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Tiers et agent public

Dans le document Le tiers en droit administratif (Page 86-92)

Section 2 : Le tiers confronté à des notions conceptuelles

B. Tiers et agent public

A l’image de ce que représente l’usager au sein du droit administratif, la notion d’agent public a, elle aussi, une place particulière méritant une confrontation avec la notion de tiers. Cette place particulière est issue du lien privilégié existant entre les personnes publiques et leurs agents publics. Il convient donc de définir cette notion d’agent public. L’agent est « tout ce qui agit, opère », c’est la « personne chargée de gérer, d’administrer pour le compte

d’autrui » (248

). L’agent public est considéré comme un « terme générique désignant tout

collaborateur d’un service public, le plus souvent administratif, associé pour une certaine durée à l’exécution directe de l’activité spécifique de celui-ci et relevant à ce titre du droit administratif. Un grand nombre d’entre eux ont la qualité juridique de fonctionnaires et soumis à des règles uniformes » (249). Cette définition fait apparaître la notion de fonctionnaire qu’il convient maintenant d’étudier. La notion de fonctionnaire est une « notion

retenue par les différents textes pour en définir le champ d’application et dont le contenu varie de l’un à l’autre. Au regard du statut général des fonctionnaires, de l’Etat et des collectivités territoriales, personne nommée dans un emploi permanent et titularisée dans un

247 CE, 24 novembre 1967, Labat, Rec. CE, p. 100, RDP 1968, p. 648, note Waline, p. 659, concl. Baudouin,

AJDA 1968, p. 100, chron. Massot et Dewost.

248 Le petit Larousse, éd. 2009, p. 22.

Dictionnaire culturel en langue française (A-D), op. cit., pp. 144-145. « L’être qui agit (opposé au patient).

Personne chargée des affaires et des intérêts d’un individu, d’un groupe ou d’un pays, pour le compte desquels elle agit. »

Dictionnaire en langue française d’Emile Littré : « Tout ce qui agit, opère. […] Celui qui fait les affaires

d'autrui, qui est chargé d'une fonction, d'une mission publique ou privée. »

(http://francois.gannaz.free.fr/Littre/xmlittre.php?rand=&requete=agent)

249 S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, op. cit.,

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grade de la hiérarchie » (250). Ainsi, si tous les agents ne sont pas des agents publics, les fonctionnaires sont forcément des agents publics (251).

La notion d’agent public, terminologie utilisée ici, elle est notamment employée par le juge administratif (252). Cependant d’autres termes peuvent être employés, ils sont relevés par M. Chapus (253). Nous pourrions utiliser le terme d’« agent de droit public » (254), ou celui d’« agent uni à la personne publique employeur par un lien de droit public » (255

). La troisième possibilité a l’avantage de mettre en valeur les caractéristiques de la notion d’agent public : le lien unissant la personne publique à l’agent et le droit applicable ; il s’agit du critère de définition organique (256). De manière plus précise, les agents publics vont former un « ensemble [de] personnels employés par l’Etat ou par une collectivité publique, et

affectés dans un service public de caractère administratif, quelle que soit la nature de l’emploi qu’ils occupent, sous réserve des dispositions législatives particulières prévoyant des recrutements sous contrat de droit privé. A titre exceptionnel, des agents relevant de la fonction publique peuvent être affectés dans un service public industriel ou commercial, ou

[…] dans une société anonyme [sous certaines conditions] » (257

). Cette définition fait apparaître un élément important : il est essentiel de déterminer à quel service public nous avons affaire. En effet, les services publics sont divisés en deux catégories : les services publics administratifs et les services publics industriels et/ou commerciaux. La différence entre ces deux types de services publics est fondée sur le type de gestion du service. Dans le premier cas, la gestion est publique, dans le deuxième, elle est privée (258). Il est nécessaire de déterminer le service public en cause afin de pouvoir savoir si l’agent peut être qualifié ou

250

Ibid., p. 335.

