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AU MAROC ET A TANGER-TETOUAN

Encadré 17. La politique marocaine de lutte contre l’habitat insalubre : les grandes orientations annoncées dans le discours royal du 21 Août

1. Les périphéries sous-équipées et

les politiques de lutte contre l’habitat insalubre au Maroc

A la différence des lotissements légaux, les quartiers d’habitat non réglementaire ne font pas l’objet d’un aménagement préalable et d’une viabilisation des terrains avant l’étape de construction des logements. Il résulte de cette situation, en plus d’une accessibilité difficile à cause des déficits en voies principales de desserte, un sous-équipement en infrastructures et services de base.

Le sous-équipement : absence d’aménagement des sites et de viabilisation des terrains

Les quartiers illégaux apparaissent sans services urbains en réseau (eau potable, assainissement, électricité, transport), ni équipements collectifs (école, dispensaire). A travers des solutions de fortune initiées par les habitants, puis des opérations d’amélioration et de restructuration conduites par les pouvoirs publics, ces quartiers sont progressivement équipés.

La densification et la surélévation du bâti

Rares sont les quartiers sous-équipés présentant une trame bâtie lâche, hormis dans les espaces récemment urbanisés aux marges de l’agglomération (douars ruraux en cours d’urbanisation). Les quartiers non-réglementaires sont plus souvent denses et d’ordre excessivement serré. Pour une rentabilité maximum des morcellements illégalement effectués sur les terrains périphériques, la moindre parcelle de terre est mise à profit pour la construction. Cette forme de bâti réalisée sans plan d’aménagement grève la mise en place de l’équipement en infrastructures. L’emprise au sol des constructions rend souvent la destruction de maisons préalable à l’installation des services en réseaux et de la voirie. Les expulsions permettent alors de dégager de l’espace pour l’équipement et pour réaliser les travaux. La densification du bâti et par conséquent le manque d’espace, ainsi que la non- conformité aux règlements d’urbanisme, conduisent à la surélévation du bâti. Pour disposer d’une surface suffisamment importante pour loger des familles nombreuses dans des conditions décentes, les occupants sont contraints d’élever leur maison de plusieurs niveaux.

1.1. Typologie des quartiers sous-équipés au Maroc

Plusieurs indicateurs permettent de différencier les formes d’habitat insalubre. En fonction de l’organisation du tissu urbain, les spécialistes distinguent d’une part, le bidonville – avec une forte densité du bâti, un parcellaire irrégulier et étroit, des espaces publics limités à des cheminements piétonniers à emprise réduite – et d’autre part, le quartier d’habitat non réglementaire – d’ordre moins serré, bien que généralement dense, avec une structure du parcellaire plus régulière (Debbi, 1991).

Tableau 30. Typologie de l’habitat insalubre et des formes d’interventions publiques au Maroc

Tissus

urbains Diagnostic Types d’interventions Bidonville

Sites inappropriés (topographie accidentée, inondation, risque de glissement de terrain). Vétusté

et précarité des habitations. Inexistence ou insuffisance d’infrastructures et de services de base.

Déguerpissement (expulsion et démolition). Recasement (trames d’accueil, trames sanitaires

améliorées, habitat collectif semi-fini). Relogement, Restructuration

Habitat non réglementaire bâti en dur

Sites souvent inappropriés (terrains à pentes fortes, zone inondable). Inexistence ou insuffisance d’infrastructures

et de services de base.

Interventions sectorielles (voirie, assainissement, eau, électricité, équipements collectifs).

Restructuration intégrée type PDU (plan de développement urbain). Restructuration progressive (plan

d’aménagement).

Ancienne médina

Dégradation du bâti historique et ruines. Insuffisance ou/et vétusté des infrastructures

et de services en réseaux.

Réhabilitation, restauration, rénovation du cadre bâti. Renouvellement des réseaux d’infrastructures

D’après : Rharbi et Dinia, 1991, op. cit.

Nous verrons dans la troisième partie de la thèse que la situation géographique des quartiers sous-équipés est déterminante pour l’inclusion urbaine. A l’intérieur des agglomérations, la répartition des zones d’insalubrité renseigne sur l’intégration de ces espaces aux autres tissus urbains, notamment en termes d’accessibilité et de proximité du centre-ville.

Une typologie des quartiers sous-équipés en fonction de leur situation géographique retiendrait au moins deux critères :

- le fait qu’ils soient localisés à proximité des axes structurants ou, au contraire, en retrait de ces voies (critère d’enclavement) ;

- le fait qu’ils soient concentrés à l’intérieur de tissus urbains homogènes avec des concentrations de quartiers bâtis sur le même modèle (critère de ségrégation / uniformisation / homogénéisation) ou, à l’inverse, qu’ils forment des isolats dans les interstices de quartiers réguliers (critère de diversité / mixité).

