• Aucun résultat trouvé

LES RECOMPOSITIONS TERRITORIALES ET URBAINES DANS LA PENINSULE TINGITANE

Encadré 3. En 2003, six des quatorze communautés urbaines créées en 1997 deviennent des municipalités avec plusieurs arrondissements.

3. Tanger et Tétouan, le renouveau contemporain

Le renouveau contemporain dans la région Tanger-Tétouan sera illustré à travers la présentation des grands projets d’infrastructure et de développement en cours de réalisation. Ils témoignent des dynamiques tingitanes actuelles, bien qu’il soit trop tôt pour tirer des conclusions sur les retombées de ces projets dans la mesure où ils sont en cours de réalisation.

Le Nord marocain, et notamment la péninsule tingitane, profitent d’une attention particulière de la part du gouvernement en raison d’une position stratégique aux portes de l’Afrique et face à l’Europe. Ce renouveau du Maroc du Nord correspond à une rupture par rapport aux décennies passées post-indépendance.

61

142 202 habitants en 2004 dans l’arrondissement Tanger-Médina, 106 768 pour Charf-Moghogha, 107 691 à Charf-Souani et 144 154 à Béni Makada (RGPH 2004).

62

A Tanger, trois communes urbaines constituaient la communauté urbaine alors que quatre arrondissements forment aujourd’hui la Ville de Tanger. On est proche du principe diviser pour mieux régner.

Parmi les priorités de l’Etat marocain figurent le développement et la dynamisation des provinces septentrionales du royaume. Dans ce contexte, la Tingitane fait l’objet d’un intérêt croissant de la part du pouvoir central qui souhaite l’ériger au rang de place dynamique dans le bassin méditerranéen. Le Palais a la volonté d’asseoir un développement régional sur des bases solides en faisant du doublet urbain Tanger-Tétouan un pôle de croissance et de promotion des investissements. A travers des mesures économiques incitatives (régime d’exonération sur les bénéfices, régime fiscal spécial appliqué aux zones franches, place financière off-shore), les investisseurs nationaux et étrangers sont invités à s’implanter dans le Nord-Ouest.

3.1. Tentatives d’intégration du Maroc du Nord sous Mohammed V et Hassan II Dans son discours historique du 10 avril 1947, Mohammed V insiste sur les contraintes que représente le régime du Protectorat pour l’unité et l’intégrité du pays :

« (La frontière entre les zones sous commandement français et espagnols a) séparé les habitants d’un

même pays qui pendant longtemps a été fier de son unité et de son caractère homogène. (…) Le fonctionnaire responsable doit agir constamment pour permettre aux habitants (…) de profiter de tous les droits que comporte la nationalité marocaine, dans un dévouement absolu au Trône chérifien, qui depuis des siècles, assure l’unité du peuple, l’intégrité de l’empire et le bonheur de toutes les classes de ses habitants » (extrait du discours de Tanger).

Le choix de Tanger pour prononcer ce discours n’était pas anodin dans la mesure où la ville était coupée du reste du pays et qu’elle était aux mains des puissances étrangères.

« Le tour de Tanger est enfin arrivé, et c’est avec un immense plaisir que nous rendons visite à cette

ville chérifienne que nous considérons comme un point vital de l’empire chérifien, comme sa véritable couronne parce qu’elle est la porte de son commerce, le pivot de sa diplomatie, l’emblème de ses qualités maîtresses » (Sidi Mohammed, discours de Tanger, 10 avril 1947).

Au lendemain de l’indépendance, parmi les desseins prioritaires du Palais figure les politiques d’intégration du Rif au nom d’une unité nationale à reconstruire. En 1957, Mohammed V lance les travaux de la route Al-Wahda (de l’Unité). Le pouvoir central, par l’intermédiaire du volontariat et des scouts, incite les jeunes à se mobiliser dans la construction de cette route symbolique au plan politique et utile au plan des infrastructures. Le mouvement volontaire à tendance patriotique est donc à l’honneur à travers ce projet ; 12 000 jeunes s’investissent dans la construction de cette route qui relie Fès au cœur du Rif.

L’ambition d’intégrer les régions rifaines à l’ensemble national conduit à l’élaboration du programme DERRO (développement économique et rural du Rif occidental) lancé en 1965 avec l’aide du fonds spécial des Nations Unies et de la FAO. A travers ses trois objectifs (lutte contre l’érosion, élévation du niveau de vie et réduction de l’émigration), ce programme visait à mettre en place un solide tissu d’infrastructures de base pour sortir le Rif de l’isolement et à jeter les bases de son développement économique et social.

L’indépendance marque donc la réunion entre le Nord et le Sud du pays et la volonté d’intégration du Maroc du Nord. Mais la reconversion souhaitée sur le plan des activités n’est pas accompagnée de grands projets pour la relance économique de la région. Tanger et Tétouan perdent leurs fonctions politiques sans réellement s’orienter vers les activités productives. L’étalement urbain des capitales du Nord se poursuit sans que des plans d’aménagement ne soient réalisés (les premiers schémas directeur d’aménagement et d’urbanisme datent des années 80). Malgré les atouts incontestables au plan des ressources naturelles – pour la pêche et le tourisme par exemple – la volonté de développement des activités n’est pas suivie de projets d’envergure.

« Et le tourisme lui-même a perdu beaucoup de son attrait pour les étrangers depuis qu’ils savent ne

plus pouvoir se procurer à Tanger les produits rares qui ont l’apparence de fruits défendus ailleurs »

(Mas, 1962, p. 155).