251 J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU, H. PAULIAT, Droit des services publics, Armand Colin, 3e éd., 2004,

p. 95 ; A. PLANTEY, La fonction publique, Traité général, Litec, 2001, p. 297. « Le statut général établit un

lien direct entre l’emploi public et la qualité du fonctionnaire : les emplois permanents à temps complet sont réservés aux fonctionnaires. Toutefois, de nombreuses autres personnes ont, à titre particulier, droit à la qualification d’agents des collectivités publiques ou des établissements publics. »

252 CE Sect., 3 janvier 1958, Levrat, Rec. CE, p. 2.

253 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 2, op. cit., p. 19.

254 CE, 4 novembre 1959, Goett, Rec. CE, p. 571, RDP 1960, p. 372, obs. Drago.

255

TC, 15 décembre 1980, Mme Uguen c/ Hospice de Landéda, Rec. CE, p. 640, DA 1981, n° 20.

256 O. DORD, Droit de la fonction publique, PUF, Thémis Droit, 2007, p. 10 ; F. MELLERAY,

Droit de la fonction publique, Economica, 2005, p. 61.

257 F. HAMON, Droit des fonctions publiques, t. 1 Organisation et gestion, LGDJ, 2002, p. 16.

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non, d’agent public (259). Le principal intérêt à réaliser une distinction entre la qualification d’agent public et celle d’agent privé est de déterminer dans le cadre de litiges individuels, quel droit est applicable et quel juge est compétent (260).

Si nous sommes en présence d’un service public administratif, l’agent sera qualifié de public, s’il participe directement à l’exécution ou au fonctionnement du service public administratif (261). Cependant depuis une évolution de la jurisprudence, nous qualifions d’agent public contractuel, tout agent non statutaire travaillant pour le compte d’un service public administratif, quel que soit son emploi (262). Ainsi nous relevons deux conditions à remplir pour obtenir la qualification d’agent public et donc l’application du droit public : la présence de la personne publique et la présence d’un service public administratif (263

). En ce qui concerne la présence d’une personne publique, en réalité, ce n’est pas sa simple présence qui est requise, mais le fait qu’elle soit l’employeur de l’agent. A ce sujet, M. Chapus relève qu’il s’agit d’une « exigence primordiale (mais non suffisante) » (264

). En ce qui concerne la seconde condition : la présence d’un service public administratif, il s’agit en fait d’agir pour le service public en question, l’activité de l’agent doit se dérouler au sein de ce service particulier pour pouvoir obtenir la qualification d’agent public. Cependant si l’agent exerce son activité au sein d’un service public industriel et commercial, il peut tout de même recevoir la qualification d’agent public. Il s’agit cependant de cas assez rares. Ces atténuations au principe que la qualification d’agent public nécessite la présence d’un service public administratif sont soit issues du législateur, soit de la jurisprudence (265). En effet, le législateur peut décider d’accorder la qualification d’agent public dans un tel cas, ou alors de

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Afin de déterminer le service public en présence, il suffit d’utiliser les critères de détermination établis par le juge administratif : CE Ass., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques, Rec. CE, p. 434, AJDA 1956, II, p. 489, chron. Fournier et Braibant, D. 1956, p. 759, concl. Laurent.

260 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 2, op. cit., p. 20.

261 CE Sect., 4 juin 1954, Affortit et Vingtain, Rec. CE, p. 342, concl. Chardeau, AJDA 1954, II bis, p. 6, chron.

Gazier et Long.

O. DORD, Droit de la fonction publique, op. cit., p. 10 ; F. MELLERAY, Droit de la fonction publique, op. cit., p. 61.

262 TC, 25 mars 1996, Berkani, Rec. CE p. 535, concl. Martin, RFDA 1996, p. 819, concl. Martin, AJDA 1996,

p. 354, note Prétot, CJEG 1997, p. 35, note Lachaume, JCP 1996, II, 22664, note Moudoudou.

263 O. DORD, Droit de la fonction publique, op. cit., p. 10 ; J.-F. LACHAUME, C. BOITEAU, H. PAULIAT,

Droit des services publics, op. cit., p. 96 ; F. MELLERAY, Droit de la fonction publique, op. cit., p. 61.

264 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 2, op. cit., p. 25.