D’ailleurs, l’administration de l’habitat différencie les quartiers insalubres selon leur situation à l’intérieur des agglomérations : habitat dégradé à l’intérieur des tissus anciens, bidonvilles intra-urbains ou périphériques, quartiers périphériques d’habitat non réglementaire.

1.1.1. Le bidonville, une forme d’habitat précaire

« (Le bidonville) regroupe une diversité de situations, de contextes et de configurations depuis le

“spontané” jusqu’à l’organisé sur des trames d’accueil » (Debbi, 1991).

Les bidonvilles désignent des quartiers de baraques. Les baraques sont des habitations construites avec des matériaux de fortune dit hétéroclites13. Ils font l’objet de processus de

durcification après quelques années d’existence. On parle alors de bidonville durcifié, mais les constructions restent précaires – dans les deux sens du terme : fragile et risque d’expulsion. Généralement, le bidonville est caractérisé par l’absence ou l’insuffisance d’infrastructures et de services de base (voirie et transport, eau et assainissement, électricité et téléphone, adressage et distribution du courrier) et d’équipements collectifs (écoles, dispensaires). « 90 % des ménages bidonvillois s’approvisionnent en eau potable à partir des fontaines publiques » (Debbi, 1991).

Le plus souvent, les bidonvilles sont implantés sur des terrains domaniaux, communaux et habous, statuts fonciers que l’on peut considérer comme relevant de l’administration. Ces situations foncières expliquent que l’installation est en principe temporaire. La puissance publique, à qui appartient les terrains, interdit aux habitants de construire un logement en dur : fondations et dalles sont en théorie proscrites, tout comme l’usage de parpaings, briques, ciments et bétons armés. Les bidonvilles sont supposés exister à titre provisoire (ils sont néanmoins permanents depuis plusieurs décennies dans les grandes villes marocaines). Ils sont créés avec l’accord plus ou moins tacites des autorités (voire avec leur autorisation si l’on prend en considération le cas particulier des trames d’accueil14 pas encore durcifiées ni

équipées mais dont l’existence est légale, ce qui écarte des perspectives d’expulsion).

Pour Fathallah Debbi (1991), on peut considérer le bidonville comme la réponse au besoin d’un abri ; « son développement traduit une insuffisance des revenus et le prix à payer pour le ticket d’accès à la

ville (…). Ce qui est recherché, c’est à la fois un abri à très faible coût, mais aussi un environnement économique et socio-culturel compatible avec les aspirations et les possibilités matérielles des habitants : absence de coût d’équipement, de branchement à l’eau et à l’électricité, entraide communautaire et de voisinage (…) ».

1.1.2. Le quartier non-réglementaire, une forme plus récente d’habitat sous-équipé Forme d’habitat insalubre apparue dans les années 70, le quartier non-réglementaire bâti en dur est désormais dominant par rapport au bidonville dans les grandes villes marocaines, en particulier à Tanger et à Tétouan. Le plus souvent, il s’élève sur des terrains privés – constructibles ou non, agricoles ou en friche – successivement morcelés de manière

13

Ces matériaux de construction ne sont pas uniquement récupérés, comme on le croit souvent, mais aussi achetés neufs ou d’occasion.

14

Le modèle des trames d’accueil remonte au plan de Michel Ecochard (architecte) « Habitat et construction pour le plus grand nombre » (1947), pour la zone du Protectorat français. Le Plan Ecochard est à l’origine des

trames sanitaires d’accueil – devenues ensuite trames sanitaires améliorées. A Casablanca, des terrains ont été

découpés en parcelles de 8 m sur 8 m (64 m2). A la base, un lot était attribué avec deux pièces habitables, une cuisine et un WC. La construction des logements était progressive : baraque/préfabriqué, puis baraque consolidée, avant la construction en dur sur plusieurs niveaux. Les premières trames d’accueil et trames sanitaires mises en place à Casablanca pendant le Protectorat sont désormais équipées et durcifiées ; le modèle a perduré jusqu’à aujourd’hui avec des variantes dont font partie les opérations de recasement.

informelle. Mais il existe aussi de manière plus marginale sur des terrains domaniaux, collectifs/communaux ou habous.

Les logements sont construits sans autorisation, par étapes et pendant des durées variables en fonction des revenus des habitants. Robert Escallier (1983) parlent de maisons « évolutives ». « Il s’agit « de constructions « en dur » qui ont l’apparence de maisons normales mais dont la

précarité relève du statut juridique du sol, de l’absence des équipements collectifs, de la localisation périphérique et, finalement, de cette situation extérieure aux normes de l’urbanisme officiel qui les fait qualifier de « clandestines » (Ameur, Naciri, 1985, p. 79). Mais, en réalité « la construction n’a rien de clandestin : elle se fait au vu et au su des autorités urbaines, révélant à la fois leur impuissance à satisfaire les besoins en logements de certaines couches sociales et leur incapacité de maîtriser le développement urbain » (Idem, p. 82) » (Azougagh, 1995, p. 164).

