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LES RECOMPOSITIONS TERRITORIALES ET URBAINES DANS LA PENINSULE TINGITANE

1. Déterminisme physique et arrière plan historique

1.2. La Tingitane : position stratégique et enjeux géopolitiques Un espace conflictuel, l’ultime front de la Reconquista

L’occupation humaine dans la péninsule tingitane présente une dichotomie entre d’une part, l’intérieur montagneux et rural avec un habitat traditionnel diffus et d’autre part, les espaces littoraux qui rassemblent les sites urbains. La concentration des populations sur les rivages les plus propices à l’urbanisation remonte à l’histoire ancienne (époque phénicienne). Ouverte sur l’Océan Atlantique et sur le bassin méditerranéen, la Tingitane dispose donc d’une armature urbaine ancienne et structurée, à la sortie du Rif historiquement marqué par l’enclavement.

Tanger et Tétouan sont des héritières de la culture andalouse. Elles représentent « une civilisation née de la symbiose étroite qu’avaient réalisé la vitalité des peuples berbères et les raffinements de la culture andalouse » (Lugan, 2001, p. 79).

L’histoire de la péninsule est maculée par les affrontements entre Islam et Chrétienté, notamment pendant la Reconquista au XVème siècle. D’ailleurs, les relations entre le Maroc et l’Espagne restent influencées par les séquelles du passé. L’histoire de la Tingitane est marquée par l’occupation étrangère. Les politiques expansionnistes des puissances européennes à l’époque moderne ont affecté le Maroc du Nord-Ouest. Sur les côtes de la péninsule, des points d’ancrage et de relais sont implantés par les nations du Vieux continent dans la course qu’ils se sont livrés pour le contrôle des aires commerciales.

Le 21 août 1415, le royaume du Portugal occupait Ceuta. « Les Portugais prenaient ainsi pied en

Afrique du Nord » (Lugan, 2001, p. 89). Puis, le Portugal s’emparait de Ksar Seghir le 23 octobre 1458.

« Arzila enlevée le 24 août 1471, la route de Tanger était libre et, le 29 août, les troupes portugaises

investirent la ville » (Lugan, 2001, p. 89). Les habitants de Larache ont fui devant l’ennemi et ils ont

abandonné la ville. Ensuite, les Portugais ont recherché plus au sud, dans les ports de l’Atlantique, les points d’aboutissement du commerce transsaharien4.

Trois évêchés (les fronteras) ont été créés à Ceuta, Tanger et Safi. Mais, « en vingt-cinq années,

l’empire maritime que Lisbonne avait fondé au Maroc s’effondra ». En 1515, un siècle après la prise de

Ceuta, la retraite commençait. En 1550, les villes d’Asilah et Ksar Seghir étaient évacuées. « Après

vingt-cinq années de tentatives audacieuses le Portugal ne conservait plus au Maroc que Tanger, Ceuta et Mazagan » (Lugan, 2001, p. 89).

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Les incursions portugaises sont suivies par celles des Espagnols qui occupent Melilla en 1497 et Badis5 en 1508. En 1580, ils prennent possession de Ceuta et Tanger. L’année suivante, ils s’emparent d’Asilah. Tanger repasse sous le contrôle de Lisbonne, après l’indépendance du Portugal en 1640, avant d’être cédée à la couronne d’Angleterre en 1661.

L’offensive ibérique des XVème et XVIème siècles se manifeste par une économie de rapine et de razzias sous forme de raids organisés dans les campagnes. Les villes prises restent coupées du reste du Maroc, mais la résistance musulmane s’est organisée à l’intérieur du pays. Ainsi sont fondées les citadelles de Chefchaouen et Ksar el-Kébir6.

« Jusqu’à l’indépendance, l’influence étrangère, principalement espagnole, restera forte, centrée

autour de trois points : Tanger, Tétouan en y comprenant le littoral méditerranéen proche jusqu’à Ceuta et le triangle Asilah, Larache, Ksar el-Kébir ; la colonisation rurale reste faible, mais les villes sont très marquées par l’importance des colonies étrangères » (Maurer, 1999, p. 90).

Le XVIIIème siècle ouvre une ère de réintégration au royaume des villes occupées. La ratification de traités entre le Maroc et les puissances européennes est l’expression de la reprise du commerce maritime marocain7. Cependant, la fin du règne de Moulay Slimane est

marquée par un retour de l’isolement politique et commercial vis-à-vis de l’Europe.

