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Comment devient-on tiers opposant ?

Dans le document Le tiers en droit administratif (Page 113-119)

Conclusion de chapitre

Section 1 : Le tiers dans la tierce opposition

A. Comment devient-on tiers opposant ?

Pour la tierce opposition, les choses sont simples dans un certain sens. En effet, nous devons prendre en compte deux catégories différentes de tiers opposants : ceux qui auraient dû être entendus à l’instance et les tiers. Or leur qualité de tiers opposant est obtenue de manière différente, cela impliquant certaines conséquences.

Considérons les personnes qui auraient dues être entendues à l’instance. Pourquoi peuvent-elles recevoir la qualité de tiers opposant ? Nous sommes en présence du cas le plus simple. Selon A. Heurté, « la tierce opposition vient alors sanctionner soit une négligence du

juge, soit un vice de procédure résultant de ce que le tribunal n’a pas été informé de l’existence de personnes qui auraient dû être présentes à l’instance et qu’il n’a pas le pouvoir parfois de mettre spontanément en cause ». D’ailleurs cet auteur donne plusieurs exemples de

ces négligences ou vices de procédure (368). Un autre exemple peut être donné, il est particulièrement illustrateur des négligences ou des vices de procédures pouvant être commis. Il s’agit de l’arrêt Ville de Bastia (369

). M. Chapus commente cette espèce : « le Tribunal

administratif a condamné, solidairement avec un entrepreneur, des architectes au profit de la

368 Ibid. « Ainsi, l’expert désigné par le Conseil d’Etat n’est pas partie au litige, mais il est recevable à se

pourvoir par la voie de la tierce opposition contre une décision du juge réduisant d’office ses honoraires (CE, 27 juin 1902, de Clerq et Bourgeois, D. 1903, III, 71). Il en est de même pour les médecins et pharmaciens

dont les mémoires ont été réduits par la commission de surveillance et de contrôle des soins gratuits aux mutilés ([…] CE, 9 décembre 1931, Cellier et autres, Rec. CE, p. 1094 […]), ou encore pour l’industriel qui, ayant obtenu l’autorisation d’ouvrir un établissement classé, apprend que l’arrêté préfectoral a été annulé sans qu’il

ait été invité à produire ses moyens de défense (CE, 24 mai 1933, Société acétylène dissous du Sud-Est, Rec. CE, p. 556). »

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ville de Bastia. Après quoi, les architectes n’ont pas été appelés (comme ils auraient dû l’être) à l’instance engagée devant le Conseil d’Etat et au terme de laquelle il a mis les indemnités dues à la ville à la charge exclusive des architectes. Il a été ainsi fait préjudice à leurs droits » (370). Ainsi des débiteurs engagés solidairement n’ont pas été entendus dans une instance supérieure. De même, dans l’arrêt Bureau Veritas (371), qui reconnaît la possibilité de former tierce opposition en matière de procédure d’urgence, le commissaire du gouvernement reconnaît lui-même le vice de procédure ayant exclu le bureau Veritas de la procédure initiale, objet de la tierce opposition formée (372).

M. Dubouchet synthétise, par une phrase simple, tout une partie des tiers opposants de la première catégorie, ceux qui n’ont pas pu être entendus pas le juge administratif. Selon cet auteur, il s’agit : « des personnes qui sont directement touchées par l’acte à la décision

d’annulation duquel elles font tierce opposition » (373

). Pour formuler cette phrase, il s’appuie sur l’article d’A. Heurté. En effet, A. Heurté y donnait plusieurs exemples d’espèces contentieuses. Il s’agissait de recours en excès de pouvoir où le bénéficiaire des actes administratifs positifs, c’est-à-dire accordant des droits, comme une nomination, formait tierce opposition puisqu’il n’avait pas été entendu dans l’instance contestant l’acte dont il était le bénéficiaire (374).

Quelles sont alors les conséquences issues de la confrontation de ces différents tiers opposants avec la notion de tiers ? Le tiers est une personne étrangère à un groupe ou une situation juridique. Le tiers opposant est lui, un étranger à une instance contentieuse. Pouvons-nous y voir un point commun ? La réponse est négative, car dans les espèces précitées, si le tiers opposant est étranger à une instance juridictionnelle, il n’est pas pour

370 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 1264.

371 CE Sect., 18 juin 1982, SA Bureau Veritas, Rec. CE, p. 240, concl. Biancarelli.

372 J. BIANCARELLI, concl. sur CE Sect., 18 juin 1982, SA Bureau Veritas, Rec. CE, p. 244. « […] uniquement

dû en l’espèce à une irrégularité de procédure commise par les premiers juges. »

373 P. DUBOUCHET, La tierce opposition en droit administratif, contribution à une théorie normative de l’institution, RDP 1990, p. 730.

