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III. Publicité et sémiotique

III.4 Le discours publicitaire : un genre polysémique et monocanal

La polysémie renvoie à une unité qui comporte, pour son seul signifiant, plusieurs signifiés. Dans ce sens, pour un signe (linguistique ou iconique), il y a une multitude de sens qui émergent dans un contexte donné. La monosémie, quant à elle, renvoie à la présence d’un seul signifié pour un seul signifiant. Auraient-elles, de ce fait, un lien avec les deux notions de connotation et de dénotation ? En effet, il semble qu’il y ait une ressemblance dans ces quatre notions. La monosémie serait le synonyme de dénotation alors que la polysémie, celle de connotation. Pour mieux comprendre le rapprochement que nous établissions, nous devons revoir à quoi renvoie connotation et dénotation.

Que cela soit dans des ouvrages spécialisés en linguistique ou dans les encyclopédies, la connotation est définie par rapport à la dénotation, il y a une forme de dialogue entre eux deux, à

tel point que la dénotation est définie dans un procès de négativité : en effet, la dénotation est tout ce qui n’est pas connotation79. Cette définition est venue après de longues discussions et réflexion à propos de la toute première question établie par Port Royal et qui stipulait que tout ce qui relève de la connotation relève d’’idées accessoires’, leur définition était la suivante :

« Il arrive souvent qu’un mot, outre l’idée principale qu’on regarde comme la signification propre de ce mot, excite plusieurs autres idées

qu’on peut appeler accessoires, auxquelles on ne prend pas garde, quoique l’esprit en reçoive l’interprétation »80

Nous soulignerons, dans cette définition, la dernière phrase qui stipule que ces idées accessoires sont des idées dont le récepteur ou le locuteur ne prennent pas souvent conscience. Il semblerait donc que ces nouvelles informations « accessoires » à propos d’un mot soient interprétables parce que, quelque part dans l’inconscient de l’individu, sont emmagasinées toutes les significations qu’on lui en donne. Elles lui sont conférées à partir de sa propre expérience du monde. Le contexte d’émission du signe est donc important car il prend en charge les influences de toutes sortes : religions, symboles, idéologies, représentations, et culture(s) entrent en jeux dans la construction de l’identité du signe qu’il soit linguistique ou iconique.

Pour en revenir à ce problème de polysémie et de connotation dans le discours publicitaire, il faudrait que l’on retienne que la connotation va au-delà de la polysémie, car elle reconstruit le sens selon tous les contextes socio-psychologiques de l’individu alors que la polysémie, elle constitue le sens à partir du contexte du mot, on dira alors que pour chaque mot, il y aura plusieurs sens. Il en va de même pour le signe iconique.

Il est vrai que lorsqu’il s’agit de la lecture d’une image visuelle, l’identification des sens devient difficile car pour chaque lecteur, il existera plusieurs significations qu’il va attribuer à l’image. Toutefois, les premiers sens qu’il va attribuer seront d’abord d’ordre polysémique, chaque signifiant aura ses différents signifiés ; et chaque signifié aura ses diverses connotations (selon ce que nous avons appelé le contexte socio-psychologique).

Ce qui fera de tout discours visuel ou linguistique, un discours polysémique soumis aux lois de la connotation, qui sont personnelles à chaque individu. Néanmoins, la publicité est un genre particulier : en effet, le publicitaire ne doit pas perdre de vue que la priorité est donnée à l’achat du produit. De ce fait, il est souhaitable qu’à un moment donné, le sens soit stabilisé pour

79Encyclopédie Universalis. 2014. CD-ROM 80Ibid.

permettre une meilleure compréhension de la publicité en question et donner la possibilité au lecteur de se l’approprier – au point, parfois, de se retrouver dans le discours émis ou de s’identifier aux personnages présentés par exemple.

C’est pourquoi, nous retrouvons dans la majorité des cas, des publicités dont les discours linguistique et iconique fonctionnent par ancrage et relais de sens81. Le publicitaire assure, de la sorte, un degré de compréhension plus ou moins élevé. En occident, il y a des publicités qui jouent à créer des ambigüités de sens en jouant sur des signes iconiques et des signes linguistiques qui n’ont pas les deux fonctions citées précédemment. C’est le cas par exemple de publicités de la marque Benetton – vêtements de sport – qui s’est démarquée de ses autres concurrents avec des publicités originales, uniques en leur genre, prônant la tolérance et dénonçant la haine raciale et religieuse. Ces publicités, bien que controversées, ont eu un énorme succès auprès de la majeure partie des jeunes occidentaux. En Algérie, nous ne retrouvons pas les mêmes formes, à priori parce que le tabou religieux et culturel est très présent et ancré dans la société. De mémoire, avec les quelques milliers de publicités que nous avons observées, aucune ne présentait cette polysémie à diverses connotations (parfois contradictoire avec le produit et le discours publicitaire.

