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AUX ECHELLES INTERNATIONALE ET NATIONALE (BASSIN MEDITERRANEEN ET ROYAUME DU MAROC)

Encadré 14. L’impact écologique de la culture de cannabis

La culture du cannabis contribue à rendre la terre inapte à toute forme d’agriculture. A cela s’ajoutent le recul de la jachère, l’érosion active à cause des sillons tracés dans le sens des pentes, la baisse de la fertilité en raison d’usages abusifs de fertilisants et d’engrais minéraux, l’abandon des engrais organiques.

La culture du cannabis a des impacts négatifs sur l’écosystème : défrichements et élimination du couvert forestier, disparition d’espèces. Quand les sols sont épuisés, l’extension des espaces cultivés gagne les forêts, les périmètres irrigués et les berges des rivières.

Le fragile équilibre de l’agriculture de subsistance est-il rompu ? Le système de culture traditionnel, basé sur la trilogie céréales/légumineuses, élevage et arboriculture disparaît peu à peu.

Dans le nouveau système agricole, le cannabis occupe une place centrale. « Cette culture s’est substituée aux

cultures traditionnelles (…) » (Ahmadane, 1998, p. 91).

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2.2. La contrebande, facteur d’intégration du Maroc du Nord ?

La contrebande désigne un commerce pratiqué en infraction aux lois d’un Etat ; elle consiste à introduire et vendre des marchandises prohibées ou soumises à des droits de douane dans un pays dont on fraude le Trésor. La contrebande au Maroc désigne notamment le trafic des marchandises illégalement importées à partir des enclaves de Ceuta et Melilla. Ces produits sont légalement vendus dans les présides espagnols avant d’être introduits de manière illicite sur le territoire marocain. La contrebande représente une entrave au développement de l’industrie nationale à cause de la concurrence déloyale sur les produits taxés.

D’une part, la contrebande organisée à partir de Ceuta concerne la péninsule tingitane. D’autre part, ce trafic est plus important que celui effectué à partir de Melilla. Les Marocains qui disposent d’une carte d’identité ou d’un passeport mentionnant une domiciliation à Tétouan ont le droit de rentrer sans visa à Ceuta et d’y séjourner 24 heures. Héritage de l’histoire, cette faveur est uniquement accordée aux habitants de l’ancienne capitale du Protectorat espagnol. Le problème est complexe car la contrebande est favorisée par la complicité des forces de l’ordre et autorités locales des deux côtés de la frontière.

2.2.1. La contrebande : contexte et aperçu historique

Héritage de l’histoire, la présence espagnole sur les côtes marocaines porte les germes de situations conflictuelles. Toutefois, si le Maroc revendiqua la maroquinité des enclaves espagnoles (Ceuta et Melilla) et leurs dépendances (les îles Chaffarines et les rochers de Vélez de la Gomera et d’Alhucemas) avant le retour des provinces sahariennes au trône alaouite, « dès que l’Espagne se résolut, en novembre 1975, à céder le Sahara au Maroc (et à la Mauritanie), celui-ci laissa s’éteindre d’elle-même la question de Ceuta et Melilla devant l’ONU. (…) Si la revendication territoriale est devenue un élément moteur du rassemblement national, la diplomatie marocaine va pratiquer une politique de dissociation des contentieux et s’efforcera de leur donner des solutions bilatérales (…) » (Remiro Brotons, 1999, p. 55).

Conquise en 1497 par le Duc de Medina-Sidonia, Melilla passe à la couronne espagnole en 1556. « Ceuta, occupée par le Portugal en 1415, est restée au pouvoir de l’Espagne après la dissolution en

1640 de l’union des royaumes ibériques (…). Les rochers de Vélez de la Gomera et d’Alhucemas furent définitivement appropriés par l’Espagne en 1564 et 1673. Seules les trois îles désertes Chaffarines furent incorporées à la souveraineté espagnole à une époque relativement récente (…) en 1847 » (Labatut,

1993). Ces espaces de souveraineté espagnole au Maroc sont des vestiges de l’occupation ibérique.

