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Le droit d’accès au juge

Dans le document Le tiers en droit administratif (Page 169-172)

Conclusion de titre

Section 2 : Le tiers confronté à sa fonction

A. Recours effectif, droit au juge et droit d’accès au juge

3. Le droit d’accès au juge

Nous venons de définir les notions de droit à un recours effectif et de droit au juge. Il est alors nécessaire de réaliser le même travail concernant la notion de droit d’accès au juge. En effet, cette notion est particulièrement proche de la fonction du tiers : réguler l’accès au juge. Or nous devons définir indépendant ces deux notions afin de ne pas les confondre, notamment parce que l’une relève clairement du droit des libertés publiques, alors que l’autre ne constituerait qu’une pratique contentieuse, qui par ailleurs est dans l’obligation de respecter les libertés publiques. Il faut ainsi rappeler que le droit d’exercer un recours juridictionnel, en droit français, est considéré par le Conseil d’Etat comme un principe à valeur constitutionnelle (508).

Tout d’abord, le droit d’accès au juge peut être assimilé avec le droit d’agir en justice. En effet, ces deux droits poursuivent le même but : la saisine d’une juridiction et l’ouverture de l’instance (509). Le droit d’accès au juge peut se définir comme la possibilité laissée aux individus d’« être en mesure de soutenir sa cause devant un tribunal à même de l’entendre et

les droits et libertés fondamentaux sont méconnus, d’une part, de pouvoir saisir une juridiction, d’autre part, de pouvoir introduire un recours effectif contre toute mesure lui faisant grief. »

506 Ibid., p. 113. « Sous cet aspect, le droit au juge est encore très proche du droit d’agir en justice. »

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Ibid., p. 114. « Le droit au recours est approprié au droit lésé. »

508 CE, 29 juillet 1998, Syndicat des avocats de France, Rec. CE, p. 313, AJDA 1998, p. 1019, concl. Schwartz.

509 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, Domat droit public, 11e éd., 2004, p. 9.

« Le droit d’agir en justice, -ici considéré en tant qu’il se traduit par la saisine d’une juridiction administrative

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de statuer en toute objectivité » (510). Selon la conception européenne, ce droit d’accès qui dépend de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, doit être « effectif », c’est-à-dire que les individus ne doivent pas être empêchés d’exercer ce droit, que cela soit pour des raisons juridiques ou matérielles (511). Toutefois, ce propos doit être critiqué. En effet, l’article 6 fait parti des droits conditionnels. Ainsi l’Etat peut s’ingérer dans ce droit et le limiter à la condition de respecter les limites fixées par la Convention et la Cour européennes. Ainsi nous remarquons qu’il existe des obstacles à l’accès au juge tels que la complexité de la procédure, les délais à respecter qui peuvent être brefs, mais aussi des obstacles financiers comme l’obligation de représentation par un avocat (512

).

Le droit d’accès au juge peut aussi prendre l’appellation de droit à un tribunal selon la jurisprudence européenne. C’est ainsi que ce droit à un tribunal a été défini par la jurisprudence Golder : « le droit à un procès équitable recouvre d’abord, […], « le droit à un

tribunal », qui implique d’une manière générale le droit d’avoir accès concret et effectif à un tribunal » (513). Selon M. Sudre, ce droit d’accès au juge n’implique pas seulement la saisine de la juridiction, mais aussi sont obligation à statuer (514). Par ailleurs, la Cour européenne a une vision plutôt sévère concernant ce droit d’accès au tribunal. Elle a jugé qu’une interprétation déraisonnable, une application erronée d’une règle procédurale par le juge interne entraînant une irrecevabilité constituait une violation de l’article 6 (515

). Afin de donner sa pleine effectivité au droit d’accès au juge, la Cour prône un accès facilité à la justice dans les Etats membres (516). Cependant donner pleine effectivité au droit d’accès au

510 J.-L. AUTIN, C. RIBOT, Droit administratif général, Litec, 5e éd., 2007, p. 269.

511

J.-C. SOYER, M. de SALVIA, Commentaire de l’article 6, in L.-E. PETTITI, E. DECAUX, P.-H. IMBERT,

La Convention européenne des droits de l’Homme, commentaire article par article, op. cit., p. 258.

512 F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’Homme, op. cit., pp. 378-379.

513 Cour EDH, 21 février 1975, Golder c/ Royaume Uni, série A, n° 18, AFDI 1975, p. 330, note Pelloux, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

514 F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’Homme, op. cit., p. 379. « Le droit d’accès à

un tribunal implique le droit d’obtenir une décision motivée, tranchant définitivement le litige. » « L’effectivité de la décision de justice suppose pour les parties au procès le droit non seulement de présenter leurs arguments, mais aussi le droit d’être vraiment « entendues ». »

515

Cour EDH, 26 juillet 2007, Walchli c/ France, D. 2007, act., p. 2304, note Léna.

