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Les théories concernant l’argumentation et la rhétorique, for nombreuses, font l’apanage d’un lien ou d’une corrélation profonde entre ces deux éléments, si tant et si bien que la rhétorique est devenue en quelque sorte l’art de bien persuader.

Nous retrouvons diverses définitions pour cette notion plus ou moins flottante et toutes en relation avec son évolution, ses modes de constructions et son utilisation. Aussi, il est important de relever que certaines définitions de la rhétorique ne sont pas toujours positives, en effet, dans certains textes cette notion ainsi que le rhéteur ont une connotation négative90. Ceci est dû à une évolution dans un contexte social qui, en dépit de comprendre l’importance de la présence d’une science qui régule la manière de parler, a mis en avant le fait que le rhéteur énonce des éléments qui n’ont pas toujours une véridicité dans leur contexte d’émission. Cette problématique de la vérité a, quelque peu, terni la portée de cette science de l’art de bien parler, de ce fait, le critère de la vérité n’est pas toujours requis, ce qui l’est, en revanche, c’est l’effet de beauté de la langue et la singularité qu’elle octroie au discours afin de le rendre, certes plus clair, mais surtout plus esthétique. S’ajoute au problème de la vérité celui de l’utilisation de cet art dans les plaidoyers où les victimes étaient bien souvent coupables de leurs actes.

Dans les dictionnaires tels que Le Larousse ou Le Grand Robert, la rhétorique est définie comme « un art de bien parler, technique de mise en œuvre de moyens d’expression du langage 90Qui commence à partir de l’époque platonicienne.

(par la composition, les figures) »91. Cette définition donne à comprendre comment est-ce que l’art de bien parler procède par l’utilisation de figures et une certaine manière de composer les mots, le fait est que la rhétorique s’intéresse à l’utilisation des mots, une utilisation à laquelle elle tente de donner des normes. Cela fait d’elle une science complète du discours ou de l’esthétique du discours. Mais force est de constater que ce n’est pas le seul acte qui procède à la rhétorique puisque dans son Encyclopédie, Diderot en dira : « […] d’autres la définissent comme l’art de

bien parler, ars bene dicendi, […] il n’est pas nécessaire d’ajouter que c’est l’art de bien parler

pour persuader »92. C’est cet élément de persuasion qui suscite notre intérêt et qui ne peut être compris sans une compréhension de l’évolution de la notion de rhétorique et des parties qui la composent. Il est important de relever, de prime abord, la force de cette science qui malgré le fait d’avoir été déclarée morte par certains prédécesseurs ne l’a, finalement, pas été et tend, bien au contraire, aujourd’hui, à se voir conférer une nouvelle force car elle est utilisée dans plusieurs domaines tels que la politique, la science, la pédagogie, ou autres. Elle est reliée d’une certaine façon à tout l’univers de la communication qui nécessite la présence d’interlocuteurs et d’un message. La rhétorique a une force qui lui est donnée par le contexte social, antique, moyenâgeux, ou encore contemporain, elle puise dans ce champ, les termes d’une renaissance qui va, à chaque fois, avec son temps. Et parce qu’elle s’accorde dans des pratiques diverses de nos sociétés, elle est à chaque fois soumise à des renouvellements dans ses techniques et méthodes. Elle a cette ingénieuse manière de s’adapter à chaque pratique sociétale et d’y puiser des recettes qu’elle va didactiser, normer, et mettre en pratique. Le contexte sociétal met en place ces domaines qui ont fait que la rhétorique s’est déclinée en plusieurs pratiques93.

Tout commence par la constitution de la démocratie. En effet, la rhétorique accompagne une société libre, émancipé, qui attribue une forme d’autonomie de la parole à son peuple. C’est en libérant l’acte même de la parole que, sans le savoir peut-être, les populations antiques ont créé cette rhétorique qui leur a conféré la possibilité de dire et au delà de « se » dire. Le fait de pouvoir discuter de ses opinions et de le faire selon une manière et des techniques relève de cette rhétorique naissante et la situe vers 485 av. J-C au moment où il fallait plaider la cause du peuple face à la chute de deux tyrans de l’époque antique.

