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La tierce opposition

Dans le document Le tiers en droit administratif (Page 97-113)

Conclusion de chapitre

Section 1 : Le tiers dans la tierce opposition

A. La tierce opposition

La tierce opposition est une « voie extraordinaire de recours permettant, en principe,

à toute personne qui n’a été ni partie ni représentée à une instance (tiers) d’attaquer pendant trente ans, s’il lui est préjudiciable […] le jugement rendu en dehors d’elle, pour demander au juge de rejuger, en ce qui la concerne, les points qu’elle critique et, sur ces points, de rétracter ou de réformer le jugement relativement à elle (l’ouverture de ce recours étant cependant restreinte dans le cas où le jugement a été notifié à un tiers, ce dernier n’ayant alors, en matière contentieuse, que deux mois à compter de la notification pour former tierce opposition […] » (277). La tierce opposition est une procédure permettant à un tiers de remettre en cause l’autorité de chose jugée attribuée à une décision de justice et cela à son

276 S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, Dalloz,

17e éd., 2010, p. 704.

M. WALINE, Droit administratif, Sirey, 8e éd., 1959, p. 223. « La tierce opposition est la voie de recours formée

contre une décision de justice par une personne qui n’a pas été partie à l’instance, mais qui estime que le jugement préjudicie à ses droits. »

277

G. CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2007, p. 920.

S. GUINCHARD, G. MONTAGNIER, R. GUILLIEN, J. VINCENT, Lexique des termes juridiques, op. cit., p. 704. Il s’agit d’une « voie de recours extraordinaire, de rétractation ou de réformation, ouverte aux personnes

qui n’ont été ni parties ni représentées dans une instance et leur permettant d’attaquer une décision qui leur fait grief et de faire déclarer qu’elle leur inopposable. »

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profit (278). Cependant cette remise en cause est fondée sur le droit des tiers à protéger leurs droits (279).

La tierce opposition est présente en droit civil. Elle est régie dans le Nouveau code de procédure civile aux articles 582 et suivants (280). Elle repose sur deux des fondements du droit civil : l’autonomie des volontés et la protection des droits individuels (281). La tierce opposition en droit privé est « une voie de recours, fonctionnant sous la forme d’une sorte

d’exception ayant pour objet d’aménager dans l’intérêt des tiers les effets d’un jugement, et ne paraissant pas impliquer nécessairement l’ouverture d’une nouvelle instance dotée d’une spécificité propre ». Elle est dirigée contre les effets de la décision juridictionnelle, pas contre

la décision elle-même. Elle est donc admise à l’encontre des décisions ayant autorité relative

278 M.-C. ROUAULT, Contentieux administratif, Gualino, 2008, p. 537. « Cette voie de recours est celle qui

porte le plus atteinte à la chose jugée. »

B. PACTEAU, Traité de contentieux administratif, PUF, Droit fondamental, 2008, p. 550.

279 M.-C. ROUAULT, op. cit., p. 537. « L’autorité absolue de chose jugée ne saurait priver les tiers de la

possibilité de défendre leurs droits. »

R. ODENT, Contentieux administratif, t. 1, Dalloz, 2007, p. 997 ; B. PACTEAU, Traité de contentieux

administratif, op. cit., p. 549.

280 Article 582 : « La tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui

l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. »

Article 583 : « Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait

été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque. […] »

Article 585 : « Tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n'en dispose autrement. »

Article 587 : « La tierce opposition formée à titre principal est portée devant la juridiction dont émane

le jugement attaqué. La décision peut être rendue par les mêmes magistrats. […] »

Article 591 : « La décision qui fait droit à la tierce opposition ne rétracte ou ne réforme le jugement attaqué que

sur les chefs préjudiciables au tiers opposant. Le jugement primitif conserve ses effets entre les parties, même sur les chefs annulés. Toutefois la chose jugée sur tierce opposition l'est à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584. »

Article 592 : « Le jugement rendu sur tierce opposition est susceptible des mêmes recours que les décisions de

la juridiction dont il émane. »