Ce n’est pas de l’habitat collectif : les formes des habitations individuelles rappellent celles des lotissements économiques15 (modèle de la maison à patio dite « maison marocaine »16 avec

une hauteur de un à cinq niveaux).

Figure 21. Les phases de l’autoconstruction (Cote, 1998)

Cote M., avril 1998, « Le Maghreb », Dossier de la documentation photographique n° 8002, 64 p., p. 30

Photographie 4. Maison fissurée à Tétouan (quartier Korret Sbaâ, 2003)

15

« Il s’agit de zones d’habitat, sur lotissements économiques (…) réglementaires, d’Etat ou privés, conçues au

départ selon des normes de l’habitat urbain. Différentes enquêtes (…) ont montré que ces zones présentent au bout de quelques années différents caractères d’insalubrité » (Chorfi, 1994).

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La catégorie « maisons marocaines (traditionnelles) » reflètent les approximations qui entourent la question de l’habitat insalubre. Ce terme s’apparente à une supercherie technocratique. La maison marocaine traditionnelle est distinguée de la maison marocaine moderne – en plus, et à l’avenant, des villas, immeubles à appartements et baraques des bidonvilles. Les statistiques indiquent que environ 80 % de la population urbaine vit dans des logements type « maison marocaine », sans qu’il ne soit toujours fait la différence entre moderne et

traditionnelle. Le RGPH de 1994 définit la maison marocaine moderne : « construction d’une structure individualisée à un ou plusieurs étages servant en général à l’habitation. Cette structure ne s’apparente ni à celle d’un immeuble à appartements, ni à celle d’une maison traditionnelle » (« Manuel méthodologique et

d’instruction pour le RGPH de 1994 », cité in Azougagh, 2001, p. 293). Les définitions de habitat économique,

lotissement économique, habitat social, logement social sont également assez ambiguës.

Si les logements des quartiers non-réglementaires ont l’apparence de ceux des lotissements légaux, ils n’en ont pas la solidité. Les maisons sont bâties sans plan type, ni assistance d’un architecte ou d’un ingénieur spécialiste des bétons armés. Dans les quartiers dit clandestins, les fondations des constructions ne sont pas assez profondes, les piliers en béton armés sont de piètre qualité ou inexistants, « parfois même la pâté qui unit les briques est

pauvre en ciment ce qui entraînera à terme des fissures irréparables »

Contrairement aux lotissements réglementaires, les quartiers irréguliers souffrent de l’insuffisance, voire de l’absence, des infrastructures et des services essentiels. La viabilisation des terrains et la mise en place des réseaux ne précèdent pas la construction des logements. Les quartiers non-réglementaires sont progressivement reliés à l’électricité, puis au réseau d’eau potable, après un accès à l’eau par borne-fontaine collective. En dépit des opérations de restructuration destinées aux infrastructures de voirie, d’assainissement liquide et l’éclairage public, ces équipements font longtemps défaut ; ils restent insuffisants et en mauvais état. L’adressage (numérotation des rues et des maisons) précède de nombreuses années la distribution du courrier. L’accès aux services essentiels et la régularisation foncière sont l’aboutissement de plusieurs décennies de restructuration.

« La production de l’habitat clandestin se caractérise par une grande homogénéité à l’échelle

nationale. On retrouve les mêmes types, modes et nature de constructions. Les variations tiennent plus aux matériaux et techniques en vigueur dans la construction, à la spécificité des statuts fonciers et aux caractéristiques de la main d’œuvre. Cette homogénéité à l’échelle nationale tient aussi au rôle joué par les dessinateurs, mâalems dans la diffusion du modèle d’habitat économique dominant qu’on retrouve dans les autres quartiers réglementaires » (Debbi, 1991).

Les spécialistes ne s’accordent pas tous sur cette analyse de Fathallah Debbi quant à l’homogénéité des quartiers non-réglementaires. Abdellatif Azougagh écrit :

« Dans les espaces clandestins, rien n’est favorable à une structure homogène de l’habitat. L’inégalité

des superficies des parcelles bâties, (…) la longue durée des travaux, la construction sans plan et sans autorisation qui pourraient imposer des normes unifiées, interviennent ensemble pour expliquer (…) la variété extrême des aspects urbanistiques et architecturaux de l’habitat non réglementé, tant dans sa structure interne que dans sa forme extérieure : chaque construction est conçue différemment de sa voisine et constitue son propre modèle type » (1995, p. 368).

En dépit de finitions différentes pour chaque logement, des divers niveaux d’équipement des quartiers et des variantes paysagères dues au site, les zones d’habitat non réglementaire de Tanger et de Tétouan se ressemblent dans leur structure d’ensemble et dans les formes des constructions. Cependant, des critères de taille, d’ancienneté, de situation, de densité du bâti, d’équipement, voire d’origine géographique des habitants peuvent permettre d’établir des typologies de ces quartiers.

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