374

A. HEURTHE, La tierce opposition en droit administratif, op. cit. « Cette voie de recours est ouverte au

bénéficiaire d’une réquisition qui a été annulée (CE, 28 avril 1948, Bollack, Rec. CE, p. 181, CE, 1er avril 1949, Poncet, Rec. CE, p. 166 […]), au lauréat d’un concours frappé de nullité par le juge (CE, 2 février 1941, Sandot, Rec. CE, p. 19 […]), à l’agent public dont la nomination a été annulée (CE, 16 juin 1943, Granoux, Rec. CE, p. 154), dès lors que ces personnes n’ont pas été entendues. »

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autant étranger à la situation juridique concernée ayant donné lieu au litige. Il suffit de reprendre l’exemple topique de l’arrêt Ville de Bastia (375

). Ainsi cette catégorie de tiers opposant ne devrait pas faire partie intégrante de la future notion de tiers.

En ce qui concerne la seconde catégorie, celle des tiers, elle est plus délicate à définir. Il faut déjà définir le type de recours contentieux à prendre en compte : il s’agit du recours en excès de pouvoir. Mais il faut alors « déterminer une catégorie limitée de tiers opposants en

puissance » (376) ; il va ainsi falloir réaliser un tri parmi les tiers. Quels sont les critères de détermination ? La tierce opposition, en ce qui concerne le tiers, doit rester relativement limitée. Le commissaire du gouvernement Rigaud alertait d’ailleurs sur le risque d’une trop grande ouverture de la procédure de tierce opposition, car cela nuirait à la stabilité et à la sécurité juridiques (377). Quelle est alors la solution ? Il faut renforcer les conditions de recevabilité de la tierce opposition, notamment en adoptant la solution d’E. Laferrière, c’est-à-dire ne considérer comme recevable que la lésion d’un droit et non celle d’un simple intérêt comme en ce qui concerne l’intervention (378

). Dans le cas contraire, nous nous retrouverions avec une liste illimitée de tiers opposant, nous obtiendrions quasiment : un administré égal un tiers opposant en puissance, donc tous les administrés pourraient avoir vocation à obtenir la qualification de tiers opposant (379). G. Jèze met en évidence, dans sa note sur l’arrêt

375 CE, 2 avril 1993, Ville de Bastia, op. cit.

376 A. HEURTHE, La tierce opposition en droit administratif, op. cit.

377 J. RIGAUD, concl. sur CE Ass., 9 octobre 1965, Veuve Béry, D. 1966, p. 107. « Une large ouverture du

prétoire, par le moyen de la tierce opposition, dans le contentieux de la légalité, ruinerait à coup sûr la stabilité des situations juridiques. »

378 E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, op. cit., p. 566.

« Mais, si l’on doit renoncer ici à l’idée d’une corrélation absolue entre l’intervention et la tierce opposition, il

n’en faut pas conclure que la tierce opposition n’est jamais recevable contre un arrêt prononçant l’annulation d’un acte administratif ; nous pensons au contraire que cette voie de recours est ouverte à ceux qui satisfont aux conditions requises par le droit commun, c’est-à-dire qui justifient que l’arrêt d’annulation « préjudicie à leurs droits ». »

379 Ibid, p. 565. « Or nous avons vu qu’en matière de recours pour excès de pouvoir, l’intervention est permise à

ceux qui justifient d’un simple intérêt, sans qu’ils aient besoin de se prévaloir d’un droit lésé ou menacé. L’extension ainsi donnée au droit d’intervention en matière d’excès de pouvoir ne s’aurait s’appliquer à la tierce opposition, et modifier les conditions légales de ce recours exceptionnel. S’il en était autrement, il n’y aurait presque pas d’arrêts prononçant une annulation pour excès de pouvoir qui ne pût être remis en question par une tierce opposition, car il n’y a presque pas d’actes administratifs au sort desquels quelque tiers ne puisse se dire intéressé. »

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Boussuge, ce problème du nombre potentiel de tiers opposants (380). En effet, la notion de « détenir un droit » peut, selon l’interprétation qui en est faite, conduire à ce propos : tous ceux qui ont le même droit peuvent contester par la tierce opposition le jugement annulant un acte administratif y afférant. Nous nous retrouverions dans une situation où potentiellement tout administré peut être ou est en puissance, un tiers opposant. Cela est forcément critiquable puisque la tierce opposition est censée être une procédure exceptionnelle, puisque portant atteinte à l’autorité absolue de chose jugée.