91Le Grand Robert. CD-ROM. 2009.

92Diderot, L’Encyclopédie. Articles lus sur le site : http://www.espacefrancais.com/lencyclopedie-du-xviiie-siecle/, consulté en mars 2013.

93Pour une meilleure compréhension de ces pratiques rhétoriques, nous renvoyons à l’article de Roland Barthes, « L’ancienne rhétorique », In Communication n°16. 1970. Pp172-223. Consultable en ligne à l’adresse :

Barthes parlera de la nécessité de ce moment de l’éloquence de la parole car pour pouvoir convaincre, il fallait, tout d’abord, savoir bien parler. Trois genres naissent : le judiciaire, le délibératif et l’épidictique et ont tous comme procédés la rhétorique. Plusieurs théoriciens dont Platon ont mis en place des programmes de cette rhétorique qu’ils essayèrent de définir, de s’approprier et, en quelque sorte, d’apprivoiser. Chaque théoricien a aussi donné sa propre manière de voir cette rhétorique, ce qui eut pour conséquence de générer des oppositions dans les procédés rhétoriques.

Toutefois, les théories de la rhétorique d’aujourd’hui sont le fruit d’Aristote qui a réussi à mêler la rhétorique à la poétique, un événement qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature. Aristote a accordé une grande importance aux trois parties de la rhétorique : émetteur, message et récepteur (c’est ce qui a précédé le schéma de la communication de Jakobson). Dans chaque partie, il traite des arguments utilisés tant sur le point de vue de leur locuteur qu’interlocuteur, mais aussi des passions qui régulent la réception du message et son émission. Avec Cicéron, c’est un retour à la forme moralisatrice de la rhétorique, un retour inspiré de Platon et qui tend, lui aussi, vers la véridicité de la parole. Pour Quintilien, l’apprentissage de la rhétorique et des procédés pour bien parler et bien écrire fonctionnent d’abord comme un élément libérateur de la parole mais aussi de l’individu, vu que son apprentissage se fait dès le plus jeune âge. Ce qui permet de créer, selon Barthes « un rapport ‘objectal’ avec le monde, une bonne maitrise du monde et des autres »94. Il y a dans cette citation un mot autour duquel semble s’articuler la rhétorique, celui de la maitrise. L’on comprendra, de ce fait, que l’enseignement de la rhétorique permet d’un côté d’avoir un ascendant sur le monde, l’apprenant a un regard critique et objectif de sa société, et, d’un autre côté, du pouvoir sur cette société et des personnes qui y vivent.

Tous les ouvrages théoriques renvoient à trois grands domaines (ou champs) dans la rhétorique. Chacun de ses champs a sa propre structure et agit par lui-même tout en entrant en corrélation avec les autres. Ces derniers sont l’Inventio, le Dispositio, et l’Elocutio.

L’Inventio a un rapport avec la « découverte »95des mots que l’on va utiliser. Il ne s’agit pas là d’inventer des mots nouveaux, mais surtout de reprendre les mots qui sont les plus justes pour pouvoir traduire sa pensée. Parmi les procédés de l’Inventio utilisés dans le discours publicitaire, l’enthymème que la marque Geox utilise souvent : Geox est une marque de

94Ibid. p185. 95Ibid. p198.