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maintenir la qualification d’agent public pour des agents dont le statut de leur employeur a changé. En ce qui concerne la jurisprudence, M. Chapus relève que dans deux cas elle permet à l’agent d’obtenir la qualification d’agent public alors que l’agent relève d’un service public industriel et commercial : « comme étant dans une situation de droit public, tant les agents

occupant un emploi de direction, que les comptables publics » (266).

Enfin, il s’agit de distinguer l’agent public d’autres notions. En effet, les agents publics sont au service de la personne publique puisqu’ils travaillent pour elle, mais d’autres personnes interviennent en plus des agents publics. Ces personnes sont des collaborateurs : les fournisseurs, entrepreneurs, concessionnaires de service public, officiers ministériels… Ce sont des collaborateurs soit contractuels, soit statutaires, sans oublier les collaborateurs occasionnels. Leur point commun, qui d’ailleurs les oppose aux agents publics, est que « les

uns et les autres ne sont pas employés dans le service public. Ils lui restent extérieurs » (267). Un agent public est employé par une personne publique pour travailler, par principe, dans un service public administratif, et par exception dans un service industriel et/ou commercial. Ainsi nous sommes devant une notion conceptuelle que nous allons pouvoir confronter à la notion de tiers. Nous avions trouvé différentes tentatives de définitions du tiers dans la section précédente, il convient maintenant de se servir de certaines montrant l’opposition entre le tiers et l’agent public. Tout d’abord, dans le Dictionnaire de droit administratif, le tiers est défini comme celui qui n’est : « ni usager, ni agent » (268). Cette définition est claire, un tiers ne peut pas être un agent, à plus forte raison un agent public. La raison de cette exclusion apparaît dans d’autres définitions. En effet, d’autres auteurs utilisent des termes plus vagues mais qui font nettement apparaître, même si cela est implicite, l’absence de possibilité pour le tiers d’être qualifié d’agent public : le tiers est : « une

266 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 2, op. cit., p. 44.

CE, 26 janvier 1923, de Robert Lafrégeyre, Rec. CE, p. 67, RDP 1923, p. 237, concl. Rivet, GAJA ; CE Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, Rec. CE, p. 158, S. 1957, p. 276, concl. Mosset, D. 1957, p. 378, concl. Mosset, note de Laubadère, JCP 1957, II, 9987, note Dufau, AJDA 1957, II, p. 184, chron. Fournier et Braibant ; TC, 28 mai 1979, Chambre de commerce et d’industrie d’Angers c/ Gaudin, Rec. CE, p. 566, D. 1980, p. 391, note Chapus.

267 R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 2, op. cit., p. 22.

268 A. VAN LANG, G. GONDOUIN, V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Armand

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personne autre que l’Administration et la victime » (269

), les tiers sont des « personnes qui

n’ont pas de relations normales avec le service, qui n’en sont ni des usagers, ni des cocontractants et qui peuvent pourtant entrer en relation avec lui par accident » (270). Nous déduisons de cette définition ouverte que le tiers ne fait pas parti de l’Administration, il n’entretient pas non plus de relations normales avec le service. Selon cette citation, une personne qui entretient des relations normales avec le service pourrait être un usager. Cependant, comme la notion d’usager est ajoutée à la suite de la définition, il ne s’agit pas d’un usager. Cette même remarque peut être faite en ce qui concerne le cocontractant (271

). Ainsi la personne restante qui peut être en relation normale avec le service correspond à l’agent public qui remplit ses fonctions soit en raison d’un contrat, soit en raison d’un statut légal et règlementaire, en raison des règles régissant la fonction publique. Par contre la référence à la non appartenance à l’Administration peut poser problème. La notion d’administration peut s’entendre de différentes manières (272

). Il convient ici de retenir que l’Administration peut aussi bien s’entendre comme l’allusion à un service public, que comme une allusion à la puissance publique. Ainsi faire partie de la puissance publique signifie être une personne publique. Cependant il ne faut pas comprendre : « une personne autre que

l’Administration » dans un sens trop restrictif. Au contraire, il faut comprendre que les auteurs

ont sous-entendu prendre en compte les agents publics dans leur notion d’Administration. L’Administration peut ainsi s’entendre comme les personnes publiques et leurs agents publics. Ainsi selon ces différentes définitions données, le tiers ne peut être un agent public.