En raison de sa situation stratégique en Méditerranée, le détroit de Gibraltar, unique accès maritime aux eaux océaniques avant la création du canal du Suez, n’est-il pas davantage un facteur d’intégration pour les deux rives qu’il unit qu’un élément de séparation ?

« Pour stigmatiser la contradiction d’une Espagne qui réclame à la Grande-Bretagne ce qu’elle n’est

pas disposée à accorder au Maroc, on assimile souvent le cas de Ceuta et Melilla à celui de Gibraltar »

(Remiro Brotons, 1999, p. 57).

« A partir de 1976, le roi Hassan II établit une analogie entre la situation de Gibraltar et Ceuta et

Melilla. (…) Hassan II formule ainsi sa doctrine (…) : « (…) Dès que les Espagnols obtiendront Gibraltar, immédiatement, automatiquement, nous obtiendrons Ceuta et Melilla. Aucune puissance ne pourra permettre que l’Espagne possède les deux clefs du même détroit » (Labatut, 1993).

« (…) Officiellement, les Espagnols nient l’existence même d’un différend avec le Maroc, puisqu’ils en

récusent les fondements. (…) A part le contentieux territorial, les terrains de coopération entre les deux pays sont très nombreux (…) et se sont multipliés depuis l’entrée de l’Espagne dans la CEE en 1986. »

Après l’entrée de l’Espagne dans la CEE, les Musulmans de Ceuta vont progressivement obtenir la nationalité espagnole, une manière de les rallier à la cause ibérique :

« Les communautés autonomes de Ceuta et Melilla se veulent (…) animées d’un idéal intégrateur (…).

On peut imaginer aujourd’hui une « marche verte » sur les deux villes, « spontanément » ordonnée par les autorités marocaines, organisée par des partis, des syndicats, et nourrie d’appelés et de chômeurs, mais il semble peu vraisemblable que les nouveaux Espagnols, c’est-à-dire les nouveaux membres de l’Union européenne, de religion et de culture musulmanes, deviennent une « cinquième colonne » de révoltés qui déchireront leur carte d’identité pour fièrement retourner au tiers monde. Ils font maintenant partie d’un Etat de droit, ils sont citoyens et non sujets, leurs possibilités de bien-être et de travail se sont améliorées, ils ont de meilleures garanties de protection, jouissent de la liberté de mouvement et de résidence dans un pays développé qui est aussi le leur » (Remiro Brotons, 1999, p. 71).

Dès 1863, Ceuta et Melilla bénéficient d’un statut – plusieurs fois modifié depuis – de port franc. A la veille du Protectorat, Ceuta et Melilla « furent transformées en plates-formes de pénétration espagnole au Maroc (…). L’établissement du protectorat espagnol sur le nord du Maroc fut déterminant pour le développement des places fortes » (Remiro Brotons, 1999, p. 65). Avec la construction d’une ligne ferroviaire, aujourd’hui fermée, entre Tétouan et Ceuta, ces deux villes vont se rapprocher alors que l’Histoire les avait opposées.

« La contrebande à partir des enclaves espagnoles du littoral méditerranéen marocain est une réalité au

moins séculaire, qui a pris forme à mesure que le Maroc s’ouvrait, au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle, au commerce européen et que les vieux presidios espagnols se métamorphosaient de garnisons pénitentiaires en entrepôts commerciaux. À l’aube de ce siècle, Ceuta, Melilla et les îlots étaient déjà au cœur d’un trafic intense d’armes et de munitions de guerre, qui contribua fortement à ce qui fut appelé l’anarchie marocaine qui offrit le prétexte pour transformer le Maroc en protectorat »

(OGD, 1994, p. 4).

« Fin 1955, la condition de zone franche a été concédée aux deux villes (Ceuta et Melilla). La

libéralisation commerciale au Maroc, l’amélioration de la distribution, l’éventuel développement économique de l’hinterland et peut-être, dans l’avenir, une administration marocaine plus honnête et efficace devraient réduire les avantages comparatifs des produits importés du monde entier dans les enclaves, et dont la destination finale est le Maroc » (Remiro Brotons, 1999, p. 73).