M. Chapus a une vision nuancée en la matière. Il relève que le tiers opposant est un tiers particulier qui se voit obtenir cette qualité en raison de la lésion de l’un de ses droits, il va ainsi pouvoir utiliser la tierce opposition pour protéger ses droits (381). Cependant il fournit un exemple où cette notion de droit lésé est interprétée de manière très extensive pour obtenir plus une « vocation à » qu’un droit. Il ne faut pas nier que la condition du droit lésé détermine

la qualification d’un tiers en tiers opposant. Nous proposons de traiter cette espèce. M. Chapus relate les faits de cet arrêt en ces termes : « sur recours de la mère d’un enfant

abandonné, et qui veut le reprendre, le tribunal administratif annule la décision ayant prononcé l’immatriculation de l’enfant comme pupille de l’Etat. La personne à qui il avait été confié (la « mère nourricière ») fait tierce opposition à ce jugement qui lui ôte toute possibilité de garder l’enfant et de réaliser le projet d’adoption qu’elle avait formé » (382

). Le commissaire du gouvernement Rigaud a rendu des conclusions particulièrement intéressantes sur cet arrêt (383). Il commence par expliquer pourquoi la requérante n’a été ni partie, ni représentée à l’instance initiale, pourquoi elle n’a pas été entendue : « l’assistance publique

qui s’incline devant ce jugement, avait soigneusement tenu à l’écart de la procédure la dame B., gardienne de l’enfant depuis déjà deux ans. Mais le 9 août 1962 elle lui notifie une copie du jugement, avec ordre de restituer l’enfant dans les quarante-huit heures » (384

). Le problème est que la requérante ne présentait pas de droit lésé, donc logiquement elle ne pouvait pas former tierce opposition. Toutefois, le commissaire du gouvernement ne s’arrête

380 G. JEZE, note sur CE, 29 novembre 1912, Boussuge, RDP 1913, p. 343.

381 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 1262. « Du fait de cette exigence, on peut dire

que la voie de la tierce opposition est réservée aux tiers qui auraient normalement dû être parties à une instance (en y intervenant ou en y étant appelés) ouverte entre d’autres, - parce que leurs droits se trouvaient en cause et afin d’en pouvoir assurer la défense. »

382 Ibid., p. 1264.

383 J. RIGAUD, concl. sur CE Ass., 9 octobre 1965, Veuve Béry, op. cit., p. 105.

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pas à ce constat et cherche à savoir si un intérêt serait suffisant tout en limitant l’accès à son prétoire (385). Deux solutions sont envisagées : soit nous prenons en compte les « vocations à », soit nous avons une vision large des droits lésés (386). La solution finalement retenue par le commissaire du gouvernement est la première : il faut prendre en compte les

« vocation à » (387). Ainsi le commissaire du gouvernement conclu sur la recevabilité de la tierce opposition formée (388), mais aussi à l’annulation du jugement

385

Ibid., p. 107. « Une large ouverture du prétoire, par le moyen de la tierce opposition, dans le contentieux de

la légalité, ruinerait à coup sûr la stabilité des situations juridiques. Il n’est pas admissible que quiconque a un simple intérêt à voir tomber un jugement rendu en son absence mais qui a en principe une autorité absolue à l’égard de tous, puisse combattre en tiers opposant. Aussi le juge et le législateur ont-ils exigé qu’on se prévale d’un droit lésé par le jugement entrepris. »

386 Ibid., p. 108. « Ainsi, bien souvent, le droit lésé s’apparente-t-il en matière de tierce opposition dans le

recours pour excès de pouvoir, à une vocation légale, fondée sur un texte général et reconnue dans un cas particulier, soit par une décision de l’Administration, soit en raison d’une situation de fait. En outre, cette vocation légale ne résulte pas nécessairement de l’acte annulé par le jugement frappé de tierce opposition

[CE Sect., 8 juillet 1955, Ville de Vichy, Rec. CE, p. 396, D. 1956, somm. 64], mais elle est froissée, contredite

par l’annulation de cet acte. » En ce qui concerne l’espèce, la requérante aurait alors une « vocation à » : « car il est bien vrai que l’annulation de l’immatriculation ruine absolument la vocation légale de la requérante à devenir la mère adoptive de l’enfant ».

« Que si, toutefois, il vous semble Messieurs, qu’en l’état actuel de votre jurisprudence, la dame B. ne justifie

pas d’un véritable droit, nous n’hésitons pas alors à vous demander d’étendre un peu le sens que vous donnez à ce terme dans le domaine de la tierce opposition. » « Notre mémoire s’attache encore aux conclusions de Léon Blum, qui voyait que, dans un litige relatif à un acte individuel, la tierce opposition recouvre en fait un véritable conflit d’intérêts, dans lequel il importe de ne pas laisser désarmé l’un des antagonistes », p. 108.

