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AUX ECHELLES INTERNATIONALE ET NATIONALE (BASSIN MEDITERRANEEN ET ROYAUME DU MAROC)

Encadré 7. La nouvelle gare de Tanger-Médina, une vitrine architecturale et urbanistique

2. L’intégration du Maroc du Nord aux échelles internationale et nationale à travers les activités spécifiques de cette région

Région pauvre, la montagne rifaine souffre de sous-équipement en infrastructures de base : « Alors que l’électrification touche la moitié des foyers marocains, ce taux n’excède pas 25 % dans la

région Taza-Al Hoceima-Taounate (…). Le taux de foyers raccordés à l’eau (…) est de 21 % alors qu’il atteint 44 % à l’échelle nationale. C’est dans les régions montagneuses que la couverture sanitaire est la plus faible (…), que l’analphabétisme est le plus accusé (…) et que le réseau routier est le moins dense » (Troin, 2002, p. 342). Cependant, « par sa production de cannabis, par les difficultés d’installation de cultures de substitution, également par (…) les possibilités qu’offre une forte émigration dynamique, la dimension méditerranéenne (du Rif) présente le paradoxe d’une zone pauvre où l’argent coule à flot » (Naciri, 2002, p. 454).

Une large part de la présentation des activités économiques du Maroc du Nord sera consacrée à la culture de cannabis et au trafic de drogue car ces activités ont un rôle important pour la région. Le cannabis sera considéré pour le Nord marocain à la fois comme un facteur d’intégration à l’échelle nationale, mais aussi comme un moyen d’entrer dans la globalisation, malgré les effets pervers de cette agriculture de plantations. Les autres activités seront exposées en fonction de leur importance et de leur rôle pour l’intégration du Maroc du Nord. Cette présentation du tissu économique régional vise à montrer comment les activités représentent des atouts et des limites pour l’intégration des provinces septentrionales du royaume à l’échelle nationale et au niveau du bassin méditerranéen.

2.1. L’agriculture dans le Rif, le domaine du kif

Cette approche sur la culture du cannabis au Maroc est réalisée à partir des publications de l’Office géopolitique des drogues (OGD14) et plus particulièrement d’une étude conjointement

réalisée par l’Etat marocain et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). L’implication géopolitique des commanditaires de ces rapports témoigne à la fois de la sensibilité de la question à l’échelle globale, mais aussi de l’ouverture du Maroc qui accepte, pour la première fois en 2003, une expertise internationale sur son territoire à propos de la production de drogues15. L’effort du Maroc bon élève sur ce sujet géopolitiquement

sensible est à souligner, mais cette collaboration entre le royaume et les Nations Unies n’est- elle pas à mettre à l’actif du principe de conditionnalité pour bénéficier des aides des bailleurs internationaux ? Reconnu comme le premier producteur-exportateur mondial de haschisch, le royaume n’a pas réellement le choix : n’est-il pas implicitement obligé de coopérer ?

A travers la publication de ce rapport, l’Etat marocain affiche sa bonne volonté et gagne en légitimité. Il est difficile de lui reprocher son laxisme puisqu’il reconnaît l’importance des cultures de cannabis dans son pays. Face aux pressions internationales, le royaume ouvre les portes du Rif aux observateurs étrangers : l’importance des cultures de cannabis est devenue

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L’OGD bénéficiait de l’assistance financière de la Commission des communautés européennes et de l’appui de la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme. L’OGD a fermé en avril 2000 en raison d’un redressement judiciaire. L’association française d’études géopolitiques des drogues (AEGD) a pris le relais de l’OGD en publiant La lettre internationale des drogues. Alain Labrousse, ancien directeur de l’OGD, est le rédacteur en chef du bulletin mensuel Trafic international pour l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT) ; ce bulletin traite de la géopolitique de l’offre telle qu’envisagée par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT).

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Royaume du Maroc, Premier ministre, Agence pour la promotion et le développement économique et social

des préfectures et provinces du Nord du royaume (ADPN), décembre 2003, Enquête sur le cannabis 2003

un secret de polichinelle. Le rapport de 2003 se contente d’ailleurs sur plusieurs points de reprendre des données publiées auparavant par l’OGD.