chaussures qui permettent aux pieds de respirer. Les pieds, de manière générale, ont besoin de respirer. Le consommateur a des pieds, ses pieds ont besoin de respirer, il a donc besoin de mettre des Geox96. L’Inventio a vu la naissance des topiques. Barthes en dira que ce sont des formes, vides au départ, qui vont peu à peu se remplir afin d’aider le locuteur à parler. Ces topiques seront soumis à la répétition car ils constituent un discours prêt, ils sont utilisables et ré-actualisables et, par ce fait, leurs contenus risquent d’être emplis de représentations et de stéréotypes. Les publicités utilisent des topos mais, dans la majorité des cas, les produits sont traités de la même manière dès lors que leur catégorie est définie : les shampoings et les liquides vaisselles forment deux catégories de liquides mais à finalité différente. Ils auront un lieu commun qui est le savon liquide mais des topos différents. En ces termes, nous catégorisons le produit et nous définissons sa finalité, par conséquent, notre création des topiques existe toujours mais ses formes internes sont différentes. Nous y retrouvons aussi la dynamique du vraisemblable : il ne s’agit pas de la vérité en tant que telle mais de ce que l’on pense être vrai. A partir de là, le discours se construit selon les « croyances » du public. De la même manière, dans le jeu de la publicité, le discours s’articule autour du public, de ses affects, de ses sentiments et de sa psychologie. Une part très importante est ainsi donnée au domaine des passions qui régissent le quotidien des récepteurs de la publicité.

Le Dispositio, quant à lui, représente la somme des règles à suivre afin de transmettre le message. Il est construit à partir de quatre grandes parties : exorde, narratio, confirmatio et épilogue tous reliés à la passion-le côté émotionnel (exorde et épilogue) et à la raison-le côté informatif (narratio et confirmato). Cette partie est centrée sur le discours et ce qu’il comporte comme part de séduction, de persuasion et de manipulation et que l’on rapproche du discours publicitaire.

Quant à l’Elocutio, il représente toute cette partie stylistique d’ajout de mots qui font que le message devient plus clair mais, en même temps, plus esthétique : le souci avec cette partie de la rhétorique est qu’elle représente la mise en mots et le choix des mots reliés aux autres parties du discours. Ne faisant d’abord qu’une partie de la rhétorique, l’Elocutio a fini par englober tout le sens de celle-ci. L’objet de travail de l’élocution n’est plus la langue mais la parole. Elle s’attache à l’analyse des figures de styles et surtout à leur classification. Toutefois, son fait le plus important réside dans sa considération du langage composé de deux niveaux, un premier dénoté et un second connoté. L’intérêt étant de voir comment les figures jouent à créer le

deuxième niveau. Elle est intéressante dans la mesure où le discours publicitaire fait sans cesse appel à ce côté connoté du discours. C’est alors à l’interlocuteur de jouer de son intelligence et de ces connaissances du monde afin de pouvoir comprendre les différentes connotations et les divers sens figurés dans le discours.

Le vraisemblable fait parti des critères les plus importants de la construction publicitaire puisque, dans la publicité, il s’agit non pas d’un univers réel mais vraisemblable ; lorsque les récepteurs observent une image publicitaire, ils savent quel est l’univers qui est réel (le leur) et lequel est fictif (celui de la publicité), il n’y a pas de relation de contradiction entre ces deux univers mais une relation de complémentarité : le monde fictif de la publicité crée une relation permanente avec le monde réel du consommateur, il lui donne l’impression que la publicité (et au-delà de la publicité, le produit qu’elle met en vente) vient combler le vide de sa réalité. Sans le produit visé, la vie de milliers de consommateurs ne serait pas celle dont ils rêvent en secret. La publicité fait donc partie de ces langages feints, construits, qui ne sont pas naturels, tout comme l’est le discours dès qu’il est soumis aux lois de la rhétorique. Elle lui est, de ce fait, soumise, ou du moins, s’en est-elle inspirée dans la construction des messages publicitaires, la classification des figures de la rhétorique se retrouvent aisément dès lors que l’on procède à une simple analyse des affiches.

La rhétorique s’articule sur le fait qu’elle représente un discours qui est à l’écart par rapport à une norme établie dans le langage. Selon Jaques Durand : « Toute figure de rhétorique pourra s'analyser ainsi dans la transgression feinte d'une norme »97, cette norme est d’ordre moral, religieux et culturel entre autres. Le jeu de la publicité représente un terrain approprié pour la rhétorique car elle est le lieu de tous les écarts par rapport à la norme que cela soit au niveau de la langue, de la grammaire ou des thèmes abordés (humour, érotisme, ironie, entre autre).