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III. Réflexion sur l’argumentation publicitaire dans les affiches publicitaires algériennes

III. 1 La dynamique narrative dans l’argumentation

A ce stade du travail, une réflexion sur le processus argumentatif dans les affiches publicitaires s’impose et, ce, particulièrement, dans l’articulation des plans iconiques et linguistiques.

Les travaux de JM Adam ainsi que ceux de M. Bonhomme montrent que la publicité est un foisonnement de discours argumentatif qui peut prendre n’importe quelle forme, toutefois, parmi ces dernières, une se démarque et consiste en la narration dans la publicité. Nous voulons montrer, à travers quelques exemples, que le discours argumentatif se construit autour d’un récit, et que ce dernier, n’est pas seulement actualisé par la nature textuelle des mots mais aussi par la nature iconique de tous les signes non linguistiques présents dans l’affiche publicitaire. La narration est définie comme étant « un exposé détaillé d’une suite de fait dans une forme littéraire133», cette suite de faits est communément appelée un parcours narratif lequel comporte des programmes narratifs. Ces derniers sont définis comme étant :

« des unités syntaxiques simples et les actants syntaxiques (sujet de faire

ou d’état, objet), qui entrent dans leur formulation, sont des sujets ou des

objets quelconques : n’importe quel segment narratif, reconnaissable à

l’intérieur d’un discours-énoncé, est, par conséquent, analysable en

programme narratif »134

De ce fait, chaque sujet actant, à l’intérieur d’un programme narratif, est soumis à une évolution perceptible. Cette dernière correspond aux valeurs modales (être, avoir, faire) et à leurs transformations qui produisent soit une évolution positive soit négative du sujet actant. Ces 133Dictionnaire Le Robert, en CD-ROM, version 2004.

134A.J Gréimas & J. Courtès. 1993. Sémiotique. Dictionnaire raisonnée de la théorie du langage. Ed. Hachette supérieur. Paris. P242/243.

modifications à l’intérieur des programmes narratifs créent des changements internes dans le parcours narratif. Dans notre cas, nous pouvons utiliser le terme de récit pour désigner nos parcours narratifs lesquels incluent des personnages accomplissant des actions qui sont analysables comme des passages entre deux moments ‘t’ et qui coïncident avec une transformation au niveau modal. En d’autres termes, qu’importe le sujet, du moment où il subit une transformation, il s’inscrit dans un parcours narratif communément désigné par le terme de récit simple. Adam et Bonhomme ajoutent une caractéristique, celle de la temporalité soumise au critère de la tension, ils définissent le récit en ces termes :

« Pour qu’il y ait un récit, il faut une temporalité. Et que cette temporalité de base soit emportée par une tension : la détermination

rétrograde qui fait qu’un récit est tendu vers sa fin et organisé en

fonction de cette situation finale »135

Selon cette définition, dans n’importe quel récit, il y a un temps, ce dernier est analysable dans la mesure où il offre, lui aussi, une transformation : il passe d’un temps 1 « t » vers un temps 2 « t+n » (selon la dénomination d’Adam et Bonhomme), toujours est-il qu’il s’agit de prendre en considération à chaque fois l’évolution des prédicats inscrits dans le texte.