Puisque tout discours répond à un schéma de communication, qu’est-ce qui fait de la publicité un discours monocanal ? Pour le comprendre, revoyons la notion de canal dans le schéma de communication de Jakobson82. Le canal est le moyen ou le support physique qui permet l’envoie d’un message d’un émetteur vers un récepteur. Il est important car, sans sa présence, aucun message ne serait ni envoyé ni reçu. C’est le canal qui rend l’existence du code possible. Le code, quant à lui, réfère à l’ensemble des signes qui, combinés entre eux, donnent un sens après qu’ils aient été préalablement encodés par un émetteur puis décodés par un récepteur. Pour Jakobson, à chaque partie du schéma de la communication correspond une fonction, en ce qui concerne le canal, la fonction qui lui est attribuée est phatique. Selon Jakobson, celle-ci permet d’établir, de maintenir ou d’interrompre le contact physique et psychologique avec le récepteur83. Pour pouvoir maintenir ce contact, on a besoin de formes vides84 ou vidées de leur sens (ex. allô ! quoi ? Hein ? Etc. ou les conversations vides sur le temps ou les formules de politesse). Le canal permet donc la communication, et selon les types de communication, nous 81C’est à Roland Barthes que nous devons ces deux notions (ancrage et relais) dans sa rhétorique visuelle.

82A ce stade, nous n’allons pas revenir sur toutes les parties du schéma de la communication. Nous prévoyons de le faire dans le chapitre 2, partie intitulée l’univers de la manipulation dans la publicité.

83Jakobson, Roman. Résumé à partir de cours et d’ouvrages critiques lus sur la notion de la communication. 84Cocula, Bernard, 1999, Sémantique de l’image : pour une approche méthodique des messages visuels, éditions de lagrave, Paris, P.

aurons divers canaux appropriés, tous en relation avec les cinq sens. Selon Klinkenberg, « le canal impose certaines contraintes à la production, la circulation et la réception des signes »85. Si nous résumons la relation entre les cinq sens et le code/canal, nous pourrions déduire que le canal est porteur de codes, les cinq sens sont les canaux qui portent les codes. Les plus importants sont ceux de la vue et de l’ouïe, non pas parce que les autres sens ne sont pas fonctionnels mais plutôt parce que ce sont des sens qui ont une moindre portée et exigent un contact immédiat, physique, et beaucoup trop rapproché ; alors que la vue et l’ouïe permettent une « communication longue distance »86. En ce qui concerne les affiches publicitaires, celles-ci, bien qu’elles mélangent deux codes (linguistique et iconique) jouent sur un seul sens : la vue. L’appareil visuel présente plusieurs avantages parmi lesquels analyser plusieurs éléments (qui présentent des informations différentes) dans un temps court et de manière simultanée même si pour JM Klinkenberg, la vue présente un énorme désavantage : sans lumière point de vue.

Si l’on considère le canal par lequel passe le discours publicitaire, nous remarquons qu’il répond à une exigence : la séparation entre un espace intérieur et un espace extérieur imposé par la présence d’un cadre ou d’une limite à l’affiche. Cette exigence délimite la lecture et la compréhension de tout ce qui est visible dans la publicité. Le cadre représente une donnée sémiotique significative car il confère un contexte à l’affiche. Ce contexte est différent selon le point de vue que l’on adopte, en d’autres termes, il y a un contexte propre à ce qui se passe à l’intérieur de l’affiche : présence de signes iconiques, de figures, de formes, de signes linguistiques, couleurs, texture, etc. et leur combinaison ; et ce qui se passe à l’extérieur de l’affiche : est-elle placée dans un magasine ou un journal quotidien ? À quel moment apparait-elle ? Quel produit met-apparait-elle en avant ? A-t-il une relation avec les lecteurs du magasine ou du journal ? Est-elle accolée à un mur ? Quelle forme a-t-elle et quelle est sa dimension ? Etc. On aura remarqué à travers ces questions posées que le canal est double, il n’est plus question de la seule affiche publicitaire mais il est aussi question du canal dans lequel est émise l’affiche.

En ce qui concerne notre corpus, le canal n’est pas anodin. En effet, notre choix s’est porté sur l’analyse de publicités éditées dans deux journaux quotidiens (qui ont un taux de lecture élevé), des journaux propres (au départ) à une région précise : la ville d’Oran87. Nous remarquerons, dans ces conditions, que le canal est très peu étudié en Algérie comme moyen d’émission. En effet, le seul critère réside dans le fait que les deux journaux sont lus par la

85Klinkenberg, JM. Précis de sémiotique générale. Op.cit. P129. 86Ibid. P129.

