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RESSOURCE AU DÉVELOPPEMENT DE LA PUISSANCE DES PAYS DU C ONSEIL DE C OOPÉRATION DU G OLFE

89 autorité discrète et efficace

B. L A CONSOLIDATION DU STATUT DU Q ATAR DANS LES TRANSFORMATIONS DE L ’ ORDRE RÉGIONAL

1) L A MÉDIATION AU SERVICE DE LA PUISSANCE DU Q ATAR

L’étude de la politique de médiation développée par Doha a connu un traitement privilégié dans la littérature scientifique368

. Il faut dire qu’en quelques années seulement l’émirat s’est imposé dans la région du Moyen-Orient comme un leader dans le domaine : au Yémen, au Liban, au Soudan, en Palestine ou encore dans la Corne de l’Afrique, la médiation orchestrée par Doha a connu un succès relatif dans la période précédant les révolutions arabes. Bien que souvent traitée sous le prisme de l’analyse libérale, notamment à travers le concept de Soft Power369, il apparaît néanmoins que la stratégie de médiation à laquelle la

politique étrangère du Qatar a souscrit est symptomatique du postulat néoclassique tel que développé par John Mearsheimer : la politique étrangère des États répond au système dans lequel elle s’intègre. Nous chercherons ainsi à comprendre à travers l’exemple de la politique de médiation comment la politique étrangère du Qatar s’est construite à l’aune des transformations du système régional dont nous avons énoncé les aspects ci-avant.

La médiation est définie par les Nations unies comme « une procédure consistant pour une tierce partie à aider, avec leur consentement, deux ou plusieurs parties à prévenir, gérer ou régler un conflit en les aidant à élaborer un accord mutuellement acceptable.»370

La médiation contribution à la compréhension de la politique extérieure contemporaine d'un État du Golfe, Thèse en Science

Politique, Université d'Avignon, 2011.

368 Voir: KAMRAVA Mehran, Mediation and Qatari Foreign policy, Middle East Journal, Volume 65, No. 4, Automne 2011, p. 543.; HANSEN Stig Jarle,. GAAS Mohamed H, LEIRA Halvard, op. cit.; LAZAR Mehdi,

Qatar : une politique d’influence entre conjoncture favorable et fondamentaux géographiques, La revue

géopolitique, 27 Mai 2012 ;COOPER Andrew F et MOMANI Bessma, Qatar and expanded contours of small

state diplomacy, International Spectator: Italian Journal of International Affairs 46: 3, pp. 113–28, 2011; EAKIN H, The Strange Power of Qatar, The New York Review of Books, 27 Octobre 2012; MONGRENIER Jean-Sylvestre, La politique étrangère du Qatar : de l'intermédiation à l’engagement, Géoéconomie 3/2012 (n°

62) , p. 31-39.

369 Voir LECA Jean, « Soft power ». Sens et usages d'un concept incertain", CERISCOPE Puissance, 2013, consulté le 25/05/2016.

370 « Directive des Nations Unies pour une médiation efficace » Nations Unies, Septembre 2012, document

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tient aujourd’hui une grande place dans le vocabulaire de l’action internationale. La fin de la guerre froide, le développement de la mondialisation et la multiplication des échanges internationaux ayant rendu « la guerre obsolète »371

, depuis les années 1990 près de 700 entreprises médiatrices se sont engagées dans l’espoir d’orienter certains des conflits internationaux vers une issue pacifique 372

. Dans ce contexte, la théorie des relations internationales reconnaît principalement aux plus grandes puissances la capacité de pouvoir endosser ce rôle de médiateur.

Historiquement au Moyen-Orient, cette posture a été celle des puissances régionales comme l’Égypte, l’Arabie Saoudite, mais également des grandes puissances internationales comme les États-Unis, la Russie, la France ou encore la Grande-Bretagne. La capacité militaire et financière de celles-ci en fait des médiateurs idéaux pour les théoriciens373

. Toutefois, à l’instar de la crise soudanaise des années 2008 pour laquelle l’Égypte était pressentie pour tenir le rôle de médiateur ; du conflit yéménite où les intérêts saoudiens laissaient pressentir une intervention de Riyad; ou encore du Liban où, face aux échecs successifs des médiations entreprises par la Ligue arabe, l’Arabie Saoudite ou la France; la place de médiateur acquise par la monarchie qatarie s’était bien opérée au détriment de l’office de ces plus grandes puissances374

.