387 Ibid., p. 108. « Mais il existe des situations qui ne sont pas seulement concernées en puissance ou

virtuellement par un jugement rendu sur recours pour excès de pouvoir. Il est des cas où une vocation légale s’est trouvée concrétisée, reconnue ou consacrée, soit par une situation de fait, soit par une décision ou une attitude de l’administration dans des conditions telles qu’un jugement rendu en dehors de la présence de l’intéressé contrarie directement cette vocation. En d’autres termes, l’effet absolu d’une annulation contentieuse peut atteindre non seulement la nébuleuse des intérêts en puissance, mais un intérêt actuel et reconnu, plus ou moins près de devenir un droit. »

388 Ibid., p. 108. « Nous pensons en définitive qu’un intérêt légalement fondé et déjà reconnu directement ou

indirectement, par une décision de l’Administration, rend recevable la tierce opposition contre un jugement, dès lors que l’effet de ce jugement est de ruiner absolument la vocation légale du tiers opposant. » « Nous pensons que la situation de la gardienne connaît une sorte de cristallisation juridique, que son intérêt, de potentiel, devient actuel, qu’elle acquiert une vocation légale fondée et administrativement consacrée à être autre chose qu’une gardienne précaire et qu’elle peut faire valoir contre un jugement annulant l’immatriculation, qui ruine

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initial (389). Le Conseil d’Etat suit les conclusions de son commissaire du gouvernement (390 ). M. Chapus met en valeur l’absence de droit lésé dans cette espèce (391). D’ailleurs, il donne des exemples de ce que pourrait être des « vocations à » (392). Nous nous retrouvons alors avec une notion de droits lésés qui sera propre à la procédure de tierce opposition en droit administratif. Finalement, dans cette espèce, sommes-nous en présence d’un tiers ? En réalité, la réponse est négative, puisque la requérante aurait dû être appelée à l’instance. Nous nous retrouvons, de nouveau, dans la première catégorie de tiers opposant.

Un dernier exemple doit être donné, il s’agit de l’arrêt Ville de Vichy (393

). Reprenons le commentaire de M. Dubouchet sur cet arrêt : « il faut reconnaître que l’admission de la

tierce opposition à une décision annulant un acte règlementaire est relativement rare. En tout cas, la réussite au fond de la tierce opposition à une telle décision est rarissime. La seule décision allant dans ce sens est l’arrêt Ville de Vichy du 8 juillet 1955 dans lequel le Conseil d’Etat admet la tierce opposition formée par une commune à un arrêt annulant deux arrêtés préfectoraux approuvant deux délibérations de son conseil municipal concernant la « réorganisation des services d’assistance de la commune » » (394). Ainsi la satisfaction au fond d’une procédure de tierce opposition à l’encontre d’un acte réglementaire est exceptionnelle. Par ailleurs, cet arrêt biaise le résultat obtenu. En l’espèce, la commune n’était pas un tiers, mais l’auteur des délibérations initiales. Ainsi nous nous retrouvons dans le cas cité précédemment les tiers opposants sont des personnes n’ayant pas été entendues par le

sa vocation d’adoptante, un véritable droit lésé, au sens de la tierce opposition », pp. 108-109. Souligné par

nous.

389

Ibid., p. 112.

390 CE Ass., 9 octobre 1965, Veuve Béry, Rec. CE, p. 565, D. 1966, p. 105, concl. Rigaud, RDP 1966, p. 151,

note Waline.

391 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., p. 1264. « On ne peut pas considérer que ce

jugement porte atteinte à un droit lui appartenant : il n’existe aucun lien de droit entre elle et l’enfant et, aux

termes du contrat qui la lie à l’administration, celle-ci peut lui en retirer la garde à tout moment. » « Malgré la précarité de la situation de la mère nourricière, le Conseil d’Etat juge que l’annulation qui a été prononcée

doit être regardée comme préjudiciant à ses droits. »

392 Ibid., p. 1264. « En réalité, la requérante avait seulement une « vocation » à l’adoption, dont la procédure

avait été entamée, de l’enfant (comparable à ce que peut être la vocation des agents publics stagiaires à être titularisés comme fonctionnaires). »

393 CE Sect., 8 juillet 1955, Ville de Vichy, Rec. CE, p. 396, D. 1956, somm. 64.

394 P. DUBOUCHET, La tierce opposition en droit administratif, contribution à une théorie normative de l’institution, op. cit., p. 743.

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juge administratif alors qu’elles étaient directement touchées par l’acte initial, en l’espèce, la requérante en était l’auteur.

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