Reprenons la figure 5 : si nous analysons cette image du point de vue de ses sèmes iconiques, nous remarquerons qu’il y a une redondance dans l’apparition de ces sèmes et une prédominance de certains sèmes sur d’autres. Tout d’abord, le sème iconique de la fenêtre se répète six fois avec quelques modifications sur le plan plastique, comme une des persiennes cassées au niveau de la troisième fenêtre en bas à gauche de l’image, ou encore, une corde à linge accrochée à la première fenêtre en haut à gauche de l’image, et la présence de deux paraboles au niveau de deux fenêtres. Nous observons aussi la présence d’une boite de climatisation. Cette constance dans les formes d’ordre géométriques (des carrés pour les fenêtres et le climatiseur ; des ronds pour les paraboles) construit visuellement le bâtiment, avec tous les marquages de formes inanimées qu’il met en place, s’ajoute à cette construction, un ancrage de sens136, intégré dans une plaque de couleur noire, sur laquelle est inscrit en grands caractères (des majuscules) le sème linguistique « BATIMA » qui renvoie comme nous l’avons spécifié précédemment au mot bâtiment dans le dialecte algérien. Le premier sème iconique, celui du bâtiment, met en place de prime abord l’existence d’une vie, non seulement, à l’intérieur du bâtiment lui-même mais, aussi, à l’intérieur de l’image visuelle. Cette vie est organisée autour de 135JM Adam & M. Bonhomme. 2012. L’argumentation publicitaire. Rhétorique de l’éloge et de la persuasion. Ed. Armand Colin. Série « Discours et Communication », dirigée par D. Maingueneau. Paris. P189.

quelques autres sèmes iconiques animés, possédant des traits anthropomorphiques qui renvoient à l’homme. Ce sont des sèmes iconiques représentant des personnages humains de sexes masculin et féminin. Ces derniers racontent tous une histoire qu’il est possible de déduire à travers l’interprétation de l’image visuelle globale.

Pour des besoins pratiques, nous avons découpé l’image visuelle en trois parties (fig. 5.1/5.2/5.3). Ces trois figures, à l’intérieur de la même fig.5 ont trois parcours narratifs différents déduits selon l’emplacement des personnages, les différents liens qui les unissent et enfin par rapport à d’autres sèmes iconiques présents dans leurs sphères de lecture.

Dans les figures 5.1 et 5.3, les personnages correspondent à une quinquagénaire et à un jeune homme de la trentaine. Tous deux tenant leur téléphone mobile à la main. En ce qui concerne la 5.2, elle relie deux personnages entre eux grâce à la corbeille de fruits que la jeune femme envoie au jeune homme. Si chaque parcours narratif est caractérisé par une tension qui mène les personnages du récit d’un temps t vers un temps t1, en ce qui concerne les figures 5.1 et 5.2, cette caractéristique est respectée. En effet, dans la 5.1, la femme est tellement concentrée par sa conversation téléphonique qu’elle en a oublié son plat sur le feu. Le sème iconique correspondant à cette déduction est l’indice de fumée derrière le personnage. Ainsi, le personnage est passé d’un temps t, où elle a été appelée ou où elle a décidé de parler au téléphone, vers un temps t1 dans lequel son action a eu des conséquences sur le plat qu’elle prépare. Dans la 5.2, l’envoie de la corbeille de fruits du personnage féminin vers le personnage masculin crée à son tour un autre parcours narratif dans lequel, le temps t correspond à l’échange d’appel entre les deux protagonistes de la figure et le temps t1 correspond au moment où il y eu envoie de la corbeille. Le lien entre les deux protagonistes est créé, non seulement, de manière déductive mais il est, aussi, créé de manière visuelle grâce à la ligne verticale qui joint la main de la femme, le fil de la corbeille et la banane tenue par l’homme. Enfin dans la 5.3, le personnage masculin, ayant un air romantique grâce aux traits anthropomorphes particuliers et tenant une rose rouge à la main, semble avoir une conversation romantique avec une tiers personne. L’image visuelle génère ainsi une tension en trois temps, ces temps sont des moments « t » pour les quatre protagonistes qui vont avoir des moments « t1 » différents. Cette tension influence les prédicats modaux : si nous reprenons l’exemple de la 5.2, le personnage masculin est dans un prédicat de l’être renvoyant au contentement ; dans la 5.1, le personnage est dans un prédicat renvoyant au mécontentement, etc. au fait, on a l’impression à l’observation de l’image visuelle que les procédés de l’enthymème sont repris au bénéfice des sèmes iconiques.

