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RESSOURCE AU DÉVELOPPEMENT DE LA PUISSANCE DES PAYS DU C ONSEIL DE C OOPÉRATION DU G OLFE

100 c) La révolution avortée au Bahreïn

En février 2011, l’émirat du Bahreïn fut à son tour touché par une vague de protestations415

. La révolution bahreïnie comportait toutefois la particularité de voir naître une contestation aux contours communautaires par le soulèvement de population chiite de l’émirat416

. Le Qatar ainsi que les autres membres du CCG furent directement impliqués dans la résolution de la crise qui agita Manama. Le 19 mars 2011, à la demande de la famille royale, le Bouclier de la Peninsule (The Peninsula Shield Force), la composante militaire du CCG, est venu en aide à l’armée bahreïnie afin de rétablir l’ordre. Pour la première fois depuis la création du CCG, des troupes de l’organisation allaient intervenir sur le territoire d’un des États membres. Et bien que le discours officiel prononcé depuis Riyad expliquât que l’intervention avait pour objectif d’assurer la protection des infrastructures stratégiques (notamment celles liées à l’extraction des hydrocarbures), le renforcement de la présence policière sur la place de la Perle (aujourd’hui détruite) et les exactions rapportées par la presse internationale417

, ne pouvaient laisser de doute sur la volonté répressive de l’intervention de la coalition du Golfe.

La position du Qatar devenait alors paradoxale : comment expliquer la différence de traitement ? À ce questionnement, le Premier ministre qatari répondit

« We believe that in order for dialogue to succeed, we have to defuse this tension through the withdrawal of all from the street. »418.

Si la participation des forces qataries se comprend à la lumière des obligations résultantes de son engagement au sein de la force militaire de la péninsule, ici la position prise par Doha éclaire trois autres considérations.

La première tient de la proximité géographique de la contestation. En ce sens, l’engagement du Qatar sur des territoires éloignés, en Afrique de Nord ou au Levant, apparaît bien moins menaçant que la déstabilisation d’un territoire situé à moins de cinquante kilomètres des frontières du Qatar. La deuxième considération renvoie à l’identité chiite des manifestants au Bahreïn. Si les autres mouvements de protestation des révolutions arabes dans

415 Voir: The Political Situation in Bahrein One Year After The Independent Commission of Inquiry, iBrooking Doha Center, 28 November 2012; mais aussi, FRIEDMAN Brandon, Batlle for Bahrain: What one uprising

meant for the Gulf states and Iran, World Affairs, March/April 2012.

416 Sur ce point nous consulterons avec attention : GENGLER Justin, Bahrein : a special case ? , dans What does the gulf think about the arab awakening?, European Concil on Foreign Relations, Gulf Analysis,

disponible à l’adresse suivante: http://www.ecfr.eu/page/-/ECFR75_GULF_ANALYSIS_AW.pdf

417 BRONNER Ethan and SLACKMAN, Saudi Troops Enter Bahrain to Put Down Unrest, New York Times, 14 Mars 2011.

418 Al Jazeera Faces Tough Questions as Doha Backs Saudi Troops in Bahrain, Los Angeles Times, March 15, 2011.

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lesquels le Qatar a cherché à développer son influence ont vu le pouvoir galvanisé par des organes sunnites, la répression des chiites bahreïnies indique que l’argumentaire développé par Doha selon lequel sa participation aux révolutions arabes répondrait à une vocation humaniste tient davantage de la rhétorique. Enfin, la troisième considération confirme notre hypothèse selon laquelle le développement de la stratégie de puissance et d’influence du Qatar se comprend davantage au regard des variations du système, autrement dit de la vacuité des pouvoirs dans certaines zones. En ce sens, il apparaît qu’au Bahreïn la marge de manœuvre qatarie soit neutralisée par l’importance stratégique primordiale que l’Arabie Saoudite accorde à Manama419

. En témoigne l’influence économique du royaume saoudien sur l’émirat du Bahreïn420

, mais également les craintes de Riyad de voir se consolider une opposition chiite durable dans l’un de ses États satellites. En définitive, nous rejoignons ici la conclusion faite par Anthony Shadid dans un article du New York Times :

« le Qatar est devenu un contrepoint essentiel dans un monde arabe où les puissances traditionnelles sont ébranlées par des révolutions, sclérosées du fait de l’âge avancé de leur dirigeants ou encore durement touchées par une guerre civile, et où les États-Unis sont de plus en plus considérés comme une puissance en déclin»421 .

Tout comme d’autres pays du Conseil de Coopération du Golfe, la consolidation du statut du Qatar a donc largement profité de la restructuration du système au niveau régional qui après la parenthèse des révolutions s’est ressérrée contre les intérêts du Qatar.

3)L

A CRISE DE

2017

AU PRISME DES TRANSFORMATIONS DE L

ORDRE RÉGIONAL Les effets spectaculaires de la crise de 2017 ne doivent pas faire oublier pour autant que le différend entre l’Arabie saoudite ses alliés et le Qatar est plus ancien. En 2002 déjà422

, puis en 2014423

, les monarchies voisines du Qatar avaient entrepris une série d’actions destinée à sanctionner le Qatar contre Al Jazeera et pour son soutien à la confrérie des Frères musulmans.