281 A. HEURTHE, La tierce opposition en droit administratif, D. 1955, chron. XII. « Le droit civil, qui repose sur

le principe de l’autonomie de la volonté, admet rarement qu’un particulier puisse imposer par voie unilatéral des obligations à un tiers ; l’action en justice, ayant essentiellement pour objet d’assurer la protection des droits individuels, ne doit pas devenir le moyen d’obtenir un titre à l’encontre de personnes qui n’ont même pas pu se faire entendre par le juge ; le rôle relativement passif qui est attribué au magistrat judiciaire serait de nature à favoriser certaines manœuvres auxquelles la tierce opposition permet de faire échec. »

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de chose jugée (282). Il était nécessaire de commencer l’étude de la tierce opposition sous l’angle du droit civil, puisque la tierce opposition en droit administratif est la transposition au droit administratif de la procédure de droit civil (283). La tierce opposition utilisée par le juge administratif est régie par le Code de justice administrative aux articles R. 832-1 et suivants, issus de l’article 79 de l’ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat (284). Cependant elle existe même sans texte et constitue un principe général du droit (285). Il s’agit d’une « voie de recours véritable, une action qui tend à l’annulation du jugement lui-même », elle a pour effet d’ouvrir une nouvelle instance (286

).

En ce qui concerne la procédure même de tierce opposition, il faut relever qu’elle peut être utilisée quelque soit le contentieux en cause y compris le contentieux de l’excès de pouvoir (287), la condition est, en fait, d’être en présence d’un « procès entre partie » (288).

282 Ibid.

283 O. GOHIN, Contentieux administratif, Litec, 6e éd., 2009, p. 420. « L’autonomie de la procédure

juridictionnelle administrative ne saurait interdire l’influence de la procédure civile alors surtout qu’il s’agit, pour le Conseil d’Etat, de donner une réponse à une situation contentieuse équivalente à celle déjà connue et traitée par l’autre ordre juridictionnel. Tel est le cas du recours du tiers à l’instance initiale dès lors que, par construction, il ne saurait parcourir aucune des voies de recours ouvertes aux parties. »

284 Article R. 832-1 : « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui

préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. »

Article R. 832-5 : « Sauf dispositions contraires prévues par le présent chapitre, l'introduction de la tierce

opposition suit les règles relatives à l'introduction de l'instance définies au livre IV. Sont de même applicables les dispositions des livres VI et VII. »

285

CE, 3 novembre 1972, De Talleyrand-Périgord, Rec. CE, p. 707.

B. PACTEAU, Traité de contentieux administratif, op. cit., p. 550 ; M.-C. ROUAULT, Contentieux

administratif, op. cit., p. 537.

286 A. HEURTHE, La tierce opposition en droit administratif, op. cit. ; B. PACTEAU, Traité de contentieux

administratif, op. cit., p. 554.

287 CE, 29 novembre 1912, Boussuge, Rec. CE, p. 1128, S. 1914, III, 33, concl. Blum, note Hauriou, D. 1916,

III, 49, concl. Blum, RDP 1913, p. 331, concl. Blum, note Jèze, GAJA.

288 Le recours en excès de pouvoir était défini comme « un procès fait à l’acte [où] l’administration, représentée

par le ministre, n’est pas partie en cause », M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public,

Sirey, 12e éd., 1933, p. 394.

Cependant cette vision du recours en excès de pouvoir est largement remise en cause pour différentes raisons exposées par M. Gohin. Tout d’abord, la loi du 22 juillet 1889 applicable à tous les contentieux devant les conseils de préfecture et donc aussi au recours en excès de pouvoir, utilise le terme de « partie ». Ensuite, l’acception de la tierce opposition en matière de recours en excès de pouvoir, alors qu’elle ne peut être utilisée

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Ainsi la tierce opposition est recevable, par exemple, en matière de référé (289). De même, elle est recevable pour toutes les voies de recours : première instance, appel ou cassation (290). Toutefois, la tierce opposition est exclue dans deux contentieux différents : le contentieux électoral et celui de l’impôt sur le revenu (291

).

