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AUX ECHELLES INTERNATIONALE ET NATIONALE (BASSIN MEDITERRANEEN ET ROYAUME DU MAROC)

Encadré 8. Le kif dans le Rif : une culture séculaire Aperçu historique et conséquences politiques

Plusieurs sources attestent de l’existence de la culture du cannabis dans le Rif central au VIIème siècle, c’est-à-dire avant la conquête arabe. Vers 1890, le sultan Hassan Ier (1873-1894) confirmait l’autorisation de cultiver le cannabis dans cinq hameaux (tribus des Kétama et des Beni Khaled). A l’occasion de la Conférence d’Algésiras en 1906, le monopole des achats et ventes du tabac et du cannabis marocains était concédé à la régie marocaine des kifs et tabacs, une multinationale dirigée par la France. La régie avait son siège à Tanger et le kif était fabriqué à Tanger et à Casablanca. Les productions de cannabis étaient officiellement destinées au marché intérieur. La régie avait signé des contrats avec des paysans et contrôlait les terres cultivées en tabac et en cannabis. Les contrats fixaient les quotas de production, garantissaient les prix et déterminaient les méthodes de transformation. Cependant, le cannabis cultivé et toléré dans la zone espagnole échappait au contrôle de la régie. En 1926, les autorités coloniales françaises élargissaient les zones de production autorisée. Cette décision, appliquée pendant seulement trois années dans le contexte de la guerre du Rif, visait à éviter que les campagnes situées au Nord de Fès mais dans la zone du Protectorat français, rejoignent la rébellion menée par Abdelkrim El Khattabi. Plusieurs sources rappellent que le leader rifain s’opposait à la culture du kif, la jugeant décadente et interdite par l’Islam et la considérant comme un facteur de dépendance vis-à-vis de l’occupant colonial. Ayant interdit la production et la consommation de cannabis à l’intérieur de l’Hexagone en 1916, la France avait décidé d’étendre sa législation aux colonies. L’interdiction de produire du cannabis dans la zone du Protectorat français remonte au dahir du 22 décembre 1932. Seules des terres cultivées en cannabis dans le Haouz (région de Marrakech) et dans le Gharb (région de Kénitra) restaient sous le contrôle de la régie. Le dahir du 24 avril 1954 étend l’interdiction à tout le Protectorat français sans exception. Cette interdiction ne concernait pas le Maroc du Nord sous Protectorat espagnol. La présence espagnole se concentrait dans les villes côtières et ne couvrait l’intérieur montagneux qu’à partir d’un réseau de petits postes militaires. « Par ailleurs, l’Espagne était confrontée (…) à une crise politique et économique (guerre civile) ne lui

permettant guère de renforcer son contrôle sur le Rif » (Ahmadane, 1998, p. 84).

Après l’indépendance, l’interdiction de cultiver du cannabis était étendue à l’ensemble du territoire national. Bien que cinq hameaux des tribus Kétama et Béni Khaled (le Cinco) faisaient toujours l’objet d’une tolérance plus ou moins officielle, cette décision avait entraîné le mécontentement des paysans rifains. Pour apaiser la colère des cultivateurs, le gouvernement avait alors promis d’acheter les récoltes pour procéder à leur incinération (promesse tenue pendant trois années). Cette conjoncture a conduit à la révolte des montagnes en 1958, un soulèvement durement réprimé par l’armée au printemps 1959. Des milliers de « Rifains historiquement indociles » (Ahmadane, 1998, p. 84) étaient tués. « C’est le futur Hassan II,

alors prince héritier et chef des Forces armées royales, qui va se charger de mater l’insurrection. Le 16 janvier 1959, après dix jours de combats d’une extrême violence et quelque 8 000 morts, il entre dans la ville d’Al-Hoceima (…). En quarante ans de règne, il ne reviendra jamais dans le Rif » (Dominique Lagarde, L’express, 24 mai 2004, op. cit.). Le Nord vivra

d’autres insurrections dans les années 80 et 90 : tout d’abord en 1984, à la suite des mesures prises pour limiter les trafics de cannabis et de contrebande, ensuite en décembre 1990 à Fès, Tanger, Tétouan et Al-Hoceima où les émeutes seront fermement réprimées. Il y a donc un lien étroit entre la culture du cannabis, l’irrédentisme rifain et la marginalisation du Rif sous le règne de Hassan II.

