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V. Le message publicitaire, entre signification et communication

V.2 Désirs VS besoins

L’homme vit, il a une existence. C’est cette existence-même qui crée en lui le désir et le besoin. Le fait qu’il vive dans une collectivité l’amène à croiser, dans sa vie quotidienne, plusieurs personnes ainsi que plusieurs objets qui sont de l’ordre du désirables pour lui. L’homme désire ce qu’il n’a pas, la possession devient alors l’ultime but qu’il s’assigne pour avoir l’objet de son désir qu’il soit matériel ou immatériel. Nous pouvons dire qu’il y a comme une forme de tension, l’homme est tendu vers cet objet, une tension qui explose quand l’objet lui appartient enfin. Naissent alors des sentiments de jouissance et d’épanouissement qui apportent le sentiment le plus important pour l’homme, celui du bonheur car ne pas posséder l’objet équivaudrait au malheur. Toutefois, lorsque l’homme possède, enfin, l’objet tant convoité, le manque d’autres objets lui fait désirer ces autres objets, de manière à créer un cercle continu dans lequel l’homme se retrouve projeté aussitôt qu’il rencontre un autre objet désirable. Ce phénomène produit une satisfaction très éphémère de la possession de l’objet car dès qu’il voit autre chose, il tombe dans l’insatisfaction de ne pas l’avoir.

Les philosophes, tels que Platon, Hegel et Bataille, sont tous d’accord pour dire que le désir suit son propre mouvement et qu’il est à la croisée des chemins entre la notion du plaisir et du déplaisir, celle de l’envie et de la non-envie, et enfin, celle de la séduction. Tant est si bien que si nous schématisions le désir, nous aurions le schéma ci-dessous. Notons que nous avons ajouté la notion de fantasme dans la triangulaire relation entre envie, plaisir, séduction et le désir qui les regrouperait toutes.

Explication du schéma

Le désir est soumis à ces quatre chainons qui sont liés les uns aux autres. L’envie est une forme du désir, son degré de puissance est bien plus fort car il est lié au sentiment de la jalousie.

La publicité donne à voir des personnes possédant des objets, ces personnes sont heureuses. Cette vision imagée crée le sentiment d’envie chez celui qui la regarde. Cette envie produit en lui le désir de posséder à son tour l’objet de son désir ; le fantasme est une représentation imaginaire, selon le dictionnaire Le Robert c’est « une action imaginaire qui implique le sujet, et

figure, […] l’accomplissement d’un désir »182, le fantasme est un tournant dans l’acte du désir, car l’objet du désir est vu selon les représentations que l’on se fait de lui et de ce que sa possession va apporter comme jouissance pour notre être ; l’objet désiré est attractif dans le sens où il réussit à captiver l’attention de la personne par l’embellissement qui lui est rattaché, que cela soit un embellissement imaginé par la personne elle-même par rapport à l’objet ou qu’il soit produit par une autre personne afin d’attirer son attention et de le séduire par l’objet ; enfin, le plaisir est le résultat final de la possession de l’objet, ce plaisir peut revêtir différents aspects (matériels ou non matériels) mais il a une acceptation générale, il est de l’ordre de l’éphémère. Dans cette dynamique, que serait le besoin ? Et quelle serait sa place dans la disposition de ces quatre chainons ?

Nous avons souvent tendance à confondre besoins et désirs et, sans doute, à juste titre car le lien qui les sépare est mince et permet des associations entre les deux termes. Le besoin est ce qui est de l’ordre du nécessaire, de ce fait, tout ce qui est nécessaire à la vie de l’homme devient un besoin : s’alimenter, se reposer, dormir, se désaltérer, etc. le besoin serait donc tout ce qui a un rapport avec le corps et le bon fonctionnement physiologique et biologique de ce corps. Le besoin, bien que marqué par la matérialité – il est satisfait par la possession de l’objet – se déguise, parfois, par l’abstraction que lui soumet la notion du désir. Ici, les deux termes sont définis dans cette dynamique du manque de l’objet. En réalité, ce qui transforme le besoin en désir, ce sont les pensées de l’homme ou, plus précisément, la conception qu’il se fait de l’objet dont il manque : « Les besoins non satisfaits s'oublient, mais il est des désirs non réalisés qui subsistent indestructibles »183, cette optique permet de voir que l’homme est esclave de ses désirs et non de ses besoins. L’objet qu’il se figure et les constructions imaginaires qu’il s’en fait permettent les transformations au niveau de l’état du manque en lui-même : son besoin de l’objet devient désir de l’objet car celui-ci va lui apporter tel ou tel autre contentement physique ou mental.

182Dictionnaire Le Robert, en CD-ROM, op.cit. 183Encyclopædia Universalis. 2004. CD-ROM.