Le tiers appartient à un groupe de personnes différent de celui des agents publics. Cela implique que la notion de tiers ne recoupe pas la notion conceptuelle d’agent public. Les tiers forment un groupe indépendant de celui constitué par les agents publics. En réalité, nous nous retrouvons devant la même configuration que celle concernant les personnes publiques. Les agents publics se rattachant à la puissance publique ou aux personnes publiques, forment ensemble un groupe totalement indépendant du reste des personnes regroupées soit sous

269 G. VEDEL, P. DELVOLVE, Droit administratif, t. 1, PUF, Thémis Droit, 12e éd., 1992, p. 618.

270 G. BRAIBANT, B. STIRN, Le droit administratif français, op. cit., p. 177.

271

Ibid., p. 177. « Personnes qui n’ont pas de relations normales avec le service, qui n’en sont ni des usagers, ni

des cocontractants. » Souligné par nous.

272 S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, op. cit.,

p. 29. « Avec une minuscule, fait, activité d’administrer. Avec une majuscule : synonyme de service public au

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l’appellation d’administrés, soit sous celle de tiers. A plus forte raison, le Conseil d’Etat a démontré que les tiers, les administrés, ne pouvaient s’immiscer dans les relations entretenues entre la puissance publique et ses agents. Un tiers ou un administré qui n’appartient pas au service, c’est-à-dire étant étranger au groupe formé par la puissance publique et ses agents, ne peut aucunement demander l’aggravation d’une sanction disciplinaire prononcée contre l’un de ces agents publics (273). Les tiers ne peuvent donc être des agents publics.

Ce constat mérite cependant une atténuation. En effet, au sein même du groupe formé par la puissance publique et de ses agents publics, certains agents publics peuvent être qualifiés de tiers par rapport aux autres. Nous revenons encore une fois au problème de référentiel à prendre en compte pour définir les personnes en cause. Par exemple, un fonctionnaire est sanctionné disciplinairement, mais il ne souhaite pas contester la sanction disciplinaire prononcée. Dans un tel cas, la puissance publique a établi un lien particulier entre elle et l’agent sanctionné, ils forment ainsi un groupe restreint par rapport auquel les autres fonctionnaires et agents publics deviennent des tiers. D’ailleurs, si un syndicat de fonctionnaires décide de contester la sanction disciplinaire en cause, le Conseil d’Etat déclarera cette action contentieuse irrecevable justement en raison de la qualité de tiers du syndicat, il est non concerné par la sanction, il ne peut donc pas la contester puisqu’il ne présente aucun intérêt à agir (274). Nous nous retrouvons dans la même configuration que dans l’arrêt Bellanger cité ci-dessus.

Du point de vue des distinctions, tiers et agent public s’opposent, tout comme tiers et usager. Pourtant, il se peut qu’un agent public soit un tiers ou qu’un usager soit un tiers. Tout concorde à penser que le tiers ne se définit pas par rapport à son état, mais par rapport à un référentiel qui, à ce stade des développements, semble être un acte juridique ou plus globalement, une situation juridique. Le tiers est extérieur à ce référentiel.

273 CE, 17 mai 2006, Bellanger, Rec. CE, p. 257, RFDA 2006, p. 890, chron. Terneyre, AJDA 2006, p. 1072,

obs. Montecler, p. 1513, concl. Keller, JCP A 2006, 1212, note Jean-Pierre, JCP 2006, I, 170, chron. Plessix. V. Partie 2, Titre 1, Chapitre 2, Section 2, p. 281 et suivantes.

274 CE Sect., 13 décembre 1991, Syndicat CGT des employés communs de la mairie de Nîmes et syndicat des

cadres communs de la mairie de Nîmes, Rec. CE, p. 443, AJDA 1992, p. 350, note Breton, RFDA 1993, p. 250, note Toutée.

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