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RENTIÈRE À LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

134 b) The structural power of Qatar

Issu de l’étude de l’économie politique internationale pour désigner la capacité d’un acteur à influencer et à modeler les structures de l’économie politique globale — affectant les entreprises et les institutions politiques notamment — le concept de pouvoir structurel renvoi à l’élaboration d’une politique pour un État au sein d’un cadre immatériel façonné par une puissance structurelle dominante. En d’autres termes, le pouvoir structurel :

« […] is the power to shape and determine the structure of the global political economy within other states, their political institutions, their economic enterprises and (not least) their scientists and other professional people have to operate.»545

Le pouvoir structurel s’oppose alors à la deuxième source de pouvoir de type relationnel, au sens wébérien, qui se comprend comme la capacité pour un État à faire prévaloir ses décisions quand bien même celles-ci s’opposeraient aux volontés d’un autre acteur. « Relational power, as conventionally described by realist writers of textbook on international relations, in the power of A to get to B to do something they would not otherwise do »546

, explique Susan Strange.

Il faut reconnaître cependant que la démarche entreprise par Susan Strange montre que la puissance exercée par les États-Unis n’en était pas venue à disparaître mais que celle-ci s’était transmuée à la faveur d’une redéfinition de la puissance. Au même titre que Joseph Nye, donc, le concept de puissance structurelle vient à renouveler en profondeur l’approche de la puissance ouvrant la voie à plusieurs autres hypothèses, du Third face of power de Stephen Lukes547

, au Structural power et du Productive power développés par Michael Barnett et Raymond Duvall548 en passant par le Meta-Power érigé par Stephen Krasner549

. L’ensemble des approches susmentionnées, en dépit de leurs particularités, partagent la même compréhension du terme de structure comme un cadre dans lequel les acteurs agissent et à ce titre peuvent directement ou indirectement l’influencer : ce qui vient conditionner par la même la nature des relations entre les acteurs. Pour Susan Strange toutefois, la capacité d’influence d’un acteur

545 STRANGE Susan, States and Markets : An Introduction to International Political Economy, Pinter, Londres, 1988, pp 24-25.

546 Ibid.

547 LUKES Stephen, Power : A radical View, Basingstoke : Macmillan, 2nd Edition, 2005.

548 BARNETT Michael, DUVALL Raymond, Power in Global Governance, Cambridge Studies in International Relations, Cambridge University Press, 2005.

549 KRASNER Stephen D : Structural conflict : The Third World against global liberalism. Berkley: University of California Press, 1985.

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reste déterminée par quatre structures fondamentalesnon-hiérarchiques550

qui demeurent en interaction constante : la production, la finance, la connaissance et la sécurité551

.

La structure de production correspond à la capacité à déterminer, à guider ou à conduire des activités visant à accroître la prospérité552

. Celle-ci reste donc principalement orientée vers les capacités des entreprises nationales à créer de la richesse.

La structure financière se définit comme la capacité à exercer une influence sur le marché mondial de la finance.

La structure de la connaissance se caractérise par l’habilité d’une part à stoker les informations liées aux différents savoirs, idéologies ou croyances, et, d’autre part, à être en mesure d’exercer une influence sur ceux-ci.

La structure de sécurité, enfin, se définit comme le potentiel d’un acteur à pouvoir assurer lui-même sa sécurité, mais également à être en mesure de fournir à d’autres acteurs une protection lorsque ceux-ci sont menacés dans leur sécurité.

Lorsque l’on vient sonder les composants de la puissance structurelle du Qatar à la lumière des quatre structures définies par Susan Strange, il nous apparaît alors que le poids de l’émirat dans ce domaine est inversement proportionnel à la petite taille de son territoire.

 1) Sur le plan de la production, comme nous nous sommes attachés à le montrer dans les développements précédents avec un PIB doté à hauteur de 206.25 milliards de dollars en 2014, un PIB par habitant de 105 000 dollars et un taux de croissance annuel estimé à 16 % en 2010— et bien que celui-ci soit redescendu à 4.7 % cinq années plus tard— traduisent une force économique certaine. Comme nous l’avons noté, celle-ci résulte en majeure partie de l’extraction des hydrocarbures— qui représentent encore 92 % des exportations et 80 % des recettes budgétaires553

.

 2) Sur le plan financier, la création en 2005 du fonds d’investissement—QIA— et- la stratégie multidirectionnelle mise en œuvre dans les différents secteurs de

550 Les quatre structures fondamentales de Susan Strange sont complétées par quatre autres structures secondaires qui ont trait respectivement au transport, à l’énergie, au commerce et au bien-être. Voir STRANGE Susan, op. cit.. p. 139.

551 Sur cette question nous pouvons consulter : STORY, JAQUET Christophe, Le système mondial de Susan Strange, dans: Politique étrangère, n°2 - 2001 – 66 ᵉannée. pp. 433-447.

552 Sur ce point voir, BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, Les Presses de Sciences Po, 4e édition, 2012, p 506.

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l’industrie, de l’éducation mais surtout de la finance— islamique entre autres— ont grandement participé à renforcer les capacités financières de l’émirat en dehors des revenus issus de la rente.

