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Le cercle générateur et la notion de tiers

Dans le document Le tiers en droit administratif (Page 195-200)

Conclusion de titre

Section 1 : Le cercle générateur

A. Rapport de droit

II. Le cercle générateur et la notion de tiers

Après avoir étudié les notions de rapport de droit et d’opposabilité, nous pouvons envisager le cercle générateur et son apport en tant que critère de détermination du tiers. La notion de cercle générateur est utilisée par M. Duclos, même s’il utilise cette notion de manière plutôt discrète (578). Il n’en reste pas moins qu’il en utilise plus fortement l’image. Pour élaborer ce cercle générateur, il s’est inspiré de deux anciens auteurs qui eux, utilisaient la notion de « sphère juridique de l’initiative agissante » (579).

Reprenons la définition donnée du cercle générateur par M. Duclos. Il faut « imaginer

un cercle dont la circonférence délimite, en deçà et au-delà, deux types de rapport juridique. L’intérieur représente le domaine de l’effet direct : il concerne les personnes directement en relation avec l’élément juridique considéré, et que l’on peut donc appeler globalement les « acteurs directs » ou « sujets directs ». […] A l’extérieur du cercle symboliquement tracé, se

576 Ibid., p. 30. « La connaissance par les tiers des éléments juridiques représente indubitablement la clef de

voûte de la mise en œuvre de l’opposabilité aux tiers (et pas les acteurs directs). »

577 M. LEVIS, L’opposabilité du droit réel, De la sanction judiciaire des droits, Economica, Droit privé, 1989,

p. 17. « […] exprimant la possibilité d’opposer un droit, la virtualité d’une opposition, elle implique au moins

un contentieux latent. » Dans son étude de l’opposabilité des droits réels, il met en lumière l’« analyse qui met l’accent sur la sanction du droit comme élément essentiel de son opposabilité […] de ne faire apparaître le droit réel que lorsqu’il y est porté atteinte », p. 124.

578 J. DUCLOS, L’opposabilité. Essai d’une théorie générale, op. cit., p. 22. « […] isoler un cercle générateur »

579 G. RIPERT, M. TEISSEIRE, Essai d’une théorie de l’enrichissement sans cause en droit civil français,

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développe le rapport juridique indirect, domaine spécifique de l’opposabilité, laquelle en conséquence intéresse ceux qui ne sont pas acteurs directs, c’est-à-dire les tiers » (580

). Ainsi la particularité de ce cercle générateur est de donner des sujets au cercle, des sujets qui vont interagir ou non au sein de ce cercle. Ces sujets regroupent deux catégories différentes sur lesquelles le cercle produira différents effets. Ces deux catégories sont les acteurs au rapport de droit qui sont alors qualifiés de sujets actifs, et les tiers qui sont, eux, qualifiés de sujets passifs (581). De plus, M. Duclos donne une définition du tiers, ainsi qu’une explication de cet état : « en matière d’opposabilité […] toute personne étrangère au cercle d’activité directe

d’un élément donné doit être qualifiée de tiers. Cette « extranéité » peut s’expliquer par le défaut de participation de cette personne à la création de l’élément opposé, et plus généralement par la structure particulière de ce dernier » (582).

Afin de déterminer le protocole de détermination du tiers, nous proposons de retenir ce critère du cercle générateur et ainsi d’appliquer la théorie de M. Duclos au droit administratif. Il convient de reprendre les caractéristiques composant ce cercle. Le cercle générateur est composé d’un objet, des sujets actifs et passifs présents dans la notion d’opposabilité, et d’effets qui à la différence des effets de l’opposabilité, sont doubles.

Le cercle générateur est constitué d’un objet. Cet objet est de nature diverse : faits ou actes juridiques. L’objet du cercle générateur est le rapport de droit, qui doit, en ce qui nous concerne, être un rapport de droit public. C’est à partir de ce rapport de droit que le cercle va se dessiner. Si cet objet n’existait pas, le cercle n’aurait aucune raison d’être. Le cercle tracé autour de ce rapport de droit a pour but d’isoler la nouvelle situation juridique créée par le rapport de droit. Il ne s’agit pas d’un isolement dans le sens d’une mise à l’écart de la situation juridique. Il s’agit, tout simplement, de séparer les situations juridiques les unes des autres afin de ne pas les confondre entre elles. Isoler une situation juridique par la création du cercle générateur permet de mieux appréhender cette situation et ainsi de pouvoir définir efficacement les effets qui sont produits par ce cercle.