Si actuellement, la possibilité d’exercer une tierce opposition à l’encontre d’une décision de justice rendue sous l’empire d’un recours en excès de pouvoir ne fait aucun doute, il n’en a pas toujours été ainsi, il est nécessaire de rappeler l’historique en la matière. L’arrêt de principe reconnaissant cette possibilité est l’arrêt Boussuge (292

). Dans cet arrêt, il s’agissait de savoir si la procédure de tierce opposition instaurée par l’article 37 du décret du 22 juillet 1806 s’appliquait en matière de recours en excès de pouvoir (293

). La réponse était positive. Dans un premier arrêt Ville de Cannes (294), le Conseil d’Etat avait accepté une telle procédure en liant la tierce opposition avec le droit d’intervention (295

). Cet arrêt avait comme intérêt notable de rejoindre la vision d’E. Laferrière qui liait tierce opposition et intervention (296). Cependant le Conseil d’Etat était revenu sur sa position, estimant que le que dans les procès où existent des parties, prouve justement la présence de parties dans le recours en excès de pouvoir. Dans le cas contraire, la tierce opposition n’aurait pu être admise. O. GOHIN, Contentieux

administratif, op. cit., pp. 204-205.

289 CE Sect., 18 juin 1982, SA Bureau Veritas, Rec. CE, p. 240, concl. Biancarelli.

290 CE, 8 décembre 1971, Conseil national de l’Ordre des pharmacien, Rec. CE, p. 753.

O. GOHIN, Contentieux administratif, op. cit., p. 421 ; R. ODENT, Contentieux administratif, t. 1, op. cit., p. 1000.

291 M.-C. ROUAULT, Contentieux administratif, op. cit., p. 537.

292

CE, 29 novembre 1912, Boussuge, op. cit., p. 96. « Toute personne qui n’a été ni appelée ni représentée dans

l’instance peut former tierce opposition à une décision du Conseil d’Etat rendue en matière contentieuse, cette voie de recours n’est ouverte, conformément à la règle générale posée par l’article 474 du Code de procédure civile, qu’à ceux qui se prévalent d’un droit, auquel la décision entreprise aurait préjudicié. »

293 G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS, M. LONG, P. WEIL, Les grands arrêts de

la jurisprudence administrative, Dalloz, 17e éd., 2009, p. 150.

294 CE, 28 avril 1882, Ville de Cannes, Rec. CE, p. 387.

295 G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS, M. LONG, P. WEIL, Les grands arrêts de

la jurisprudence administrative, op. cit., p. 150.

L’intervention est une « demande incidente par laquelle un tiers entre dans un procès déjà engagé, de son

propre mouvement (intervention volontaire) ou à l’initiative de l’une des parties en cause (intervention forcée) », G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 512.

296 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, Berger-Levrault,

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recours en excès de pouvoir ne constituait pas un procès entre parties (297), rejoignant ainsi la vision qu’avait M. Hauriou du recours en excès de pouvoir.

Dans l’arrêt Ville d’Avignon du Conseil d’Etat, la tierce opposition en matière de recours en excès de pouvoir est fermée (298). En effet, « les recours pour excès de pouvoir

n’ont pas le caractère de litige entre les parties » (299

). Le commissaire du gouvernement évoquait trois arguments principaux pour affirmer cette thèse. Le décret du 22 juillet 1806 instituant la tierce opposition et sur lequel se fonde les juges administratifs pour déterminer la recevabilité de la tierce opposition, a été pris à une époque où le recours en excès de pouvoir était inconnu (300). Il ne pouvait donc pas envisager les problèmes issus de la confrontation entre la tierce opposition et le recours en excès de pouvoir qui est un procès fait à un acte. Le deuxième argument vient de la filiation de l’intervention et de la tierce opposition qui est notamment mise en valeur par E. Laferrière (301). L’intervention retient une condition d’intérêt, alors que la tierce opposition retient une condition de droit lésé. Nous obtiendrions, en raison de cette filiation, que la tierce opposition exige une condition d’intérêt, modifiant ainsi les conditions primaires de la procédure. De plus, si nous retenions une condition d’intérêt, « il n’y aurait presque pas d’arrêts prononçant une annulation pour excès de

pouvoir qui ne pût être remis en question par une tierce-opposition, car il n’y a presque pas d’actes administratifs au sort desquels quelques tiers ne puisse se dire intéressé » (302

). Enfin, le troisième argument relève de l’effet erga omnes des annulations pour excès de pouvoir qui selon le commissaire du gouvernement, prouve la particularité même du recours en excès de

pouvoir, l’opposant ainsi aux autres recours contentieux où la tierce opposition est

former tierce opposition. » « […] les parties qui auraient qualité pour former tierce opposition sont recevables à intervenir, et réciproquement. » « La corrélation du droit d’intervention et de tierce opposition, dans les matières contentieuses ordinaires, est d’ailleurs facile à justifier, car celui qui avait le droit d’intervenir pour empêcher qu’un jugement ne fût rendu, doit avoir aussi le droit de critiquer ce jugement quand il a été rendu à son insu et à son préjudice. »

297 G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS, M. LONG, P. WEIL, Les grands arrêts de

la jurisprudence administrative, op. cit., p. 150.