Les acteurs collaborant à l’enquête de 2003 sont d’une part, pour la partie marocaine, l’ADPN16, le ministère de l’Agriculture et le Centre royal de télédétection spatiale et d’autre part, l’ONUDC (illicit crop monitoring programme, ICMP). La version rendue publique du rapport indique que l’enquête est financée par les gouvernements marocain et italien sans préciser s’ils ont bénéficié de subventions. La signature de l’accord de coopération entre le Maroc, représenté par l’ADPN, et l’ONUDC remonte à février 2003 ; un résumé de ce rapport est rendu public en décembre de la même année.

La signature de la double préface par Driss Benhima, directeur de l’ADPN, et par Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l’ONUDC, n’est pas dénuée de symbolisme. Driss Benhima insiste sur le bon exemple de coopération internationale. Il utilise les termes de professionnalisme, transparence, coopération et met en avant la dimension internationale d’un problème perçu comme un jeu de ping-pong où la balle est une fois du côté des pays consommateurs, une autre dans celle des pays producteurs, chacun recommandant à l’autre des mesures pour mettre fin au fléau :

« La problématique (…) concerne aussi bien les pays producteurs que les pays consommateurs (…).

La superficie des cultures mise à jour par le présent rapport témoigne de l’importance internationale du phénomène. Il s’agit bien d’un marché mondial du cannabis. Notre pays souffre donc d’une activité préjudiciable à son développement et dont les facteurs de croissance lui échappent largement ».

Si cette publication retentit comme un aveu, témoin de la sagesse du Maroc, alors le directeur de l’ADPN insiste sur la dimension internationale des responsabilités. A propos du programme prometteur17 des cultures alternatives, Driss Benhima précise que « la

coopération internationale sera (…) la bienvenue compte tenu des moyens matériels et financiers à mobiliser » et, en guise de conclusion, il félicite l’ADPN et implicitement le Maroc. En écho, Antonio Maria Costa renvoie courtoisement les compliments et souligne la détermination du Maroc. Il n’est nullement question d’une éventuelle négligence ou désinvolture du pays producteur. Il rappelle élégamment trois facteurs historiques qui ont contribué à l’augmentation de la production de cannabis :

- la présence séculaire de cette culture : est-ce qu’il faut y lire une excuse, l’Histoire justifiant la situation actuelle ? La faute et les responsabilités reviennent-elles aux anciens ?

- la pauvreté d’une région montagneuse et surpeuplée : difficile de reprocher aux pauvres de vouloir survivre. Comme l’a dit un politicien rifain : le kif ne tue pas, la faim si !

- l’expansion spectaculaire de la consommation de drogues dans les pays européens. Le rôle, si ce n’est la responsabilité, des pays consommateurs est mise en avant.

Dans la préface du rapport ADPN - ONUDC 2003, le représentant des Nations Unies écrit :

« un quart de la surface agricole utile de la région du Rif est désormais occupé par des cultures de

cannabis (…). La moitié du faible revenu annuel de 800 000 personnes, soit deux-tiers de la population rurale de cette région, dépend (…) de cette activité (…) et un marché annuel de 10 milliards d’euros est entre les mains des réseaux de trafic opérant principalement en Europe ».

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Lors de sa création en 1996, le principal objectif de l’ADPN consistait à mettre en place des programmes de substitution à la culture du cannabis pour répondre aux injonctions internationales, notamment européennes. L’ADPN est en partie financée par l’Union européenne et ses Etats membres.

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Le terme est pesé puisque le programme des cultures alternatives est resté un vœu pieux. S’il est prometteur, est-il pour autant réalisable ?

Si effectivement les zones de productions sont marocaines, la consommation et les trafics sont en grande partie européens. De plus, le gouvernement marocain est le premier à essuyer le « risque de gangrène de sa structure sociale et économique et d’y compromettre toute perspective de développement durable ». Avec diplomatie, le représentant de l’ONUDC rend « hommage à la détermination et à l’esprit de transparence dont les autorités de ce pays font preuve (…) et leur souhait de voir la communauté internationale s’y associer ». Tous les collaborateurs sont ainsi félicités et invités à poursuivre le partenariat. Dans le dernier paragraphe de cette page, il est question de la responsabilité partagée que doit assumer la « communauté internationale avec une détermination et un esprit de coopération à la mesure de ceux du gouvernement marocain ».

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