Ceuta et Melilla, détachées des tutelles de Cadix et Malaga, sont instituées communautés autonomes. Les textes législatifs définissant les statuts de Ceuta et Melilla « débutent néanmoins par l’affirmation que les villes sont « partie intégrante de la nation espagnole et au sein de son indissoluble unité » » (Remiro Brotons, 1999, p. 63). Cette autonomie n’aurait donc d’autonome que le nom dans la mesure où les enclaves sont étroitement contrôlées par Madrid en raison de leur situation (géopolitique) sensible. Les enclaves espagnoles ont besoin de l’hinterland marocain car il les fait vivre :

« Ceuta et Melilla n’ont pas d’eau, pas d’énergie, pas d’agriculture ; la pêche a pratiquement disparue (…) ; il n’y a presque pas d’industrie ; la main d’œuvre qualifiée est rare ; le commerce ne peut

prospérer avec le marché local ou le tourisme limité que peut générer un territoire exigu. On compte sur le Maroc pour l’approvisionnement en produits de première nécessité ; on compte sur le Maroc pour l’activité commerciale même si c’est de la contrebande. L’Espagne lambine pour appliquer la convention signée en mars 1985 avec le Maroc afin de combattre le trafic illégal, et chaque fois que le Maroc, surmontant ses propres contradictions, organise une campagne contre la fraude, les commerçants des enclaves – qui détiennent le plus haut indice de licences commerciales par habitant d’Espagne – en pâtissent. (…) L’adhésion de l’Espagne à la Communauté européenne et l’ouverture obligée (…) de la frontière avec Gibraltar, en février 1986, après qu’elle fut restée fermée depuis 1969, furent un coup dur pour les bazars ceutans. Malgré leur régime fiscal et les avantages fiscaux, les villes nord-africaines n’ont pas gardé le même rythme de croissance que l’Espagne communautaire. Heureusement, leur condition européenne leur permet de bénéficier de ressources financières et de subventions »

Ceuta pose des problèmes à l’Espagne quant à l’étanchéité des frontières de l’espace Schengen. L’enclave espagnole représente une chatière. « Ceuta tente de se préserver en édifiant sur son pourtour une sorte de rideau de fer grillagé et électrifié. Mais les présides (enclaves) sont confrontés à une intense pression migratoire »32. En 1995, la construction

d’un mur long de huit kilomètres est censé fermer l’accès à Ceuta. Renforcé en 2005, ce no man’s land correspond à un périmètre de sécurité militarisé vidéo-surveillé et éclairé en permanence. Ceuta abrite un camp où sont parqués les migrants clandestins, notamment subsahariens : Campo Calamocarro, une colonie de vacances en friche. Les demandeurs d’asile y attendent les décisions de l’administration espagnole dans des conditions insalubres.

« Le limes c’est l’ancien mur de Berlin (…). Aujourd’hui la frontière entre l’est et l’ouest s’est

transformée en une frontière entre le nord et le sud. (…) On la retrouve entre les Etats-Unis et le Mexique, au cœur de l’Europe, entre les deux Corées, etc. Elle est plus perfectionnée que du temps des Romains : (…) hauts grillages barbelés réputés infranchissables mais toujours franchis. Cette frontière on la retrouve surtout dans la zone de fracture qu’est devenu le détroit de Gibraltar, par exemple, à l’entrée de Sebta en dépit des airs bonhommes des douaniers et policiers espagnols qui laissent tout le travail de fouille et de contrôle des papiers à leurs collègues marocains » (Daoud, 2002, p. 110)

2.2.2. La contrebande dans l’économie marocaine et en péninsule tingitane

Selon les services de la douane, environ 30 000 Marocains frontaliers des enclaves entrent quotidiennement33 à Ceuta et Melilla et repassent la frontière avec en moyenne 2 000 Dh de

marchandises chacun.