« La période qui s’étend du début du règne de Moulay Ismaïl (1692-1727) jusqu’à la fin du règne de

Moulay Slimane (1792-1822) est marquée par la libération de la quasi-totalité des villes côtières occupées. (…) Les villes récupérées sont repeuplées par les éléments rifains qui avaient participé à leur libération » (Refass, 1996, pp. 55-56)8.

A la fin du XVIIIème siècle Tanger fait encore figure de petite ville, au même titre que Chefchaouen et Ksar el-Kébir, par rapport à Tétouan. Une lutte d’influence se dessine entre les deux villes pour le contrôle des rapports diplomatiques et commerciaux avec l’Europe. Mais Tanger profitera des qualités de mouillage de sa baie pour attirer les navires.

Au XIXème siècle, Tanger voit croître sa population étrangère, espagnole notamment, et devient cité internationale. Progressivement, les consuls assurant la représentation diplomatique de leur pays au Maroc s’y regroupent9.

Dès 1792, les consuls se constituent en assemblée chargée des rapports avec le Makhzen (Refass, 1996, p. 64). Cette assemblée instaure un contrôle sanitaire sur la ville de Tanger10.

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« Badis, situé à l’ouest d’Al Hoceima, a constitué pendant le moyen âge un important débouché maritime. La

ville fut réduite à néant lors de son occupation par les Espagnols. Ces derniers se sont retranchés sur l’îlot de même nom, à quelques mètres du rivage, qui constitue aujourd’hui encore l’un des vestiges du domaine colonial espagnol sur la côte méditerranéenne du Maroc, au même titre que Ceuta, Melilla, l’îlot d’Al Hoceima et les îles Chaffarines » (Refass, 1996, p. 49).

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A environ soixante kilomètres de Tétouan, sur un site montagneux défensif, la construction de Chefchaouen est entreprise par Ali Ben Rachid en 1471, c’est-à-dire la même année que l’occupation de Tanger et Asilah. Perchée sur un versant au pied de la dorsale calcaire, Chefchaouen domine un carrefour d’axes de communications. La ville est à la croisée de plusieurs axes : d’une part, les vallées des oueds Laou et de Mhajrat (en direction du littoral méditerranéen et de Tétouan au nord - nord-ouest) et d’autre part, un axe intérieur vers le Sud (en direction de Ouazzane, Fès et Rabat). L’implantation de cette place forte visait à attaquer les Portugais installés à Tanger et Ceuta. Plus au sud, la ville de Ksar el-Kébir (oppidum novum à l’époque romaine) témoigne d’un rôle analogue de base arrière dans la lutte contre l’occupant chrétien (Jihad).

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« Les Anglais, installés à Gibraltar depuis 1704, cherchent à développer leurs relations avec le Maroc. Un

traité est signé dès 1721, puis complété en 1728. Il prévoit notamment l’installation de consulats dotés de pouvoirs juridictionnels. (…) L’Espagne voisine signa avec le Maroc une série de traités de paix et de commerce » (Refass, 1996, p. 56).

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Larache, Ksar el-Kébir, et Asilah sont libérées en 1689 et 1690. Ceuta est assiégée entre 1694 et 1720. 9

En 1830, Tanger compte huit consulats européens (Grande Bretagne, Danemark, Suède, France, Espagne, Portugal, Toscane et Sardaigne) et celui des Etats-Unis

Tanger bénéficie alors d’un rôle croissant dans le commerce maritime. L’ouverture du canal de Suez en 1869 renforce la position stratégique du détroit de Gibraltar qui devient l’un des passages maritimes les plus fréquentés du monde. Tanger restera le principal débouché maritime de Fès et le premier port du pays jusqu’à ce que Casablanca prenne son relais11. La

position stratégique de Tanger et sa fonction diplomatique entraînent son équipement. A la fin du XIXème siècle, la population de Tanger rattrape celle de Tétouan. A la veille du Protectorat, Tanger est la première ville de la péninsule tingitane grâce à ces fonctions diplomatiques.

Finistère, pointe avancée du continent africain vers l’Europe, la Tingitane est une région ouverte sur deux mers. « Excentrée par rapport au centre de gravité nationale mais exceptionnellement dynamique » (Troin, 2002, p. 255), elle a un rôle de tête de pont vers l’Europe et a fait l’objet d’enjeux historiques.

« Cette complexité de l’histoire peut être invoquée pour expliquer l’étonnante armature urbaine qui

ceinture la péninsule et qui donne à ces espaces des confins marocains une particulière animation, justifiant cette appellation et ce rôle d’angle « vif » » (Troin, 2002, p. 255).