Le cercle générateur est composé de deux types différents de sujets : il s’agit des sujets actifs et des sujets passifs. Il s’agit des mêmes sujets qu’en ce qui concerne la définition de

580 J. DUCLOS, L’opposabilité. Essai d’une théorie générale, op. cit., p. 23.

581 Ibid., p. 24. « Les acteurs directs et les tiers sont les sujets actifs et passifs de l’opposabilité. »

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l’opposabilité. Mais il convient de développer ce point. Les sujets actifs sont les personnes qui ont pris part à l’objet du cercle générateur : le rapport de droit. Ces sujets actifs sont les personnes qui ont créées la nouvelle situation juridique illustrée par le cercle générateur. Il faut caractériser ces sujets actifs au niveau du droit administratif. Si le rapport de droit est un fait juridique, celui qui en est l’auteur ou celui qui en subi les effets doit être une personne morale de droit public. Il est tout simplement nécessaire que l’un des sujets actifs soit une personne publique ou alors une personne de droit privée mais qui relèverait de la compétence du juge administratif en raison des cas particuliers énumérés par la jurisprudence. Si le rapport de droit est issu d’un acte juridique, nous serons devant trois types différents de couples-sujets actifs (583). Si l’acte juridique est un contrat, le couple de sujets actifs est constitué par les cocontractants. Si l’acte juridique est un acte administratif unilatéral, alors les sujets actifs sont un couple auteur de l’acte / destinataire de l’acte. Par exemple, si l’acte administratif est un permis de construire, le couple de sujets actifs est constitué par la personne publique auteur de l’acte, la commune, et par le destinataire du permis de construire, le propriétaire. Enfin, si l’acte juridique est une décision de justice, les sujets actifs sont le couple formé par les parties au litige. Par exemple, dans un litige touchant un problème de responsabilité administrative, le couple de sujets actifs est constitué par la personne publique auteur du dommage et par la victime ayant subi ce dommage, ce couple étant lié par la décision de justice rendue. Or il en va de même en ce qui concerne les sujets actifs à un rapport de droit formé par un fait juridique, les sujets actifs à un rapport de droit formé par un fait juridique quel qu’il soit, doivent au moins compter une personne publique en leur sein. En réalité, la présence d’au moins une personne publique ou d’une personne privée « assimilée » à une personne publique vient du fait qu’ici, nous ne prenons en considération que les rapports de droit régis par le droit administratif. Cela implique la présence d’une personne publique au sein des sujets actifs du cercle générateur.

Le second type de sujets du cercle générateur est constitué par les sujets passifs. Le fait de considérer le cercle générateur comme un critère de détermination du tiers prend alors tout son sens. Les sujets passifs sont les personnes qui n’ont pas pris part au rapport de droit

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Nous utilisons le terme de « couple », ce qui signifie l’implication de deux personnes. Cependant nous ne concevons pas cette expression de manière aussi restrictive. Nous prenons en considération le fait que nous sommes en présence de deux personnes au minimum, donc nous sommes forcément en présence d’un couple. Le vocable utilisé ne doit pas faire obstacle à la réalité des faits : les sujets actifs seront généralement plus de deux personnes.

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ou plus précisément, qui ne sont pas liés par le rapport de droit. Si le cercle générateur isole la situation juridique créée par le rapport de droit, alors les sujets passifs seront en dehors de ce cercle. Cela signifie que ce sont des personnes extérieures au cercle. Cela rappelle le postulat de base du tiers : un tiers est une personne extérieure ou étrangère à un groupe ou à une situation juridique. Ainsi les sujets passifs sont des tiers. Il s’agit, par exemple, des voisins d’un propriétaire ayant obtenu un permis de construire, de l’entourage d’une victime de dommages causés par une personne publique… La détermination précise du cercle générateur permet au final de déterminer les tiers. Cependant ce n’est pas parce qu’ils sont tiers et donc extérieurs au cercle générateur, qu’ils n’en subissent aucun effet.

Le cercle générateur produit deux types différents d’effets. Il s’agit de l’effet direct et de l’effet indirect. C’est en cela que le cercle générateur est différent de la seule opposabilité qui ne compte qu’un seul effet : l’effet indirect par l’obligation d’inviolabilité. L’effet direct du cercle générateur doit être défini. Il s’agit tout simplement des effets inhérents au rapport de droit, objet du cercle générateur. L’effet direct correspond aux effets que produit le rapport de droit. Ces effets atteignent uniquement les sujets actifs du cercle générateur. Par exemple, si le rapport de droit implique une obligation de faire caractérisant ainsi un créancier et un débiteur de cette obligation, les sujets actifs du cercle générateur prennent alors ces qualifications de créancier et de débiteur, et doivent respecter l’obligation de faire / objet du cercle générateur. La caractéristique de l’effet direct est qu’il ne peut avoir d’effets que sur les sujets actifs du cercle, par principe, eux seuls sont atteints. En effet, les sujets passifs du cercle générateur sont, eux, atteints par l’effet indirect du cercle générateur. Cet effet indirect est exactement le même que celui de l’opposabilité. En réalité, le cercle générateur produit un effet direct sur les sujets actifs, nous venons de l’expliquer. Ce cercle générateur a pour but de protéger ces sujets actifs de l’intervention des sujets passifs dans le rapport de droit constitué. C’est pour cette raison que le rapport de droit est opposable aux sujets passifs du cercle. Cette opposabilité s’exprime par l’effet indirect : les sujets passifs ne sont pas obligés par le rapport de droit en cause, cependant pèse sur eux l’obligation d’inviolabilité qui constitue l’effet indirect du cercle générateur. Par l’effet indirect et donc l’obligation d’inviolabilité, le cercle générateur permet aux sujets actifs d’être libres dans leurs engagements réciproques, dans leur rapport de droit, mais il protège aussi les sujets passifs, car ils ne pourront pas être obligés par le rapport de droit, ils ne devront que respecter l’obligation d’inviolabilité.

