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AUX ECHELLES INTERNATIONALE ET NATIONALE (BASSIN MEDITERRANEEN ET ROYAUME DU MAROC)

Encadré 11. Aide de l’Union européenne à destination du Maroc du Nord

Parce qu’il représente « environ 40 % de l’émigration marocaine vers l’UE », le Nord du royaume est une zone d’aide prioritaire pour la Commission européenne et la Banque européenne d’investissement (BEI). La stratégie pour le

développement des Provinces du Nord s’accompagne d’aides financières importantes de l’Union européenne et de ses Etats

membres vers le Maroc. « La région du Nord est prioritaire pour la coopération espagnole » car l’Espagne est le premier pays européen concerné par l’émigration marocaine, notamment clandestine, et par le trafic de haschisch. L’Espagne concentre son aide sur les équipements structurants (infrastructures de base). De plus, « la coopération espagnole a financé

une grande étude (PAIDAR) sur le développement des Provinces du Nord (…). Cette étude a servi à l’Agence du Nord

(ADPN) pour élaborer la stratégie gouvernementale de développement de la région ». Les principaux objectifs de la Commission européenne pour les provinces du Maroc du Nord :

- maintenir la population dans la région afin d’éviter l’exode vers la périphérie des grandes villes ou vers l’extérieur du pays, en créant de l’emploi à court terme ;

- faire jouer un rôle de plus en plus important aux Provinces du Nord dans l’économie du pays, en promouvant leur développement.

La stratégie doit, en outre, être multiple en ayant une triple perspective : - territoriale : en visant l’intégration de la région avec l’ensemble du pays (…) ; - structurelle : avec une dotation en infrastructures de base (…) ;

- fonctionnelle : en améliorant le tissu productif (…).

La Commission précise que « l’Union européenne est déjà intervenue au Nord du Maroc dans le cadre de la programmation

1996-2000. En effet, près de la moitié de MEDA I a été destinée directement ou indirectement à cette région ».

Sources : Commission européenne, 6 décembre 2001, « Partenariat Euro-Med, Maroc, document de stratégie 2002 - 2006 et programme indicatif national 2002 - 2004 », 90 pages.

Les campagnes d’assainissement menées par l’Etat marocain répondent aussi à des impératifs concernant l’ordre public, la sécurité intérieure et la stabilité politique du royaume. Béatrice Hibou, chercheure au centre d’études et de recherches internationales (CERI), analyse les campagnes d’assainissement « comme la prise de conscience de l’autonomisation croissante de la société et comme une tentative de reprise en main (pour) éviter l’épanouissement des potentiels de dissidence et tenter de redessiner de nouvelles formes d’allégeance » (cité in OGD, 1997). Cette fine interprétation apparaît encore d’actualité dans la mesure où, un mois avant les élections communales de 2003, quatre mois avant la sortie officielle du rapport ADPN - ONUDC, l’assainissement est relancé par le gouvernement marocain. A travers la guerre à la drogue, il s’agit bien d’une reprise en main de la situation par le pouvoir central.

Les manœuvres judiciaires teintées de (géo)politique ne sont-elles pas destinées à montrer que, au Maroc, le roi commande et non pas les barons de la drogue ? L’affaire Er Ramach, objet d’une multitude d’articles de presse en 2003, illustre parfaitement la position de l’Etat.

Mounir Er Ramach est un Tétouani trafiquant de drogue qui serait propriétaire de biens estimés à 20 millions d’euros. « A Tétouan, il circulait sous escorte et se faisait appeler « Mohamed VII ». A

30 ans, ce richissime trafiquant de drogue avait « acheté la ville » et narguait tout le monde. C’est ce qui l’a perdu » (Tel Quel, n° 91, op. cit.) ; ces lignes résument l’essentiel. L’hebdomadaire marocain rappelle

que, en juillet 2002, trois personnes étaient assassinées à la terrasse d’un café, en plein après-midi, au centre-ville de Tanger (règlement de compte entre trafiquants marocains résidant en Europe). En mai 2002, un meurtre était commis sur le parking de la boite de nuit de l’hôtel Ahlen à Tanger. En septembre de la même année, des coups de feu sont tirés à Marina Smir lors d’une altercation entre deux bandes rivales. Le 3 août 2003 deux réseaux de trafiquants se sont affrontés à l’arme blanche à la sortie d’un

night club de la zone touristique de Tétouan ; la rixe se poursuit dans les couloirs de l’hôpital de Tétouan.