« La situation est d’autant plus grave que la réaction du gouvernement est tardive » (Maurer, 1999, p. 91). La zone franche industrielle de Tanger, créée à l’intérieur du port par le dahir du 30 décembre 1961, ne donnera pas de résultats satisfaisants avant plusieurs années. La diversification des activités, avec la promotion du tourisme, n’est envisagée qu’à partir de 1965 avec l’adoption d’un plan triennal63. Le plan triennal de 1965-67 place Tanger et la côte

méditerranéenne dans les zones d’aménagement prioritaires (ZAP), mais les mesures ne sont pas suivies d’actes avant la fin de la décennie 1970. Ce ne sera qu’après vingt années d’indépendance qu’un plan de développement – orienté sur le tourisme, l’industrie et l’agriculture irriguée – sera finalement élaboré pour relancer l’économie locale de la péninsule tingitane. Autant dire qu’entre temps, les retards se sont accumulés dans tous les domaines et que l’économie informelle et illégale (drogue, contrebande) a pris le relais.

Pour assurer la continuité de la route Rabat - Tanger, la construction du pont Mohammed V, sur l’oued Tahaddart, matérialise la politique d’intégration. Dans le cadre de la promotion touristique régionale, sont prévus l’agrandissement de l’aéroport international de Tanger et la construction de l’autoroute Rabat - Tanger. Mais l’aéroport Ibn Batouta n’a qu’une place secondaire à l’échelle nationale et l’autoroute ne sera pas achevée avant 2005. La Société d’aménagement de la baie de Tanger (SNABT) est créée en 1967 mais, plus de trois décennies plus tard, des experts nationaux et internationaux reconnaissent ses échecs, incohérences urbanistiques et détournements (promotion immobilière plus que touristique).

La promotion des activités industrielles à Tanger est lancée au début des années 60, mais la zone industrielle Moghogha (à la sortie de l’agglomération tangéroise en direction de Tétouan), en dépit des problèmes de pollution incompatibles avec le développement touristique, est partiellement achevée en 1975 (la deuxième tranche sera réalisée au début des années 2000, Cf. annexes). Tétouan devra attendre le code des investissements industriels de 1973 (exonérations d’impôts pour inciter les investisseurs), mais cette ville ne disposera pas de zone industrielle avant 1978. Ni Tanger ni Tétouan ne seront favorisées par le nouveau code des investissements industriels de 1983 qui laisse l’avantage à la métropole casablancaise. De plus, le secteur industriel tingitan est fortement dépendant des marchés et des investissements étrangers en raison de la nature même des productions (les industries textiles sont majoritairement représentées). Par ailleurs, la zone bancaire off-shore, prévue à Tanger en 1992, devra attendre une décennie avant de voir ses premiers établissements.

Enfin, si l’aménagement des périmètres irrigués du Loukkos ne concerne directement ni Tanger ni Tétouan, mais l’arrière-pays de Larache et de Ksar el-Kébir, ce projet64 peut

néanmoins être considéré comme un moyen pour le pouvoir central de soustraire le pays du Loukkos à l’influence des capitales du Nord-Ouest en le rattachant au centre politique et économique du royaume.

63

Racheté à Air France, l’aéroport Tanger-Boukhalef (Ibn Batouta) est agrandi en 1965-66. 64

Le projet est supervisé par l’Office régional de mise en valeur agricole du Loukkos (ORMVAL) créé en 1975. Son périmètre d’intervention s’étend sur 256 000 hectares, dont la moitié correspond à la surface agricole utile. En plus de la protection contre les inondations et la production d’énergie électrique, le barrage Oued el- Maghazine, construit au nord de Ksar el-Kébir, permet de mettre en valeur des milliers d’hectares irrigués. Sur le plateau de Larache et dans la plaine du Loukkos, en plus des périmètres cultivés en bour, ce sont environ 40 000 hectares qui sont mis en irrigation. La betterave à sucre a été introduite et les productions sont transformées dans l’industrie de sucre Sunabel de Ksar el-Kébir.

3.2. L’accession au trône de Mohammed VI. Les grands projets et le désenclavement du Rif

Le Rif est longtemps resté à l’écart des politiques de développement. Géographiquement enclavée, historiquement isolée, politiquement délaissée, cette région faisait peu l’objet de l’attention du pouvoir central jusqu’à l’intronisation de Mohammed VI. Actuellement, le Maroc du Nord, et la Tingitane en particulier, présentent des processus d’intégration qui se traduisent par une volonté politique affirmée. A travers divers projets, dont la plupart sont directement portés par le monarque, le Nord marocain tente de rattraper le retard des décennies passées.

En référence à l’irrédentisme rifain et aux tribus du Bled el-Siba, le Rif est aussi une région rétive au pouvoir central, pauvre et densément peuplée. Le Nord marocain représente des potentielles vagues de migrants vers le Vieux continent. C’est aussi du Maroc du Nord d’où partent les productions de cannabis et les migrants clandestins65.

Les politiques de développement des provinces septentrionales du royaume, renforcées pendant la décennie 1990, peuvent être entendues comme une réponse aux injonctions de l’Union européenne. La création, en 1996, de l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces et préfectures du Nord du royaume (ADPN) ne s’inscrit-elle pas dans la candidature du Maroc à l’adhésion à la Communauté européenne en 1995 et dans le processus de Barcelone ? La « campagne d’assainissement », menée sous Hassan II, ne fait-elle pas écho aux inquiétudes européennes en matière de trafic de stupéfiants ? A travers le programme MEDA66, l’Europe ne soutient-elle pas activement le

développement du Rif ?

Outline

Documents relatifs