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Si nous suivons ce principe, la notion de tiers n’a pas d’intérêt. En effet, le cercle générateur et l’obligation d’inviolabilité sont censés empêcher toute intrusion des sujets passifs dans le cercle générateur. Dans un tel cas, la notion de tiers n’a que peu d’intérêt puisqu’ils ne seront jamais en relation avec les sujets actifs. Ces tiers ne seraient censés qu’observer le rapport de droit et rester totalement extérieurs, totalement étrangers. Ainsi aucun contentieux ne devrait faire intervenir des tiers puisqu’ils respecteraient complètement l’obligation d’inviolabilité. La notion de tiers serait, dans un tel cas, inutile à la doctrine et aux praticiens puisqu’elle ne fournirait aucun contentieux étudiable. Cette vision des choses parait improbable en droit administratif. En effet, un acte administratif unilatéral édicté, un contrat établi, une décision de justice rendue peuvent potentiellement toucher un ou plusieurs administrés. Les personnes publiques imposent en raison de leur obligation de satisfaire l’intérêt général. Ainsi lorsqu’une personne publique est impliquée dans un fait ou un acte juridique, potentiellement cela peut atteindre, même de manière indirecte, les sujets passifs, ce qui les conduit à passer outre l’obligation d’inviolabilité.

Le contentieux administratif démontre que la notion de tiers a un intérêt puisque les tiers, les sujets passifs ne respectent pas forcément l’obligation d’inviolabilité. Il est vrai que dans la majorité des cas, les sujets passifs vont respecter le cercle générateur, ils ne vont pas intervenir dans le rapport de droit. Dans une telle configuration, il n’existe aucun contentieux concernant l’intervention des tiers par le simple fait, qu’ils respectent l’obligation d’inviolabilité, ils respectent l’opposabilité imposée par le rapport de droit. Cependant, les sujets passifs peuvent interagir avec le cercle générateur, les tiers peuvent intervenir dans le cercle générateur donnant lieu à des contentieux. Logiquement, en raison du non respect de l’obligation d’inviolabilité, les tiers devraient être sanctionnés. La réalité contentieuse démontre que cette intervention prend généralement la forme d’un recours contentieux contestant le rapport de droit liant les sujets actifs. Or à la différence de ce qui se passe en droit civil, où les sujets passifs sont sanctionnés par la mise en jeu de leur responsabilité délictuelle (584), le juge administratif propose une autre solution à cette intervention. En effet, si l’intervention des sujets passifs paraît injustifiée, alors il se contente de déclarer la requête irrecevable. Par contre, si la demande des sujets passifs trouve une justification, alors il

584 J. GHESTIN, M. BILLIAU, C. JAMIN, Traité de droit civil, Les effets du contrat, op. cit., p. 777.

« L’opposabilité se traduit vis à vis des tiers par une obligation de ne pas faire, sanctionnée par

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acceptera d’en connaître et jugera l’affaire en cause. Nous retrouvons ici l’intérêt de la notion de tiers : sa fonction, c’est-à-dire réguler l’accès au prétoire du juge administratif.

Ces développements ont permis de mettre en lumière l’importance de la notion de cercle générateur dans la détermination du tiers et dans l’élaboration de sa notion. Nous restons en réalité avec une définition assez large du tiers : il s’agit d’une personne extérieure, d’une personne étrangère à un groupe ou à une situation juridique. Cependant la notion de cercle générateur permet de donner un protocole de détermination du tiers particulièrement efficace. Le protocole de détermination commence donc par l’identification de la situation juridique en cause ; il s’agit d’une situation juridique dans un cadre contentieux. Il faut en déduire un rapport de droit, ainsi que sa nature, afin de délimiter les domaines contentieux et le droit administratif spécifique à appliquer. Reste alors à délimiter les sujets actifs des sujets passifs, les tiers. Il est des contentieux où cela sera simple à réaliser, mais dans d’autres cas, délimiter les sujets actifs des sujets passifs restera délicat, notamment dans les cas où les débiteurs d’une obligation imposée par la personne publique, ne sont pas identifiés, mais identifiables, comme par exemple, les obligations imposées par des actes administratifs réglementaires. Au final, nous obtenons, pour une situation juridique donnée, les différents éléments constituant le cercle générateur qui seront alors délimités et ainsi plus aisés à traiter. Les sujets passifs, les tiers pourront alors être étudiés dans leurs interactions avec le cercle générateur.

Toutefois, ce protocole de détermination a une lacune. En effet, ce protocole ne prend pas en compte l’élément temporel dans la détermination du tiers. Or nous allons nous apercevoir que cet élément temporel fait parti des critères de détermination du tiers, puisqu’en fonction de cet élément, un tiers peut se voir reconnaître ou non la qualification de tiers.

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