Figure 6 :

Dans cette image visuelle137, nous avons à faire à deux affiches publicitaires138pour deux marques de voitures différentes : Renault et Dacia. Le thème de ces deux publicités est le même à quelques modifications prés. En effet, dans le premier encadré, nous observons deux protagonistes de sexes différents se tenant par le bras. Les sèmes iconiques correspondant à leurs tenues vestimentaires sont différents : l’homme porte un costume et la femme porte une robe traditionnelle « mansouria ». Cette première contradiction dans les sèmes iconiques correspond à une contradiction entre les deux sèmes : modernité VS tradition. Dans le second encadré, un sème iconique revient (il est redondant) celui de la femme. Les deux autres protagonistes de l’encadré sont deux hommes, avec des tenues vestimentaires différentes tradition VS modernité. Redondance dans le sème de contradiction. Les traits anthropomorphiques des personnages sont les mêmes : un mélange entre l’étonnement et la joie. A travers ces deux affiches, il y a un récit qui s’active, celui des remises sur les voitures des deux marques. Toutefois, le récit ne s’actualise pas sans un effort de lecture, et de ce fait, d’interprétation de la part du récepteur des deux images. La présence du sème iconique de la femme présent dans les deux images semble renvoyer à la constance des deux marques dans les offres qu’elles mettent en vente, elle pourrait, aussi, renvoyer à la valeur sure qui s’y inscrit. Quant à tous les autres personnages masculins, ils semblent renvoyer au récepteur de l’affiche. Si l’on pousse plus loin notre raisonnement en le

137 Nous avons fait un montage de deux affiches publicitaires différentes mais qui comportent quelques caractéristiques communes.

liant à l’histoire des deux marques, nous pouvons extraire d’autres symboliques : la marque Dacia fait partie du groupe Renault. En d’autres termes, la marque Renault est la maison mère de la marque Dacia. En mettant en place un sème iconique d’ordre féminin, la marque Renault instaure un chainon central, celui de la matrice (mater) qui satisfait, dans les deux cas (celui de la Symbole ou de la Logan), le désire du consommateur. La mater veille à ce que les remises s’effectuent dans tous les groupes de la marque Renault.

La temporalité t  t1 est respectée : le moment « t » des trois personnages masculins corresponds à leur visite dans les maisons des deux marques et qu’à l’intérieur de ces deux maisons, ils sont dans un état d’esprit qui correspond à l’étonnement (prédicat de l’être) grâce à la remise, celle-ci transforme le prédicat en joie, de ce fait, la remise permet aux protagonistes de s’acheter la voiture qu’ils souhaitent (t1).

Le récit, dans les affiches publicitaires, fonctionne de diverses manières et ceci grâce à l’abondance de signes, que ces derniers soit iconiques ou linguistiques. A ce stade, nous avons montré que les signes iconiques sont eux aussi capables de mettre en scène une histoire, de raconter quelque chose sans l’aide de signes linguistiques. Il est certain que ces derniers sont d’une grande aide quand il s’agit de l’interprétation des signes iconiques, ne servent-ils pas à garder le sens sans équivoques ?

Dans cette dynamique, le récepteur joue un grand rôle. Premièrement, parce qu’il participe à la construction du sens de l’image étant donné que la publicité est avant tout faite pour attirer son attention sur le produit ; deuxièmement, parce que les sèmes iconiques racontent une histoire, celle des protagonistes, celle des objets, celle des désirs des hommes, etc., qui, une fois, déchiffrée, peut être calquée sur les affects ou les logiques du consommateur/récepteur ; et troisièmement, la publicité, dont le but est de faire connaitre un produit, permet au consommateur d’être lui-même dans un mouvement de changement de prédicats et de tension : il passe d’un moment t dans lequel il n’a pas le produit, à un moment t+ où il voit le produit et ses bienfaits sur sa personne et ses envies, à un dernier moment t1 dans lequel il est heureux de posséder le produit (quand il fini par l’acheter bien sur !)