Le partage colonial

L’établissement du Protectorat espagnol, en 1912, sur le Maroc du Nord et le statut spécifique de ville internationale de Tanger vont expliquer le cloisonnement et l’isolement de la péninsule tingitane par rapport aux forces vives de la nation et à l’axe urbain atlantique.

Figure 3. La zone Nord du Protectorat espagnol et la zone internationale de Tanger (Refass, 1996)

Les Protectorats français et espagnol résultent d’un long processus dont témoigne la littérature historienne. Moulay Hafid signe le traité du Protectorat le 30 mars 1912 (traité de Fès). Le 27 novembre de la même année, la France et l’Espagne signent le partage du territoire marocain, mais l’Espagne ne pourra asseoir réellement son autorité sur le Nord qu’après la défaite d’Abdelkrim El Khattabi en mai 1926. (Cf. encadré sur la guerre du Rif en annexe).

A l’instar du Protectorat français, le gouvernement du Maroc sous domination espagnole est composé d’un système à deux pouvoirs : l’un, nominal et symbolique, est représenté par le khalifa du sultan, l’autre, réel, est exercé par le haut commissaire. Ce dernier est installé à Tétouan, capitale du Protectorat espagnol, tandis que Tanger conserve son statut international.

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constitution d’un conseil sanitaire en 1840, puis d’une commission d’hygiène et de voiries en 1869 (reconnue officiellement par le Palais en 1903). En 1864-65, les consuls européens obtiennent la gestion du phare du Cap Spartel, pour la construction duquel ils avaient forcé la main au sultan.

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Des anciens négociants nous ont raconté que le port de Casablanca avait été financé par des fonds tirés du commerce maritime de Tanger, via la Banque de Paris et des Pays-Bas, pendant le Protectorat (1912-1956).

Alors que les Anglais contrôle une partie du commerce maritime méditerranéen grâce à Gibraltar, les Espagnols développent les activités commerciales à partir de Ceuta et les Français entreprennent la construction du port de Casablanca. Tanger est coupée du royaume car les marchandises qui y sont importées font l’objet d’une interdiction réglementaire de pénétrer l’intérieur du pays. Tanger internationale est déjà en cours de marginalisation ; les grandes nations ne souhaitent pas investir dans une ville qui appartient à tout le monde. Tanger reste une place financière, diplomatique et touristique importante, mais les capitaux européens seront ensuite drainés vers Casablanca par les compagnies financières. La ville est néanmoins dotée d’équipements portuaires et ferroviaires pendant la période coloniale.

1.2.1. Tanger, ville internationale : enjeu des relations entre les puissances européennes L’histoire de Tanger montre des périodes de rayonnement et d’ouverture qui alternent avec des décennies de décadence et de repli. Elle évoque aussi la distance, réelle et virtuelle, entre la Tingitane et les villes-centres du royaume. Cette distance conduira d’ailleurs le pouvoir central à déployer des politiques de rattrapage d’un ensemble qui part vers la mer… d’une presqu’île qui se décroche de l’Afrique en direction de l’Europe.

a) Les origines de Tanger : cité ancienne, passerelle entre l’Afrique et l’Europe

L’histoire de Tanger est influencée par son rôle de tête de pont. Après la domination phénicienne et carthaginoise, l’époque romaine marque la Maurétanie tingitane. Cette marge occidentale de l’empire romain passe ensuite aux Vandales, du Vème siècle jusqu’à la conquête islamique. « En 698, Hassan

ben Numa fut remplacé par Musa ben Nusayr. En dix-sept ans, de 698 à 715, il acheva la conquête du Maghreb et fit celle de l’Espagne » (Lugan, 2001, p. 61). Sous le commandement d’Oqba Ben Nafi, les

troupes musulmanes arrivent au Nord du Maroc vers 682 et Moussa Ibn Nouçair s’empare de Tanger en 705. « Le VIIIème siècle est celui de la conquête de l’Afrique du Nord par les arabes poursuivie au Nord du Détroit de Gibraltar » (Lugan, 2001, p. 65). Tanger est alors un pôle de commandement de la

conquête musulmane. Tarik Ibn Ziyad, lieutenant de Moussa Ibn Nouçair et gouverneur de Tanger, concentre son armée à Tanger et la fait embarquer à Ceuta pour une expédition victorieuse sur l’Espagne en 711 (Daoud, 2002). Avec Tanger au premier rang, les villes de la péninsule tingitane deviennent des bases militaires. « Tanger et Ceuta sont appelés les ports de la Terre de Passage

(Berr el Medjaz) » (Miège, 1992, p. 10). Ces deux villes, ainsi que Melilla, sont fortifiées pour protéger

l’Andalousie et le Calife de Cordoue. De l’autre côté du détroit, Gibraltar (Djebel Tarik) et Tarifa sont des postes militaires qui regroupent les soldats berbères convertis à l’Islam.