CE, 8 décembre 1899, Ville d’Avignon, Rec. CE, p. 719, concl. Jagerschmidt, S. 1900, III, 73, note Hauriou.

298

CE, 8 décembre 1899, Ville d’Avignon, op. cit.

299 Ibid., commentaire introductif, Rec. CE, p. 719

300 H. JAGERSCHMIDT, concl. sur CE, 8 décembre 1899, Ville d’Avignon, Rec. CE, p. 719.

301 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, op. cit., p. 564.

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ouverte (303). Ainsi l’arrêt Ville d’Avignon mettait en valeur la vision du recours en excès de pouvoir de M. Hauriou (304), de même qu’il séparait la tierce opposition de l’intervention, liées depuis l’arrêt Ville de Cannes (305

). Cependant le Conseil d’Etat est revenu sur sa position dans l’arrêt Boussuge (306

). Accepter la tierce opposition en matière de recours en excès de pouvoir a tout simplement été une considération d’équité prise en compte par le Conseil d’Etat (307

). Le commissaire du gouvernement retient deux solutions différentes en matière de recours en excès de pouvoir : il faut distinguer si le recours concerne un acte individuel ou un acte réglementaire. Les litiges qui concernent les actes administratifs individuels seraient assimilables à des procès entre parties et dans ce cadre, la tierce opposition serait ouverte (308). Cependant dans le cas des actes réglementaires, le recours en excès de pouvoir reste bien un procès fait à un acte. La tierce opposition est alors fermée (309). Finalement, le Conseil d’Etat ne suit pas la proposition faite par son commissaire du gouvernement, il retient que la tierce opposition est ouverte, en matière de recours en excès de pouvoir, quelque soit l’acte administratif ayant donné lieu au litige initial. Selon M. Hauriou, cet arrêt a remis en cause le caractère objectif du recours en excès de pouvoir (310). Malgré les

303

Ibid., p. 720.

304 A. HAURIOU, Notes d’arrêts sur décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits publiées au Recueil

Sirey de 1892 à 1928 par M. Hauriou, t. 2, Recueil Sirey, 1929, p. 409. « La tierce opposition n’est ouverte qu’aux parties, et les intéressés au recours en excès de pouvoir ne sont pas des parties ; d’autre part, la tierce opposition est un moyen de faire valoir des droits, et les intéressés n’ont pas à faire valoir des droits dans l’instance du recours en excès de pouvoir. »

305 CE, 28 avril 1882, Ville de Cannes, Rec. CE, p. 387.

A. HAURIOU, Notes d’arrêts sur décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits publiées au Recueil

Sirey de 1892 à 1928 par M. Hauriou, t. 2, op. cit., p. 409. « Les destinées de l’intervention et celle de la tierce opposition sont désormais séparées. »

306 CE, 29 novembre 1912, Boussuge, op. cit., p. 96.

307 G. BRAIBANT, P. DELVOLVE, B. GENEVOIS, M. LONG, P. WEIL, Les grands arrêts de

la jurisprudence administrative, op. cit., p. 151.

308 L. BLUM, concl. sur CE, 29 novembre 1912, Boussuge, Rec. CE, pp. 1132-1133. « [...] l’extension de votre

jurisprudence en cette matière a fait qu’aujourd’hui un très grand nombre de recours pour excès de pouvoir sont véritablement des litiges entre parties. » « En dépit de la forme extérieure du recours, bien que l’acte attaqué soit un acte de puissance publique, le débat porté devant vous, dans toutes les espèces de cette nature

[où intervient un acte individuel], est bien un litige entre des intérêts individuels. »

309 Ibid., pp. 1132-1133.

310 A. HAURIOU, Notes d’arrêts sur décisions du Conseil d’Etat et du Tribunal des conflits publiées au Recueil

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critiques faites, à l’heure actuelle la tierce opposition est recevable, même à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir.