L’incident a lieu à quelques centaines de mètres de la résidence du roi en visite officielle à Tétouan : « Cela ne se fait pas. Pas quand le Roi est là » (Tel Quel, n° 91, op. cit.). S’en est trop, les autorités ne peuvent pas tolérer que les mafias de Tanger et de Tétouan règlent leurs comptes en toute impunité… encore moins à l’occasion d’une visite royale. Les jours suivants cette altercation, une soixantaine de personnes sont interpellées – dont 31 hauts fonctionnaires – et des saisies sont effectuées28. Les chefs d’inculpation sont lourds : constitution de bande criminelle, trafic international de drogue, tentative de meurtre, blanchiment d’argent, prise d’otages. Six membres du réseau Er Ramach sont mis en cause ainsi que 58 personnes dont des puissants hommes d’affaires, des hauts fonctionnaires et des magistrats, des responsables des forces de l’ordre et des douaniers. Deux affaires en une : la première concerne les crimes des trafiquants, la seconde porte sur la corruption et le trafic d’influence des représentants des forces de l’ordre et de la justice. « L’action de l’Etat doit être caractérisée par la fermeté à l’égard de

tout dépassement (…). L’objectif et de consolider l’Etat de droit » déclare à la presse le ministre de la

Justice. La moitié des magistrats de la cour d’appel de Tétouan est mutée, suspendue ou traduite en justice. Une trentaine de hauts responsables de la sécurité intérieure est poursuivie par la cour spéciale de justice de Rabat, neuf juges sont suspendus de leurs fonctions. Cette action d’éclat intervient au mois d’août 2003, or cet été est marqué par les séjours du roi dans la péninsule tingitane, notamment au palais royal de Tétouan. L’Etat marocain a donc fait le ménage dans les cartels de la drogue à Tétouan pour rappeler aux habitants de cette cité qu’il en reste maître. Un signal est également adressé à l’extérieur par

le Maroc bon élève qui montre ses efforts dans la lutte contre les trafics de drogue.

Les autorités s’inquiètent quant à la diffusion des drogues dures au Maroc. Le haschisch exporté est en partie échangé contre des drogues dures ensuite écoulées sur le territoire marocain. L’affaire Er Ramach et l’action d’éclat du gouvernement marocain retentissent comme un avertissement aux trafiquants de drogue quant au commerce de l’héroïne et de la cocaïne. Le trafic de haschisch est supporté, voire toléré, parce qu’il est source de revenus pour le pays. Mais dès lors que les capitaux issus du cannabis sortent du pays pour être investis en Espagne29 ou pour l’importation de stupéfiants, l’Etat réagit.

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Si l’équipement GPS, les postes émetteurs-récepteurs, les plaques minéralogiques marocaines et espagnoles, les zodiacs bi-moteurs et autres vedettes interpellent quant à la logistique sophistiquée des trafiquants de drogue, si les fortunes des mafias marocaines peuvent laisser pantois, les types d’armes saisies pourraient faire sourire les spécialistes. L’équipement du grand banditisme montre son professionnalisme, mais son armement reste au niveau de l’amateurisme. Il n’est pas question d’armes automatiques, mais d’armes blanches et de fusils de chasse (coutelas, sabres, carabines, armes à décharge électrique). Pour des raisons de sécurité intérieure, le Maroc, plus que d’autres Etats, redoute particulièrement l’entrée des armes à feu sur son territoire. Le port d’armes est sévèrement puni par la loi. Dans la majorité des faits divers, les crimes sont commis à l’arme blanche, il est exceptionnellement question d’armes à feu ; le Maroc n’est pas l’Irak !

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En parlant des relations entre le Maroc et l’Espagne, un étudiant Rbati lance : « on dit que le si l’Espagne du

sud s’est développée, c’est grâce à l’argent des trafiquants de drogue marocains ». Remarque hâtive qui

souligne néanmoins le laxisme des autorités espagnoles quant à l’accueil des capitaux provenant du commerce de la drogue. Quand ils sont inquiétés par la justice marocaine, les grands trafiquants ne se réfugient-ils pas en Espagne grâce à la double nationalité ? Par ailleurs, l’agriculture de la région agricole d’Alméria serait-elle dans la situation économique actuelle sans la manœuvre marocaine bon marché et en partie clandestine ?

Depuis la fin des années 90, comme en écho aux critiques adressées au Maroc pour son laxisme, plusieurs scandales rapportés par la presse témoignent de la pénétration des drogues dures sur le territoire marocain.

« Ce qu’il est utile de dire c’est que nos barons (…) font figure d’enfants de chœur face aux barons

colombiens. Il ne faut pas que nos partenaires (étrangers) se trompent de combat. Qu’ils s’attaquent en priorité aux marchands de drogues dures au lieu de s’en prendre aux cultivateurs rifains qui produisent un chanvre indien dont la consommation est à peine pénalisée en Europe » (Maroc hebdo international, n° 282, du 12 au 18 juillet 1997).

A Marrakech, Casablanca, Tanger et Tétouan, plusieurs procès ont eu lieu pour des affaires portant sur le commerce des drogues dures dans des night clubs fréquentés par la jeunesse dorée de ces villes.