« Tous ou presque sont de petits passeurs qui vont s’approvisionner (…) en produits qui iront ensuite

fournir les souks de la région, voire de certaines grandes villes marocaines. Electroménager, vêtements, produits de toilette, plaques de chocolat ou couches-culottes, alcools ou cigarettes : la liste est sans fin. Impuissantes à enrayer le phénomène, les autorités espèrent qu’il s’éteindra (…) lorsque entrera en vigueur l’accord de libre-échange. Les produits achetés à Ceuta ou à Melilla devraient alors cesser d’être compétitifs » (Dominique Lagarde, L’express, 24 mai 2004, op. cit.).

Le nombre de 20 000 personnes passant chaque jour le poste de frontière de Bab Sebta (et 10 000 entre Melilla et Nador) peut paraître excessif. Il signifierait que chaque minute, sur 24 heures et sans discontinuité, environ quatorze personnes traversent la frontière (plus de deux personnes toutes les dix secondes). Certes, les documentaires vidéo montrent des foules qui se pressent dans un goulet étroit, mais ces images sont filmées aux heures de pointe.

« Dans un grand nuage de poussière, le taxi jette ses passagers sur un terre-plein pouilleux empli de

gens vociférant (…). Ce ne sont que cris, invectives, bruits et fureurs et longues files humaines désordonnées ! Voilà l’image de l’entrée de Ceuta au Maroc : un chancre » (Daoud, 2002, p. 113).

Les autorités marocaines déclarent tenter de convaincre leurs homologues espagnols d’interdire les entrées après 18 heures et le vendredi. Mais pourquoi le Maroc n’abroge-t-il pas le statut spécial des résidents frontaliers : risque d’émeutes, fin des bakchichs complétant les salaires des fonctionnaires ? Les mesures visant à restreindre les passages et à limiter le statut de frontalier sont en tout cas restées au stade de vœu pieux.

Ceuta importe logiquement plus que ce que ses habitants consomment, le surplus d’importations étant destiné à approvisionner les contrebandiers. Du côté marocain de la frontière, Fnideq ressemble à une ville-entrepôt. Les lieux de stockage des marchandises sont nombreux dans la péninsule tingitane.

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Pierre Vermeren, juin 2002, « Les Marocains rêvent d’Europe », Le monde diplomatique, pp. 16-17. 33

Plusieurs localités-relais situées sur les axes Fnideq-Tétouan, Fnideq-Tanger et Tanger- Tétouan concentrent des hangars où sont entreposées des marchandises de contrebande. Dans les souks Sebta de Tétouan, les commerçants vendent ces produits au détail ; ils ont aussi un rôle de grossistes.

En raison du caractère illégal de la contrebande, la valeur ajoutée de ce trafic est difficile à évaluer. Il est d’autant plus malaisé d’isoler ces activités informelles du commerce légal que des commerçants patentés écoulent aussi – et pour certains exclusivement – des marchandises illégalement importées au Maroc. Alors que des informels fournissent des produits légaux, des commerces réglementaires vendent des produits de contrebande.

Les autorités marocaines disent multiplier les contrôles aux postes de frontière, mais la responsabilisation et la moralisation des douaniers, des policiers et des gendarmes reste vaine dans la mesure où leurs salaires ne représentent qu’un appoint en comparaison aux sommes qu’ils perçoivent pour fermer les yeux dans les zones de trafic. A Tanger et à Tétouan, on raconte que pour obtenir une place de douanier à Fnideq il faut débourser un montant pouvant correspondre à une vie de salaire au SMIC. Les postes s’arrachent à prix d’or puisque les intéressés amortiraient leur investissement en quelques mois.

Les contrebandiers achètent la route. Des taxis collectifs de Tétouan et Fnideq, et secondairement de Tanger, sont spécialisés dans le transport des contrebandiers et de leurs marchandises. Ils n’ont pas d’autres clients et servent d’intermédiaire entre les contrebandiers et les forces de l’ordre. La presse rapporte aussi que des équipes composées d’une dizaine d’hommes de mains, au service des trafiquants, se livrent à des actions d’intimidations des gendarmes et des douaniers.

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