Peut-être que confronter le désir au domaine de la sexualité est aussi une voie à prendre en considération car dans cette optique entreront en jeu deux entités, ayant des psychismes différents ainsi que des corps différents. Le désir demande à être assouvi, le besoin demande à être satisfait. A quoi répondons-nous ? Au désir sexuel, nous désirons le corps de l’autre, nous désirons ne faire qu’un avec l’autre, âme et corps confondus ? Ou avons-nous juste des besoins impulsés par la biologie de procréation et ainsi le corps a besoin de l’acte sexuel pour satisfaire ce besoin biologique du corps, inscrit dans nos gènes ? Là aussi, comment répondre aux différences qui existent entre le désir et le besoin si ce n’est de dire que dans l’acte du désir sexuel de l’autre, l’imaginaire et les représentations jouent un rôle dominant : le cerveau donne à croire à l’être qu’il aime l’autre, son besoin biologique est alors en pleine mutation : il n’a plus de besoin biologique à satisfaire mais il a un désir immanent, de l’ordre de l’affect à assouvir avec l’autre, il sera partenaire dans ce désir avec l’autre, alors que dans l’état de besoin, la notion de partage et de partenariat n’existent pas.

Cet exemple sur le désir et le besoin sexuel va nous permettre de comprendre, plus loin dans l’analyse, comment les publicitaires réussissent à attirer l’attention du consommateur et à lui faire acheter un produit. Toutefois, retenons, à ce stade de cette première analyse, que les désirs sont créés à partir de mutations apportées sur les acceptions du besoin. Quant à la place du besoin dans le schéma du désir, cette dernière peut-être analysée de la manière suivante :

 L’envie dans le cas du besoin serait absente. Si le besoin doit être lié à l’assouvissement d’une forme de manque naturel, aucune tension de l’ordre de la jalousie n’aurait de place et, de fait, cela annulerait la composante de l’envie.

 Le fantasme est le lieu de la symbolique et des images-représentations que prendra l’objet une fois soumis à la société : une fois l’objet socialisé, il entre dans la catégorie du fantasme. Sinon, si l’objet n’est soumis qu’à sa matérialisation, le fantasme sera une composante absente.

 Les deux dernières composantes, celle du plaisir et de séduire, n’auraient pas de place dans la mesure où l’objet dont manque le sujet n’est pas dans la dynamique de la séduction : ce n’est pas parce que le pain séduit le sujet qu’il en mange mais c’est par besoin nutritionnel ; quant à la composante du plaisir, cette dernière pourrait trouver du sens dans la mesure où le pain que le sujet mange par besoin lui procure de la satisfaction.

Dans ce cas, comment ré-analyser la place du besoin par rapport au désir et à son rapport avec les quatre chainons ? L’hypothèse que nous pouvons émettre est la suivante : comme nous l’avons souligné précédemment, trois des quatre chainons disparaissent quand il s’agit du besoin. Le chainon du plaisir est celui que l’on retrouve lorsque nous évoquons le désir et le besoin. La stabilité du plaisir dans les deux schémas « désir » et « besoin » constitue une caractéristique commune entre les deux éléments. Celle-ci est fondée sur la satisfaction du sujet ayant obtenu l’objet qu’il souhaite avoir. Séduire, fantasmes et envie sont des chainons stables au niveau du désir. Comme nous l’avons vu, ils permettent de mettre en place des transformations sur l’objet. Il ne sera plus un objet quelconque parmi tant d’autres, bien au contraire, il sera habillé par un nouveau regard construit et mis en place par le sujet. Cette construction se fait par l’ajout de nouvelles données à l’objet. Ces données sont basées sur ce que la société construit comme images, symboles et représentations à propos des objets dont les sujets ont besoin ou de ceux qu’ils souhaitent avoir. Les besoins peuvent être de différentes sortes, qu’ils soient matériels (nourritures, sexualité, etc.) ou abstraits (estime de soi, besoin du respect de l’autre : dans ce cas là, on pourrait aussi parler de la construction de la société du regard de l’autre et de son importance pour la vie du sujet – mais ceci est un autre sujet), ils restent d’abord soumis à l’ordre naturel de l’homme : ils seront des besoins naturels, biologiques, physiologiques, leur satisfaction assouvira donc ces besoins, ainsi, dans la catégorisation de leur existence dans celle du sujet, nous pouvons dire que les besoins ont une grande importance. Toutefois, les désirs requièrent une plus grande importance car leur satisfaction requiert un tout autre plaisir que celui de l’assouvissement du besoin. Ce plaisir, lui aussi, s’habille différemment, dans le sens où ses conceptions et acceptations vont être d’un niveau supérieur. Le passage du plaisir de la satisfaction d’un besoins au plaisir de la satisfaction d’un désir est parallèle au passage de l’objet dont un sujet un besoin vers un objet désirable : l’appartenance du sujet à une communauté, son bain quotidien dans ce que sa société émet comme images, symboles et représentations lui permet à son tour de faire émerger des objets du désir. Tant est si bien que les besoins du sujet sont transformés en désirs grâce à la vie en société. Comme si qu’avant tout passage vers l’objet désirable, n’importe quel objet est d’abord de l’ordre du besoin. Ce dernier serait sur un palier inférieur de la notion du désir et représenterait une première étape avant le passage vers le désir. Ce qui permettrait ce passage réside dans la tension générée par les images ou les symboles mis en place par le sujet lui-même à propos de l’objet dont il a, d’abord, le besoin.

Ce schéma reprend le passage des objets du besoin vers les objets désirables et aura son importance lorsqu’il s’agira de confronter les besoins et les désirs dans l’univers publicitaire où il sera repris et soumis à quelques modifications qui souligneront les certaines étapes importantes dans l’argumentation publicitaire.