Tanger, port unissant les parties européennes et africaines du royaume andalou, point de transit des troupes, camp militaire et cité maritime active avec un arsenal de navires de guerre et de commerce « ne cessera de revendiquer une part de l’héritage glorieux de ce passé, riche de nostalgies et de rêves, d’Al Andalous » (Miège, 1992, p. 11).

Fuyant la persécution des Abbassides, Idriss Ibn Abdallah arrive à Tanger en 788. Il se rend à Volubilis, fonde Fès et devient le premier roi du Maroc (Idriss Ier). La domination Idrisside sera maintenue sur la ville jusqu’en 921. L’Omeyyade Abd el-Rahman III occupe et fortifie Tanger en 929. Puis Yousouf Ibn Tachfine conquiert la ville en 1077 (dynastie Almoravide). En 1142, les Almohades s’emparent de Tanger qui passera ensuite aux Mérinides en 1274.

Pendant la dynastie Mérinide, au XIVème siècle, Tanger est avec Barcelone, Gênes, Venise et Marseille, l’une des cinq villes commerciales majeures de la Méditerranée occidentale. La cité regroupe négociants, aventuriers, comptables et pêcheurs. Elle deviendra Tanger la guerrière, flanquée de défenses et gorgée d’hommes d’armes, face aux Portugais installés à Ceuta en 1415 (Miège, 1992).

b) Tanger sous l’occupation ibérique (1458-1661)

En 1458, le roi Alphonse V du Portugal prend Ksar Seghir, ville située sur la côte méditerranéenne entre Ceuta et Tanger. Le 29 août 1471, Tanger est annexée par l’armée portugaise. L’occupation catholique marque une ouverture sur l’Europe et un isolement par rapport à l’intérieur du pays. Les Portugais, comme dans la plupart de leurs places, construisent beaucoup à Tanger, notamment les remparts qui enserrent la médina.

Depuis cette première mainmise étrangère, la ville « vit de ce double rythme qui ponctue le temps de la

ville : la brusque et momentanée activité marchande ou guerrière d’un port militaire, le long enlisement dans l’immuable d’une existence de bourgade provinciale » (Miège, 1992, p. 12).

En 1580, le royaume d’Espagne hérite du trône du Portugal et prend sa relève dans les conquêtes au Maroc. Les Espagnols prennent possession de Ceuta, Tanger et Asilah. Tanger repasse au Portugal en 1640. Puis, à l’occasion du mariage de l’infante de Bragance et du roi Charles II Stuart d’Angleterre, le 23 juin 1661, Tanger est offerte en dot et passe sous le contrôle de la couronne d’Angleterre. Dès 1662, les Portugais sont expulsés.

c) Tanger sous domination anglaise (1662-1684)

Malgré le traité de Lisbonne en 1668 (indépendance du Portugal) qui remet officiellement Tanger à la couronne espagnole, les Anglais vont rester. Tanger retrouve sa dimension géostratégique et s’épanouit. Les murailles portugaises sont complétées, la garnison est renforcée. Le roi d’Angleterre souhaite faire de Tanger une ville de négoce de large franchise, a merchant city, qui surveille le détroit de Gibraltar. Les Anglais font construire un môle dans la rade de Tanger, prémisse d’un futur port destiné à attirer les navires marchands.

« Le rêve de Charles II de faire de Tanger « la place la plus importante du roi dans le monde », l’idée

qu’elle « pourrait être regardée comme un joyau d’une immense valeur dans le diadème royal » apparaissent pure illusion. Le négoce végète. La population stagne ou décroît » (Miège, 1992, p. 14).

Face aux attaques des troupes expédiées par le sultan Moulay Ismaïl, en février 1684, la colonie anglaise mine le môle et les principales fortifications en laissant la ville à l’abandon. Le sultan prend le contrôle de Tanger et la confie au chef de l’armée, le pacha Ali Ben Abdallah el-Riffi qui organise le repeuplement de la ville par les tribus voisines. Tanger sort du théâtre international avec l’avènement d’un XVIIIème siècle marocain qui marque une transition après trois siècles de présence européenne.

d) Un XVIIIème siècle marocain à Tanger (1685-1785) (Miège, 1992)

Tanger la bien gardée doit au pacha Ali ben Abdallah el-Riffi le renforcement des murailles. Ville de

garnison, Tanger devient une base de la reconquête du Nord marocain : Larache est reprise en 1690 et Asilah en 1691.