L’extension des superficies cultivées en cannabis, l’accroissement des quantités produites, la transformation du cannabis en produits dérivés (haschisch) et la recherche de marchés extérieurs apparaissent comme le résultat de deux facteurs : l’augmentation de la demande européenne à partir des années 70 et les difficultés économiques du Rif. Les procédés de transformation du cannabis en haschisch sont introduits au Maroc après 1960, pour répondre à la demande extérieure et faciliter l’exportation. A la fin des années 70, la culture du cannabis occupe une surface inférieure à 10 000 hectares, mais cette décennie marque le début de l’augmentation progressive et rapide des surfaces cultivées.

« La culture du cannabis devint alors de plus en plus attrayante, d’autant plus que la demande de cannabis des marchés

européens ne cessait d’augmenter. Les réseaux de commercialisation marocains se consolidèrent avec l’aide de trafiquants européens et prirent la place des fournisseurs de haschisch d’autres régions du monde (Liban, Afghanistan, qui étaient alors en guerre) » (ADPN - ONUDC, 2003).

A propos de la méthodologie scientifique et objective, l’enquête réalisée de juillet à octobre 2003 a principalement consisté à un recensement par imagerie satellitaire complété d’une enquête par échantillonnage sur le terrain : elle n’est donc qu’une image18 de la réalité. Par

ailleurs, si « l’APDN était en charge de la coordination d’ensemble, la responsabilité de l’enquête de terrain étant confiée à la Direction de la Programmation et des Affaires Economique (DPAE) du ministère de l’Agriculture, et le traitement des images satellites au Centre Royal de Télédétection Spatiale (CRTS) ». Les institutions marocaines n’ont-elles pas réalisé l’enquête, la collaboration avec les Nations Unies se limitant au partenariat annoncé ?

2.1.1. Les surfaces cultivées en cannabis et la production de drogue dans le Rif

D’après l’enquête ADPN - ONUDC de 200319, la culture du cannabis couvre 134 000 hectares

et permet de produire annuellement 47 400 tonnes de cannabis brut (plantes séchées), soit 3 080 tonnes de résine (haschisch). Les cultures de cannabis représentent plus du quart de la SAU du Rif, mais seulement 1,5 % des 8,7 millions d’hectares de terres agricoles du Maroc.

Le Maroc reconnaît sa place de premier producteur-exportateur mondial de haschisch20. L’enquête de 2003 fournit des chiffres sans précédent… comme si le royaume prenait les devants d’une situation qui peut difficilement décroître. Le cannabis concernerait 75 % des villages rifains et environ 100 000 exploitants agricoles. En 2002, Alain Labrousse indiquait que les cultures de cannabis s’étendaient à partir du Rif central (province d’Al-Hoceima) : « Dans les années 1980, ces productions ont gagné à l’ouest la province de Chefchaouen, au sud celle de Taounate et de Taza, à l’est celle de Nador. Aux provinces traditionnelles (Al Hoceima et Chefchaouen) s’ajoutent les zones de développement récent dans les provinces de Tétouan et de Larache ».

Tableau 22. Superficies cultivées en cannabis et production annuelle de haschisch

Années Nombre d’hectares Production de haschisch (en tonnes) Sources

1975 30 000 à 35 000 OGD

1992 50 000 OGD

1995 70 000 (*) 1 500 à 2 000 OGD

1996 85 000 2000 Département d’Etat des Etats-Unis

1999 90 000 OFDT

2000 90 000 OFDT

2001 100 000 à 120 000 2 000 à 3 500 OFDT

2003 134 000 3 080 ADPN / ONUDC

(*) ou 70 000 hectares répartis ainsi : 32 000 dans la province d’Al-Hoceima, 18 000 dans la province de Chefchaouen, 20 000 dans les provinces de Tétouan, Larache et Taounate.

Les zones de culture se sont étendues à partir du cœur du Rif vers ses bordures plus en contact avec les grandes villes. L’importance des cultures de cannabis diminue à partir des foyers originels en direction du pourtour rifain. La monoculture est encore exceptionnelle, mais le cannabis passe rapidement d’une culture d’appoint à une culture en association avec les cultures vivrières, avant de devenir majoritaire dans la répartition des cultures des exploitations. C’est néanmoins une culture saisonnière.

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« nous disposons (…) d’une image exacte de l’étendue de la culture du cannabis (…) » (Driss Benhima) ; le terme d’image paraît particulièrement bien choisi.