516 J.-F. RENUCCI, Le droit au juge dans la Convention européenne des droits de l’Homme, op. cit., p. 135.

« L’accès à la justice doit être facilité : le justiciable ne saurait être dissuadé, en particulier pour des raisons

matérielles. » Ici l’auteur fait principalement allusion à la nécessité d’instaurer dans les Etats membres

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juge ne signifie pas tout permettre. La Cours européenne pose elle-même certaines limites concernant l’examen, par elle-même, des allégations de violation de l’article 6 (517

), cela est aussi valable pour les autres articles issus de la Convention. Dans tous les cas, les seules limitent acceptables sont celles qui ne doivent pas « prive[r] le justiciable d’une possibilité

claire et concrète de soumettre sa contestation au juge » (518).

Toutefois, le droit français préfère prendre un fondement autre que celui de la Convention européenne pour poser les fondements du droit d’accès au juge. Le Conseil constitutionnel (519), et le Conseil d’Etat (520), se fondent sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (521

). Ce droit est qualifié de droit processuel fondamental (522). Le droit d’accès au juge est reconnu dans le droit français, il doit être respecté aussi bien par les juridictions de l’ordre judiciaire que celles de l’ordre administratif. D’ailleurs, l’article 30 du Nouveau code de procédure civile permet une définition du droit d’accès au juge (523

). Il « correspond à un droit d’être entendu par un juge, ce qui traduit l’idée d’un pouvoir

abstrait, virtuel de saisir le juge, droit qui préexistait à la demande » (524).

Dans la pratique contentieuse française, le droit d’accès au juge implique des limites qualifiées de « traditionnelles » (525). Il implique aussi son antagonisme : le droit de ne pas

517 Ibid., p. 135. « L’accès au juge européen est soumis à diverses conditions, outre les conditions tenant à

la recevabilité de la requête, à savoir le délais de 6 mois à compter de la décision interne définitive et l’épuisement des voies de recours internes, le droit au juge suppose, soit une contestation sur les droits et obligations de caractère civil, soit une accusation en matière pénale. »

518

N. FRICERO-BERNARDINI, Le droit au juge devant les juridictions civiles, in J. RIDEAU, Le droit au juge

dans l’Union Européenne, op. cit., p. 13. L’auteur se fonde sur l’arrêt : Cour EDH, 16 décembre 1992, Geouffre

de la Pradelle c/ France, série A, 253-B, RUDH 1993, p. 164, D. 1993, p. 562, note Benoit-Rohmer.

519 Conseil Constitutionnel, 96-373 DC, 9 avril 1996, Autonomie de la Polynésie française, AJDA 1996, p. 371,

chron. Schrameck.

520 CE, 21 décembre 2001, Hoffman, Rec. CE, p. 653, RFDA 2002, p. 1114, chron. Andriantsimbazovina

et Sermet.

521

« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs

déterminée, n'a point de Constitution. »

522

N. FRICERO-BERNARDINI, Le droit au juge devant les juridictions civiles, op. cit., p. 12. 523

« L'action est le droit, pour l'auteur d'une prétention, d'être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée. Pour l'adversaire, l'action est le droit de discuter le bien-fondé de cette prétention. »

524 N. FRICERO-BERNARDINI, Le droit au juge devant les juridictions civiles, op. cit., p. 12.

525 G. GUILLAUME, Conclusions, op. cit., p. 219. « Elles visent en premier lieu l’intérêt et la qualité à agir est

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agir. Il s’agit ici de l’allusion faite à la pratique du juge de refuser de connaître certaines requêtes, non en commettant un déni de justice, mais par la négation de l’intérêt à agir du requérant par exemple (526). Ainsi le droit d’accès au juge implique qu’« avant d’examiner au

fond la requête, le juge doit se prononcer sur sa recevabilité. Pour cela, il vérifie le contenu du mémoire introductif d’instance déposé dans le respect des délais ainsi que l’intérêt à agir des requérants » (527). De plus, « le juge adopte une conception extensive de l’intérêt à agir,

afin d’ouvrir le plus largement possible l’accès au prétoire ; mais reste présent le souci de ne pas provoquer une croissance excessive du contentieux entravant l’efficacité de l’action et de la justice administratives » (528), d’autant plus que « l’accès au prétoire administratif est très

aisé, dépourvu de formalisme et souvent peu onéreux » (529). Nous voyons apparaître ici la régulation de l’accès au juge.

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