 3) Pour ce qui est des structures de savoir, nous avons montré que la politique de modernisation de l’émirat s’est engagée en faveur d’investissements massifs dans le domaine éducatif ainsi que celui de l’innovation technologique dont la cité de l’Éducation (Education city) ainsi que le Qatar Science technologie Park constituent les pièces maitresses.

 3) Enfin, dans le domaine des structures de sécurité, nos recherches ont montré que les politiques entreprises par l’émir Hamad ben Khalifa AL Thani s’étaient principalement orientées vers l’amélioration des conditions de sécurité de l’émirat qui constitue l’objectif premier du micro-État : à la fois à travers la fondation d’un réseau d’alliances sécuritaires avec plusieurs grandes puissances occidentales et notamment l’acquisition du parapluie militaire américain, mais également en orientant ses politiques d’investissement à l’étranger afin de garantir au plus vite sa sécurité et son indépendance alimentaire. Cette structure demeure toutefois largement défaillante pour le Qatar.

Il advient ainsi que selon l’approche donnée par Susan Strange, nous pouvons avancer que la nature de la puissance qatarie relève moins de la capacité de séduction de celle- ci que de la puissance structurelle de ses capacités financières, des structures de savoir et de sa capacité de production qui constituent la véritable base de représentation et de conduite de la politique étrangère du micro-État. En attribuant l’avènement récent du Qatar sur la scène régionale et internationale à la capacité de rayonnement et le pouvoir de séduction de l’émirat, les partisans de la lecture d’une puissance douce qatarie — soft power, smart power et subtle power— se contentent d’appréhender la « façade modernisatrice » relayée par les institutions de l’émirat, alors que celle-ci ne permet pas de rendre compte de manière suffisante de la représentation du type de puissance acquise et exercée par le Qatar.

En ce sens, la puissance structurelle dont s’est doté le Qatar en associant ses perspectives économiques à la conduite de sa politique étrangère à travers sa diplomatie économique représente à la fois un moyen de renforcement, de préservation et d’évaluation de sa puissance.

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Il nous apparaît en somme que la capacité de l’émirat du Qatar à pouvoir façonner son environnement international est déterminée par la diplomatie économique qui constitue un des piliers de sa stratégie de maximisation de puissance. L’analyse de l’économie politique internationale (EPI) offre des outils et des moyens assez variés pour interroger la dynamique que supposent l’accumulation de richesse et la poursuite de puissance pour un État.

Tout d’abord, en ce qu’elle permet de questionner la dimension prise par la diplomatie économique du micro-État dans sa conquête de puissance destinée, rappelons-le, à conjurer un rapport de force défavorable sur la scène internationale. Nous avons évoqué notamment l’influence que pouvait exercer l’environnement économique international sur les pratiques d’une nouvelle diplomatie économique à l’heure de l’épuisement annoncé des réserves d’hydrocarbures. Au cours des années 1990, l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani continue de faire reposer le développement économique de l’émirat sur les instruments classiques à disposition des États rentiers. Alors même que la plupart des autres États dans une configuration similaire à celle du Qatar opèrent un virage stratégique majeur vers la diversification de leur économie. Doha, vient quant à elle à engranger un maximum de richesses misant sur les nouvelles technologies d’extraction du gaz, afin de doter son fonds d’investissement souverain, bras financier de sa stratégie de diversification, de ressources considérables pour son action. Au final, nous avons assisté au cours du règne de l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani à une multiplication des organes (institutionnels, administratifs, etc), dans le but de répondre à la complexification croissante des enjeux liés à l’environnement économique international.

L’environnement économique international fait également évoluer la stratégie de politique étrangère vers celle d’une diplomatie économique. Un rapprochement entre les différentes phases des stratégies de politique étrangère développées par le Qatar, qu’il soit question de la politique de médiation ou encore celle développée au cours du printemps arabe, et le déploiement de la stratégie de diplomatie économique dans ces mêmes zones, semble éloquent à cet égard. Une rapide chronologie confrontant ces deux stratégies— diplomatique et économique— laisse entrevoir sans aucune ambiguïté l’association à dessein de ces deux stratégies.

Dès lors, nous avons déterminé qu’à la question de savoir si c’était la stratégie de politique étrangère qui influençait l’environnement international ou l’inverse, aucune des deux réponses n’étaient satisfaisantes. Il s’agissait des deux. Pour le comprendre, nous avons montré

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que la diplomatie économique était liée à l’influence de l’environnement économique international et celle de la stratégie de politique étrangère par la recherche de maximisation de la puissance structurelle du micro-État. La diplomatie économique de l’émirat, qui associe donc les stratégies économiques à celles de politiques étrangères, est mise au service de l’objectif de sécurité et d’indépendance à travers par exemple la fondation d’une Alliance des pays désertiques, mais aussi celle de la stratégie de puissance du micro-État comme en témoigne la mobilisation de la finance islamique, ressource symbole de la modernité musulmane dans la sphère économique.

Sur plusieurs points, la diffusion des sources de pouvoirs traditionnelles au profit des structures du pouvoir de la nouvelle économie internationale a été profitable à l’élaboration et à la pratique de la politique étrangère du Qatar. Plus que la mobilisation d’un soft power qatari, la vision d’une puissance structurelle—structural power— acquise par le micro-État semble caractériser au mieux l’utilisation de la force économique dans sa stratégie globale de politique étrangère.

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