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Dans les pages qui suivent, cette enquête sera mentionnée « enquête de 2003 » et « rapport de 2003 ». 20

« Le Maroc produit 3 000 tonnes de haschisch par an, soit 31 % du total mondial et 80 % de la consommation

en Europe » (Michel Samson, « Maroc, Espagne, Europe. Sur les routes du cannabis », Le Monde, 17 mai 2006,

Les estimations des revenus du cannabis varient selon un rapport de 1 à 20 selon les sources. D’après le rapport de 2003, le nombre de familles cultivant du cannabis est estimé à 96 600, c’est-à-dire 6,5 % des 1 496 000 exploitants agricoles marocains. 800 000 personnes seraient impliquées dans la culture du cannabis, soit presque 3 % de la population nationale.

Le rapport de 2003 estime les revenus annuels du cannabis à 2 milliards de Dh pour les agriculteurs, avec environ 2 500 Dh par personne (1,5 SMIC mensuel). Globalement, les ressources tirées du cannabis correspondraient à la moitié du revenu des paysans rifains, ce revenu total ne dépassant pas le tiers de la moyenne nationale. Les revenus agricoles du cannabis représenterait donc environ 0,5 % du PIB marocain (397 milliards de Dh en 2002) et presque 3 % du PIB du secteur agricole (64 milliards de Dh en 2002).

La culture du cannabis se pratique à côté d’une agriculture montagnarde de subsistance. Elle permet aux familles de disposer de revenus pour acheter des produits qui viennent de l’extérieur, par exemple les matériaux de construction qui attestent d’une élévation des niveaux de vie. Des chefs de ménage rifains expliquent qu’ils consomment ce qu’ils produisent (céréales, légumineuses, produits de l’élevage et de l’arboriculture) et qu’ils achètent le reste (huile, sucre, thé, conserve, engrais, matériaux de construction, etc.) avec l’argent liquide qui provient principalement de la vente du kif.

2.1.2. L’expansion des cultures de cannabis et les migrations vers Tanger et Tétouan. Le cannabis, facteur d’enrichissement ?

Le Rif géographiquement isolé et enclavé, historiquement marginalisé, devient un espace de production pour l’exportation. Le cannabis peut être considéré comme une culture de rente. Le haschisch, or noir rifain, conduit à l’extraversion de la montagne et à son entrée dans la globalisation. Cette entrée dans la mondialisation s’accompagne d’un regain de régionalisme. L’organisation tribale et l’économie vivrière ne risque-t-elle pas de voler en éclats ?

Exode rural et expansion des cultures de cannabis sont liés. Plusieurs entretiens biographiques avec des trajectoires migratoires analogues le montrent : rifains, plus de quarante ans, mariés et des enfants, classe moyenne, situations professionnelles stables à Tanger et à Tétouan.

Mohamed, enracinement au douar d’origine et émigration à Tétouan

Fils cadet d’une famille nombreuse, Mohamed est né et a grandi dans un douar de la commune de Mokrisset (Rif occidental). Son père possède les terres agricoles qu’il cultive. A l’âge de 21 ans, sans diplôme mais instruit à l’école coranique, Mohamed entre en contact avec des trafiquants de drogue. Ces derniers lui confient des colis de haschisch qu’il achemine à Tétouan (moins de 20 kg). Il est payé pour chaque déplacement en fonction des quantités transportées. Ce petit trafic se poursuit une dizaine d’années, le temps qu’il épargne pour acheter sa situation à Tétouan. Acheter sa situation consiste dans ce cas à donner une somme d’argent à un entrepreneur de travaux publics pour obtenir un contrat de travail (chef de chantier) avec affiliation à la sécurité sociale (caisse d’assurance maladie).

Avec cette situation stable, Mohamed peut épouser une fille de Tétouan, instruite mais déjà trop âgée pour se marier avec un Tétouani de bonne famille. Pour Mohamed, cette union représente une manière de s’intégrer dans sa ville d’accueil. Après la naissance des enfants, le ménage achète un terrain, fait construire une maison individuelle et quitte ensuite le logement loué. Il s’agit d’une ascension sociale progressive qui s’étale sur une décennie. L’épouse de Mohamed a un emploi de secrétaire dans l’entreprise où travaille son mari. Une petite bonne, une cousine de Mokrisset, garde les enfants en bas âge et s’occupe des tâches ménagères. Mohamed n’oublie donc pas les siens puisqu’il a permis à cette cousine de venir à Tétouan ; une forme de solidarité qui témoigne des liens maintenus avec le milieu d’origine : c’est une bouche de moins à nourrir pour la famille restée au village et c’est un soutien pour le ménage de Mohamed.