2.1.5. Synthèse : le cannabis, facteur d’intégration du Maroc du Nord ?

« Dans cette zone de tous les trafics, les maffias paient leur ticket d’entrée dans les eaux sales de la richesse et l’économie criminelle est la voie d’intégration la plus rapide » (Daoud, 2002, p. 83). Zakya Daoud fait référence à Jean-Christophe Ruffin (1991) pour qui la drogue est un moyen comme un autre de s’insérer dans l’économie mondiale. La culture du cannabis et le trafic de haschisch peuvent être considérés comme des modes d’intégration du Maroc du Nord, aux échelles nationale et internationales, pour au moins trois raisons :

a) La culture du cannabis et son commerce permettent au Rif d’entrer dans la globalisation, d’avoir un rôle dans l’internationalisation de l’économie en tant que producteur-exportateur de haschisch. Il s’agit certes d’une entrée dans la mondialisation par infraction, mais il n’en reste pas moins que le Nord du Maroc tient une place importante dans le commerce mondial de drogue. Le kif explique aussi des formes de tourisme international spécifiques qui apportent des capitaux pour la région et témoigne de son insertion dans le système monde. Pouvant être regretté à plusieurs titres, le narco-tourisme reste un mode d’intégration.

b) Les programmes européens d’aide au développement à destination du Rif ont pour objectif de créer des équipements structurants et une économie durable pour la région. Le cannabis permet au Nord marocain de tenir un rôle important dans les relations qu’entretiennent l’Union européenne et ses Etats membres avec le Maroc. A un autre niveau, la collaboration entre l’ADPN et les Nations Unies, et avant avec le département d’Etat américain, témoigne d’une place centrale du Rif dans les rapports entre le Maroc et l’extérieur. Rabat n’est-elle pas contrainte de s’intéresser au Rif et de l’intégrer dans les politiques de développement ?

c) Enfin, la culture du cannabis permet au Rif, enclavé et isolé, pauvre et marginalisé, de s’intégrer aux grandes villes du Maroc du Nord, à Tanger et Tétouan en particulier. Le trafic de haschisch est à l’origine d’interactions entre les tribus rifaines et les villes qui bordent le massif montagnard. L’expansion du cannabis et du trafic du haschisch marocain a comme conséquence un foisonnement de relations entre les espaces ruraux producteurs de cannabis et les villes où sont implantées les trafiquants ? Des quartiers périphériques récents de Tanger et de Tétouan sont peuplés de migrants rifains qui maintiennent des contacts étroits avec leur milieu d’origine. A l’intérieur de ces quartiers, les maisons les plus cossues et les mieux équipées sont celles des familles qui se sont enrichis grâce au trafic de cannabis.

Les cultures de cannabis permettent donc au Rif de sortir de l’isolement et de l’extrême pauvreté. Cette sortie s’opère la tête basse, à cause du caractère illégal du cannabis, mais les revenus tirés de cette économie de plantation correspondent à des ressources complétant celles de l’agriculture vivrière traditionnelle qui maintenait la région dans un état moribond ?

Les limites de l’intégration par les cultures de cannabis et les trafics de drogue

Si l’expansion du cannabis représente des avancées au plan économique pour le Rif, qu’en est-il de la culture rifaine et des relations sociales dans les montagnes du Nord ? Comme le présageait Abdelkrim El Khattabi, le développement des cultures illicites conduit à la perte des valeurs morales et religieuses, à la détérioration de principes ancestraux qui fondaient la mentalité si particulière du peuple rifain. L’honneur des rifains ne glisse-t-il pas vers des formes de fierté mal placée qui exaspèrent d’autant plus les Marocains des autres régions que cette réputation n’est pas non plus exempte d’un certain mépris pour les étrangers ?

La thèse de Pierre Bourdieu sur le déracinement des fellahs algériens30 peut être mise en

parallèle avec la situation des paysans rifains. Les circonstances ne sont pas les mêmes, mais les tribus du Rif semblent vivre une forme de déracinement sur place (paradoxal déracinement dans la mesure où elles restent ancrées à la montagne). La perte progressive des valeurs séculaires, qui contribuaient à la stabilité sociale (respect des anciens, principe de solidarité, formes de redistribution), pourrait être une conséquence de l’entrée du Rif dans la mondialisation. Les études des géographes marocains sur la société rifaine témoignent de l’apparition de nouveaux rapports de force, avec l’affirmation d’un modèle dominants- dominés. Les rivalités tribales ont certes troublé l’histoire de ce peuple montagnard, mais l’équilibre social pourrait désormais être en rupture. L’altération des valeurs traditionnelles s’accompagne de nouvelles rivalités entre familles d’un même clan. A cela s’ajoute la consommation d’alcool et de drogues dures… des pratiques qui montrent le déclin culturel.

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