De 1713 à 1743, Ahmed ben Ali, fils du pacha Ali ben Abdallah el-Riffi, administre Tanger et son arrière-pays. Il profite du décès de Moulay Ismaïl (1727) pour tenter de s’affranchir du Palais, puis il entre en rébellion contre Moulay Abdellah en 1737 et prend Tétouan l’année suivante. Il tombe au champ de bataille le 26 juillet 1743 dans les environs de Ksar el-Kébir. Le prince indépendant paie de sa vie l’affront adressé à la puissance makhzénienne ; « Avec sa disparition, c’est le projet d’un royaume indépendant de Tanger qui s’évanouit » (Miège, 1992, p. 16). Bien qu’éphémère, cet épisode marque le caractère irrédentiste de Tanger et du Maroc du Nord en général. Tanger connaît un déclin économique jusqu’en 1775, année qui ouvre un nouvel essor grâce aux investissements des grandes familles de Tétouan dans le commerce international. La construction de la Médersa (école), en face de Jamaâ el-Kébir (la Grande Mosquée), témoigne de ce renouveau.

e) Tanger, « capitale diplomatique » :

un long XIXème siècle peu marqué par la Révolution industrielle (1786-1925)

En 1786, Sidi Mohammed Ben Abdallah décrète la liberté de commerce, y compris pour les étrangers, dans le port de Tanger. Ensuite, l’implantation des consulats hollandais, américain, français, suédois, sarde et anglais marque « le début du rôle international que la ville allait assumer pendant plus d’un siècle et demi » (Miège, 1992, pp. 18-19).

L’épidémie de peste, qui décime la ville en 1798, explique la création d’un conseil sanitaire européen. Reconnu par le gouvernement marocain, ce conseil représente une forme originale d’ingérence des puissances étrangères dans l’administration de la ville. La surveillance sanitaire et l’établissement des mesures de quarantaine, pendant l’épisode de la peste, évoque la mainmise des représentants étrangers sur les affaires de la cité. L’institution du conseil sanitaire symbolise la reconnaissance officielle, par le sultan, de l’intervention directe des nations étrangères dans la gestion urbaine. Ce conseil sanitaire12 symbolise d’une part,

l’abandon d’un droit souverain au profit des consuls et d’autre part, une forme de délégation de service public aux puissances étrangères.

« En 1830, dix nations étaient officiellement représentées dans la ville (…). Le nombre en demeura

sensiblement le même jusqu’aux années 1870, ne s’accroissant que de la représentation belge en 1855, mais perdant le consulat des Deux-Siciles au lendemain de l’unification italienne (1860) »

(Miège, 1992, p. 20).

Le sultan n’abandonne cependant pas Tanger aux étrangers : Moulay Slimane fait renforcer les fortifications et agrandir les deux principales mosquées, la Kasbah est rénovée et son palais réaménagé. Jusqu’aux années 1860, Tanger compte 7 à 8 milliers d’habitants (70 % de Musulmans, 20 % de Juifs et 10 % d’Européens).

« L’élévation de la ville à la dignité, sinon de « capitale diplomatique », comme on le dit à tort, mais

de centre de la représentation européenne, n’en modifie guère, pendant plus d’un demi-siècle, la population et l’aspect » (Miège, 1992, p. 23).

Jean-Louis Miège rapporte qu’au XIXème siècle trois acteurs se partagent le pouvoir sur Tanger : le sultan représenté par le mendoub13 (procureur du roi), la famille Chérif El-

Ouazzani14 et le corps des consuls avec son conseil sanitaire influencés par la dynastie Hay15. Après une nouvelle épidémie de peste en 1855, un traité de libre échange commercial est signé entre l’Angleterre et le Maroc. En 1857, les Britanniques créent un service postal à Tanger ; ils seront suivis par les Français et les Espagnols. Après le télégraphe, la première ligne téléphonique du pays est inaugurée à Tanger en 1883 et la première automobile qui circule en terres marocaines sera débarquée dans son port. Les pèlerins marocains en partance pour la Mecque embarquent à Tanger. Deux églises sont construites à l’intérieur de la médina en 1871 et 1880.

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le conseil sanitaire s’immisce davantage dans la gestion de la ville. Il décide la construction d’un phare au Cap Spartel16 et force la main au

sultan pour qu’il fournisse un terrain relevant du domaine de l’Etat. Les travaux sont réalisés

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