A l’occasion des visites annuelles sur sa terre natale, notamment pour la fête de l’Aïd21, Mohamed persuade son frère aîné de convaincre leur père de l’intérêt que peut représenter la culture du cannabis. La première expérience sera concluante. Si le père était réticent, plutôt à cause de la religion que de la crainte des contrôles des gendarmes, ses fils et les femmes du douar lui en auraient voulu de renoncer à planter du kif. Car la famille vit mieux : mises en culture de terres défrichées, plantations d’arbres fruitiers, construction d’une maison moderne, adduction d’eau. Le cannabis planté en bourg au départ est désormais irrigué grâce à la réalisation d’un forage et à l’achat d’une moto-pompe. Cette histoire anecdotique pourrait être celle de beaucoup d’autres Rifains et elle montre les interactions entre la ville de Tétouan et l’arrière-pays rifain, une influence du milieu urbain sur les espaces ruraux et inversement.

Cultivateurs de cannabis dans le Rif et entrepreneurs à Tanger

A Tanger, « la plupart des secteurs économiques : immobilier, industries de transformation, transport et

tourisme sont irrigués ou servent de paravent aux narco-capitaux »22. Mais il ne s’agit pas uniquement de grandes entreprises. Des Rifains enrichis grâce à la culture du cannabis possèdent des biens immobiliers à Tanger, notamment dans les quartiers périphériques populaires ; « le lien est souvent établi

entre la spéculation immobilière dans les villes du Nord, notamment celles de la Péninsule Tingitane, et les profits retirés du commerce du kif » (Berriane, 1998, p. 119). Il y a encore quelques années, ces

individus n’habitaient ni ne louaient les logements qu’ils possèdent à Tanger, préférant y effectuer un court séjour deux ou trois fois par an, comme pour marquer leur statut social, leur présence. Aujourd’hui, ils ne se contentent plus de dépenses somptuaires et investissent en ville. L’exemple d’un chef de ménage de la tribu des Beni Bounsar (Rif central) est particulièrement illustratif de ce phénomène. Son douar est inaccessible par la route goudronnée, on peut uniquement l’atteindre par une piste à partir de Targuist. Cette personne cultive du kif depuis plusieurs décennies, mais il ne transforme pas sa production en haschisch, préférant la revendre aux trafiquants de drogue. En 1998, il achète un terrain à Tanja Balia, un quartier récent de Tanger majoritairement peuplé de Rifains. En 2000, il achète deux boutiques dans le marché de Casabarata à Tanger : de nombreuses boutiques de ce souk appartiennent à des Rifains. Dans l’une de ses boutiques, il ouvre un atelier de couture, dans l’autre un magasin pour la vente des produits fabriqués. Sa petite entreprise est spécialisée dans la confection, sur mesure et à la demande, de salons

marocains. Le patron s’approvisionne en tissu et en fil chez un marchand rifain du même marché.

Parallèlement à l’ouverture de son commerce, il installe une partie de son ménage dans la maison de Tanja Balia. Les membres de sa famille installés à Tanger sont aussi ses employés. En 2002, il marie une de ses filles à un Tanjaoui. Il s’associe ensuite avec son gendre pour ouvrir un pressing dans la ville nouvelle. Il gère successivement ses activités à la campagne et à la ville et fait la navette au volant d’une de ses Mercedes au moins deux fois par mois. Au moment de la récolte du cannabis, les femmes qui habitent Tanger rejoignent la campagne pour les travaux des champs. Depuis qu’il a fait creusé un forage et acheté une moto-pompe, il ne produit plus que du cannabis en irrigué. Il a diversifié son activité et sa petite entreprise, à défaut de connaître la crise, a des chances de prospérer encore.

Cultures de cannabis et contrôle du Makhzen

Une autre histoire de vie montre la volonté des autorités de contrôler les zones de production de cannabis à travers des relais parmi la population. Le père d’Abdelhak est un Fassi grossiste en céréales. Le frère aîné héritera du commerce tandis qu’Abdelhak obtiendra, grâce à l’influence du père, un agrément de taxi collectif pour travailler dans la province de Chefchaouen. La conjonction entre l’esprit d’entreprise de cette famille et le souhait du Makhzen de contrôler le Rif fera le reste.

Chauffeur de taxi, Abdelhak sillonne les routes du Rif occidental entre El-Jebha et Chefchaouen via Kétama et entre El-Jebha et Tétouan par la route littorale. Il transporte des personnes pour effectuer des démarches administratives dans les chefs-lieux de province et de wilaya (Chefchaouen et Tétouan). Les

taximen étant des informateurs pour les autorités, Abdelhak participe au contrôle social du Makhzen sur

des contrées reculées.