87Nous aborderons dans le 3èmesous-chapitre notre corpus et les deux journaux que nous avons choisis. Notons, toutefois, que ces deux journaux sont nationaux.

majorité des habitants de la ville. Pendant le lapse de temps dans lequel nous avons construit notre corpus, nous avons observé que la plus part des publicités étaient destinées à la consommation alimentaire, à la téléphonie mobile et à l’achat d’automobile (en ce qui concerne l’alimentation, c’est un fait fréquent car en Algérie, qui dit ramadan dit suralimentation), toutefois, si le canal avait été mieux étudié, on aurait eu certes différentes publicités (parce que tout le monde lit le quotidien !) mais on aurait eu d’autres publicités plus ciblées qui auraient, en plus, cernés les habitants de la ville d’Oran. Encore faut-il prendre conscience de l’importance du canal et de la manière avec laquelle les codes portés par lui sont construits et mis en avant.

Pour en revenir aux affiches publicitaires, le canal porte deux codes différents mais qui nécessitent tous les deux la vue. Les signes iconiques – code iconique – et les signes linguistiques – code linguistique : écriture – sont des faits visuels et jouent sur ce qu’ils peuvent produire comme émotion et sentiment ou première attention d’abord sur le plan visuel. C’est pour cette raison que même les signes linguistiques sont soumis à des variations de tailles, de couleurs, de formes et de police entre autres. Si nous reprenons notre exemple (fig.1), nous observerons que la taille ainsi que la couleur des signes linguistiques sont différentes et ce sont elles qui marquent les quatre niveaux que nous avions relevés. Le code linguistique nécessitera une lecture linéaire certes, mais étant donné qu’il est soumis à la vision, et que les tailles et les couleurs des énoncés diffèrent, le regard captera ce qui s’offre en premier à sa vue. En ce qui concerne notre exemple, les deux énoncés 1 et 4 sont les plus grands, ils attirent donc notre regard en premier. Ici, la linéarité de la lecture laisse sa place à une autre forme de lecture globale où les signes les plus conséquents sont ceux que le lecteur remarque en premier. Ce serait un premier stade basé sur la visibilité des codes, ensuite, on aurait un second stade basé sur la lisibilité des codes.

Chaque affiche publicitaire est considérée comme une seule unité de sens qui utilise un canal véhiculant deux systèmes de codes différents ayant une relation complexe de complémentarité, peut-être même de redondance. On désignera le discours publicitaire comme un discours pluricode. Selon de JM Klinkenberg, le discours pluricode comprend :

« toute famille d’énoncés considérés comme sociologiquement homogène par une culture donnée, mais dans laquelle, la description peut isoler plusieurs sous-énoncés relevant chacun d’un code différent »88

Dans cette définition, la part est donnée à ce que la culture considère comme homogène et hétérogène dans sa mise en place d’énoncés de toutes sortes. Toutefois, en ce qui concerne la publicité, nous ne voyons pas la pluralité des codes utilisés comme un fait sans relation aucune, sans but ou objectifs prédéfinis, nous aurions préféré parler de discours intercode car chaque code influence l’autre, le renforce, crée de la redondance par rapport à l’autre en le complétant ou en apportant plus d’information, il le nuance et le rajuste. Ce n’est pas tant la forme au pluriel des codes qui compte mais bien ce que plusieurs codes peuvent créer comme sens et significations quand ils sont utilisés ensembles.

Aussi, nous devons souligner que le canal et les codes utilisés diffèrent d’un utilisateur à un autre, d’une société à l’autre. Cette caractéristique de dépendance souligne à quel point la culture joue un rôle prédéterminant dans leur emploie et, ceci, dans n’importe quelle situation de communication. De plus, la perception que l’émetteur se fait des codes et de la manière de les employer influence le discours. En d’autres termes, des critères externes qui sont des facteurs psychologiques, sociaux, culturels, religieux construisent le discours final, celui qui est enfermé dans un canal précis et émis avec un code particulier.

En ce qui concerne le discours publicitaire, les enjeux sont importants car la communication est ici fortement intentionnelle et ses buts sont saisis par les récepteurs-consommateurs. C’est pourquoi, les publicitaires ont recourt à des jeux parmi lesquels les jeux sur les signes linguistiques, iconiques, sur les formes et les figures. Ceux-ci doivent mener le récepteur à l’achat du produit par la voie de la séduction et de la manipulation. Les codes sont donc variables et évolutifs selon la situation de communication, il en va de même pour le canal (nous n’avons qu’à voir l’évolution du canal télévisuel !) qui subit au fil de l’évolution de la société et de la maturation de la perception du locuteur une influence considérable. Précisons, enfin, que le discours publicitaire, qui est donc un discours pluricode (même si nous lui préférons l’utilisation d’intercode) a différents canaux (radio, télé, affiche) qui permettent un passage moins opaque de la communication.