419 Examining Qatari-Saudi Relations, RUSI Newsbrief, Royal United Services Institute for Defense and Security Studies (RUSI), 27 mars 2013.

420 FAKHRO Munira, The Uprising in Bahrain: An Assessment, in The Persian Gulf at the Millennium: Essays in Politics, Economy, Security, and Religion ed. Gary Sick and Lawrence Potter, London: Macmillan, 1997, p 184.

421 SHADID Anthony, Qatar Wield an Outsize Influence in Arab Politics, New York Times, 14 novembre 2011, cite dans MANSOURIA Mokhefi, Qatar : forces et faiblesses d'un activisme , Politique étrangère 4/2012 (Hiver) , p. 849-861, p 852, note 15.

422 L’Arabie saoudite retire son ambassadeur afin de protester contre la couverture médiatique d’Al Jazeera. 423Le 5 mars 2014, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn retirent durant huit mois leurs ambassadeurs du Qatar.

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Dans les faits, cette hostilité née à partir de 1995 lorsque le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani entreprend de développer une politique étrangère indépendante de ses homologues régionaux.

Si, comme nous l’avons vu précédemment, le mutisme des voisins de l’émirat, et particulièrement celui de l’Arabie saoudite relève entre autres de circonstances structurelles, ces mêmes circonstances livrent tout autant d’informations pour comprendre la crise de 2017.

L’analyse de cette crise diplomatique montre qu’il s’agit en premier lieu du besoin pressant de l’Arabie Saoudite de réaffirmer son emprise hégémonique dans l’ensemble sous- régional. Les Émirats arabes unis ont également cherché à exercer une influence sur la situation en tirant notamment profit des liens qui se sont tissés entre l’homme fort d’Abou Dabi, le prince héritier Mohammed Ben Zayed Al Nahyane et son homologue saoudien, le prince héritier Mohammed ben Salmane Al Saoud. Les deux hommes partagent, en effet, une forte aversion pour les Frères Musulmans et le soutien qui leur fut apporté par le Qatar, comme en témoigne la campagne de stigmatisation menée par les services de presse émiratie et saoudien depuis plusieurs années424

.

Néanmoins, pour comprendre pourquoi il aura fallu aux deux hommes attendre plusieurs années, jusqu’au 5 juin 2017, pour s’engager dans cette nouvelle « guerre froide dans le Golfe »425

, il faut revenir sur les conditions systémiques et notamment l’émergence d’un contexte moyen oriental post révolution arabe dans lequel s’inscrivent les politiques étrangères de la péninsule arabique en 2017.

À titre liminaire, nous pouvons distinguer ici quatre facteurs structurels émanant du contexte moyen oriental post révolution arabe :

1. La résurgence des régimes autoritaires. Ici, le triptyque Riyad, Abou Dhabi et le Caire tente de restaurer l’ordre autoritaire tel qu’il existait avant le printemps de 2011.

2. Un « effet Donald Trump ». La participation du Président américain au Sommet de Riyad le 20 et 21 mai 2017 a constitué du point de vue saoudien et émirati un acte de soutien de la part de Washington à la résurgence des puissances traditionnelles dans le Golfe. Dans cette perspective, et fort de ce nouvel appui américain, Riyad et Abou Dhabi ont pu accélérer leur campagne anti-Qatar.

424 ENNASRI Nabil, Reprise de la guerre froide du Golfe, Le Qatar entre les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, Orient XXI, 31 mai 2017.

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3. La nouvelle dynamique du pouvoir saoudien. Si, comme le rappelle Stéphane Lacroix, jusqu’à 2015 le royaume était largement inerte sur le plan de la politique étrangère426

, les changements dans la structuration du régime et notamment l’avènement du roi Salman— le 23 janvier 2015— et la propulsion de son fils au rang de prince héritier— bouleversant par la même les ordres de succession dans le royaume— ont participé à renforcer la position de Riyad dans la région et accéléré la réaffirmation de sa place d’hégémon régional.

En somme, autant que dans la période des révolutions arabes, ce sont en partie les conditions systémiques et les transformations de l’ordre régional, de son éclatement à sa reconsolidation, qui déterminent les opportunités et fixent les contraintes pour la politique étrangère du Qatar.

Nous avons discerné les transformations du système régional qui ont concouru à la formation d’une politique étrangère indépendante et hyperactive pour le micro-État. La crise de 2017 participe, mais dans une autre direction, à guider le champ d’action de la micro- diplomatie. Néanmoins, pour saisir la complexité et les multiplicités des aspects de la restructuration systémique tels qu’ils furent observés depuis 1995, la prise en compte du seul niveau régional ne suffit pas. D’où la nécessité d’adopter une autre grille de lecture structurelle, qui doit partir cette fois-ci du niveau global.

426 « Après des décennies de léthargie sous le règne du roi Abdallah, c’est un véritable changement de système auquel on assiste depuis 2015 avec l’arrivée sur le trône du roi Salmane.», LACROIX Stephane, cité dans Le

Saoudien Ben Salmane à Paris, l’effet du prince, Libération.fr, disponible à l’adresse :

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CHAPITRE 3 :

LA DIPLOMATIE

ÉCONOMIQUE DU QATAR

AU SERVICE

DE LA PUISSANCE STRUCTURELLE