Abdelhak est marié à une fille de la tribu des Béni Smih (pays Ghomara). Le père de son épouse est agriculteur. Abdelhak raconte qu’il acheminait les productions de cannabis à Kétama chez les fabricants de haschisch, mais que le kif est désormais directement transformé au douar. Abdelhak transporte le haschisch à Chefchaouen à la demande de personnes spécialisées dans la vente de la drogue aux narco-

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Aïd : fête religieuse (Islam) qui désigne le rituel annuel du sacrifice du mouton. 22

touristes. Ici aussi les parcelles en bourg sont désormais irriguées grâce à la construction de forages et à l’achat de moto-pompes. Ici aussi la situation économique de la famille rurale s’est améliorée.

Abdelhak s’est enrichi au point d’acheter une maison dans la station balnéaire populaire d’Azla à quelques kilomètres au sud-est de Tétouan. Il projète de revendre ce bien quand il aura pris de la valeur car il sait que la côte méditerranéenne est de plus en plus appréciée par les touristes. Le rêve d’Abdelhak est de faire un gros coup en vendant plusieurs dizaines de kilogrammes de haschisch à un Européen. Le frère cadet d’Abdelhak est marié avec la sœur de son épouse et a ouvert une épicerie à Béni Smih. Il fait crédit à la population locale. Abdelhak et son frère sont devenus des notables du village. Ils prêtent de l’argent aux familles démunies et ils sont chargés de porter les doléances des habitants aux autorités quant à l’équipement de la commune (eau, électricité, téléphone, centre de santé, école, route). Si des gens de Fès ont pu s’intégrer dans un village du Rif, alors ils apportent en contrepartie une amélioration de la situation socio-économique de la commune rurale : deux filles mariées avec des personnes ayant une bonne situation, un taxi qui participe au désenclavement et une épicerie bien achalandée. Si des Fassi se sont installés dans ce village, alors c’est pour prospérer. Si les autorités acceptent la situation, alors Abdelhak et son frère doivent implicitement participer au contrôle social en préservant l’équilibre tout en évitant les troubles : exemple de compromis sans qu’aucune partie ne soit compromise !

2.1.3. Produits finis et dérivés du cannabis : le haschisch, manne économique pour le Rif Il existe différentes qualités de poudre de cannabis (chira) obtenues après battage des plantes séchées. Le prix du haschisch varie en fonction de sa qualité. Généralement, les marges bénéficiaires dépassent des rapports de 1 à 10 entre les zones de production et les lieux de consommation. Selon Pascual Moreno23, un quintal de cannabis rapporte environ 460 euros au cultivateur. Si ce quintal est transformé en 3,5 kg de poudre, ce sont 770 euros qui peuvent être tirés de cette transformation. En comparaison, un quintal de blé rapporte 100 euros (avec un rendement de sept quintaux à l’hectare pour le blé), un quintal de maïs rapporte 75 euros (avec un rendement de dix quintaux à l’hectare pour le maïs).

Bien que le cannabis offre des rendements en volume inférieurs24 par rapport aux autres

cultures, les revenus qu’ils procurent sont supérieurs. Le caractère illégal de cette culture hautement rémunératrice fait que les revenus qu’elle rapporte sont sans commune mesure avec ceux des cultures vivrières. Selon l’OGD, le cannabis serait entre 12 et 46 fois plus rentable que les céréales. Les programmes dans lesquels l’arboriculture (olivier ou figuier) est proposée en substitution au kif impliquent, pour qu’ils fonctionnent, que les populations acceptent une réduction des revenus d’au moins la moitié.

Tableau 23. Revenus potentiels du cannabis aux exploitants agricoles

Production Quantité brute (tonnes) Equivalent poudre (tonnes) Prix par kg (en Dh) Valeur estimée (en Dh) Valeur estimée (en USD) 66 % brute 31 279 2 033 35 1 094 778 300 115 239 821 34 % poudre 16 113 1 046 900 941 705 065 99 126 849 Total 47 400 3 080 2 036 000 000 214 000 000

Sources : ADPN - ONUDC, 2003, p. 15

« Les filières « industrielles », plus professionnelles et capables d’exporter la résine de cannabis par lots

de plusieurs dizaines de tonnes » ont remplacé un trafic plus rudimentaire (OGD, 1997).

Quand ils ne transforment pas directement le cannabis, les agriculteurs acheminent les plants de cannabis

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