Conclusion du chapitre 1

Le premier chapitre nous aura permis d’appréhender l’image sous l’angle de son évolution. En effet, l’Histoire nous démontre la portée quasi éternelle de l’univers imagique sur les perceptions et les représentations de l’Homme que cela soit sur le plan économique, politique, social ou même religieux, les images passionnent et créent des tensions. C’est ce que nous avons pu constater grâce à la guerre des images entre iconoclastes et iconophiles et comment les arabo-musulmans, qui étaient très réfractaires à l’image, ont pu détourner les règles en s’adonnant à l’art de l’arabesque, de la calligraphie et de la figure animalière et florale.

Ce premier chapitre, nous aura aussi permis de comprendre la notion du signe et de ce qu’il englobe comme significations. Nous avons pu dégager les principaux éléments entrant en jeu dans la construction imagique, de manière générale, puis dans la construction publicitaire, de manière particulière.

Nous avons vu la mouvance du signe dans un contexte précis. Ainsi, l’image peut être considérée comme un signe global renfermant en son sein plusieurs unités minimales rentrant dans la constitution de ce signe global.

Les unités significatives de l’image représentent, tout d’abord, des formes et ce sont les connaissances encyclopédiques qui permettent de les transformer en figures. Ainsi, le signe, même lorsqu’il ne représente qu’une unité minimale d’un ensemble peut transformer cet ensemble selon les différents mythes et histoires qui peuvent lui être liés. Le signe vit à l’intérieur d’une communauté qui lui donne vie, et cette même société peut transformer les significations qui imprègnent le signe et qui lui donne sa mouvance.

Enfin, nous avons pu observer le genre publicitaire. Nous l’avons distinguée comme un genre discursif particulier qui construit une signification polysémique due à la présence d’une combinaison de signes iconiques et linguistiques. Cette polysémie répond à la connotation du fait de l’appartenance de tout récepteur à un univers construit par la société et reconstruit par lui grâce, à ce que C. Lévi-Strauss avait appelé le bricolage identitaire89. Enfin, pour permettre une stabilisation du discours, les publicitaires essaient de créer une cohésion entre le discours iconique et le discours linguistique.

Introduction du chapitre 2

Le deuxième chapitre, intitulé « L’argumentation dans la publicité », est un chapitre centré sur le discours publicitaire. Il permet de comprendre plusieurs des éléments qui entrent en jeu quand il s’agit de construire la publicité.

Ce chapitre débute par la mise en avant de la rhétorique et de la part de celle-ci dans la publicité. En effet, pour faire adhérer un consommateur, il n’y a pas de meilleure manière que celle de lui parler, de savoir comment lui parler et quoi lui dire.

Ensuite, nous avons opté pour une mise au point sur la notion de l’argumentation en l’opposant d’abord à la rhétorique, puis en mettant en avant toutes les parties importantes lors du discours argumentatif : énonciateur, co-énonciateur (qui dans le cas de la publicité est suggéré, implicite dans le discours), aux représentations et aux stéréotypes car il est question de voir, dans cette optique argumentative de la publicité, si oui ou non la publicité peut convaincre le consommateur.

Enfin, nous sommes revenues sur la part manipulatoire dont fait preuve la publicité. Une grande part a été donnée à critères du désir, du besoin et de la séduction car qui dit publicité, dit création de besoin par la voie de la séduction et du désir.

Pour que la publicité puisse avoir de l’effet sur son récepteur, le publicitaire se doit d’utiliser certaines techniques parmi lesquelles l’argumentation considérée comme genre rhétorique incluant son côté persuasif, voire manipulatoire. Ce que recherche le publicitaire, c’est une adhésion de son récepteur, cette adhésion se manifeste lorsque le récepteur passe du simple récepteur/interlocuteur du message publicitaire au consommateur du produit mis en vente. Pour pouvoir expliciter ce passage, nous nous référerons à l’univers de la manipulation, à ses procédés et à ses mises en pratiques. Le but de l’entreprise étant de faire connaitre son produit et celui du publicitaire de générer une adhésion au produit, notre objectif est de montrer que la relation qui se crée entre la publicité et son récepteur n’est pas anodine et qu’elle passe par des réseaux de communication qui sont le résultat final d’une argumentation basée sur un argument - pas n’importe quel argument car nous nous situons dans le message publicitaire, donc il s’agira d’un