Il convient maintenant d’étudier les conditions de recevabilité de la tierce opposition. Ces conditions sont au nombre de trois. La personne requérante doit être un tiers présentant un droit lésé. De plus, une condition de délai existe. En ce qui concerne la première condition : il doit s’agir d’un tiers, cette condition sera plus approfondie dans la suite de ces développements. Cependant, il suffit de retenir qu’il s’agit d’un tiers à l’instance initiale, c’est-à-dire celle contre laquelle le requérant souhaite former tierce opposition (311

). La deuxième condition touche la notion de droit lésé (312). La lésion de ce droit doit être « personnel[le], direct[e] et non éventuel[le] » (313). L’appréciation de la violation d’un droit ou non se réalise en fonction du dispositif de « la décision juridictionnelle et non au regard

de ses motifs » (314). La nécessité que la décision de justice préjudicie à un droit du tiers est issue de l’ancien état du droit en matière de procédure civile. En effet, le Conseil d’Etat se référait, dans ses premiers arrêts concernant la tierce opposition, à l’état du droit civil. Cette exigence est d’ailleurs reprise dans le Code de justice administrative (315

). En ce qui concerne le domaine particulier du recours en excès de pouvoir, E. Laferrière retenait que la tierce opposition devait être ouverte « à toute partie pouvant invoquer un droit qui se trouverait mis

en échec par l’annulation de l’acte sur lequel ce droit reposait » (316

). Pour M. Chapus, la tierce opposition ne peut être ouverte qu’aux tiers qui aurait « normalement dû être parties à

une instance (en y intervenant ou en y étant appelés) ouvertes entre autres, -parce que leurs droits se trouvaient en cause et afin d’en pouvoir assurer la défense » (317

). Cependant pour

311 O. GOHIN, Contentieux administratif, op. cit., p. 421. « […] être resté tiers à l’instance initiale, c’est-à-dire

n’avoir été ni présent ni représenté à l’instance initiale. »

B. PACTEAU, Traité de contentieux administratif, op. cit., p. 551.

312 O. GOHIN, Contentieux administratif, op. cit., p. 421. « […] se prévaloir d’un droit auquel la décision

entreprise aurait préjudicié, c’est-à-dire, d’un droit lésé. »

R. ODENT, Contentieux administratif, t. 1, op. cit., p. 999 ; B. PACTEAU, Traité de contentieux administratif,

op. cit., p. 552.

313 M.-C. ROUAULT, Contentieux administratif, op. cit., p. 537. « La tierce opposition est refusée chaque fois

que le jugement ne saurait en rien affecter la situation, les prérogatives ou privilèges de son auteur. »

314 Ibid., p. 540.

315 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, Domat droit public, 11e éd., 2004, p. 1262.

316 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, op. cit., p. 564.

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certains auteurs, on ne parle pas de lésion d’un droit, mais simplement d’intérêt (318). Selon Mme Rouault, le seul élément permettant de donner intérêt, dans le sens d’intérêt à agir, au tiers opposant est bien « une véritable violation d’un droit » (319), alors que M. Chapus relève, lui, une vision « extensive du « droit » lésé » (320), au point qu’il se pose la question suivante : « n’est-ce pas, en réalité, de la lésion d’un intérêt (pourvu qu’il soit bien établi) qu’il suffit

que le tiers opposant justifie ? » (321). Pour répondre à sa propre question, il relève le « lapsus

révélateur » (322), réalisé pas le Conseil d’Etat en admettant la recevabilité d’une tierce opposition pour un requérant qui avait « un intérêt direct et certain » (323). Par ailleurs, cette vision de la lésion d’un intérêt correspond à la vision qu’avait le Conseil d’Etat dans son arrêt

Ville de Cannes (324), mais aussi au droit civil actuel (325).

La dernière condition touche au délai. La tierce opposition peut être utilisée dans les deux mois suivants la notification de la décision de justice au futur tiers opposant. Cependant, si le tiers opposant n’a été ni partie, ni représenté et dans un sens plus général il n’a pas été appelé à l’instance, il parait illogique que la décision de justice lui soit notifiée. Dans le cas où

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