sortie à la plage, etc. et pour ce faire, les consommateurs auront besoin d’un moyen de transport qui n’est autre que le soleil lui-même « Sunny». Dès lors, le procédé de l’enthymème crée lui-même la doxa par la mise en place de son discours à propos de la protection de l’environnement et des présupposés qui mettent en avant des consommateurs souhaitant protéger l’environnement.

III. Réflexion sur l’argumentation publicitaire dans les affiches