Si traditionnellement il est reconnu que le succès ou l’échec d’une médiation soit dépendant de variables telles que la nature des acteurs, l’intensité du conflit, ou encore le « timing », il nous apparaît trois autres facteurs qui expliquent le succès de la médiation qatarie :

- a) L’image d’un partenaire honnête.

Face à une histoire moyen-orientale tumultueuse, la participation du Qatar en tant que médiateur apparaît comme une opportunité pour les acteurs en conflit soucieux de se dégager de l’influence des hégémons dans la résolution d’un différend. Cette image a ainsi facilité l’accès du Qatar au statut de médiateur régional. Toutefois, la probité et la confiance allouées au

http://www.un.org/wcm/webdav/site/undpa/shared/undpa/pdf/UN%20Guidance%20for%20Effective%20Mediat ion%20French.pdf, p 4.

371 VENNESSON Pascal, Renaissante ou obsolète ? La guerre aujourd’hui, Revue française de science politique, 48 (3-4), juin-août 1998, p. 515-534.

372 MELIN Molly M., When States Mediate, Penn State Journal of Law & International Affairs 2, no. 4, April 2013: 78-90 note cite dans BARAKAT Sultan, Qatari Mediation: Between Ambition and Achievement, Brooking Doha Center Analysis Paper, N°12, November 214, note 2.

373 KAMRAVA Mehran, Médiation and Qatari Foreign Policy, Middle East Journal, Volume 65, N°4, Autumn 2011.

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médiateur ne seraient être confondues avec l’impartialité de celui-ci comme nous l’ont rappelé Paul Wahr et Jean-Paul Lederach dans leurs travaux relatifs aux entreprises médiatrices en Amérique du Sud375. Pour Olivier Richemond376 également, l’analyse de la médiation doit tenir

compte en ce sens de l’intérêt à agir du médiateur. Ici, la médiation peut être utilisée ou instrumentalisée par le médiateur dans le but d’obtenir un quelconque avantage. En somme, face à la menace que pourrait constituer la médiation officiée par une plus grande puissance régionale dont les visées seront alors perçues comme suspectes pour des États moins puissant, l’émirat du Qatar apparaît comme un partenaire honnête (Honest brooker377) pour lequel le

maintien de la paix et de la stabilité dans la région constituent les principaux motifs de l’intervention, comme en témoigne d’ailleurs l’article 7 de la Constitution qatarie :

“The foreign policy of the State is based on the principle of strengthening international peace and security by means of encouraging peaceful resolution of international disputes; and shall support the right of peoples to self-determination; and shall not interfere in the domestic affairs of states; and shall

cooperate with peace-loving nations »378

- b) La disponibilité des ressources économiques.

Ici, la composante économique dans la médiation recouvre une double réalité. La première tient de la capacité de l’État pourvoyeur de la médiation d’asseoir sa crédibilité dans la gestion du conflit au vu de la puissance qui lui est allouée. De la disposition d’une force économique conséquente sera déduite également la capacité de l’État à pouvoir accroître ses chances de parvenir à trouver une solution au conflit. Dans son étude consacrée au processus de médiation au sein du conflit israélo-palestinien, Asaaf Siniver379

mettait ainsi en lumière que plus les capacités d’un État à pouvoir mobiliser des ressources étaient importantes, plus les chances de succès dans la médiation étaient élevées. Autrement dit, la finalité de la médiation est conditionnée aux récompenses qui peuvent être promises par le médiateur en cas de résolution du conflit tel qu’un transfert de liquidité, la promesse de contrats, ou encore celle d’investissement dans les infrastructures. Ainsi, l’immense richesse à disposition de l’émirat a

375 WEHR Paul, John LEDERACH, Mediating Conflict in Central America, Journal of Peace Research, 28 (1), 1991, p.85-98.

376 RICHMOND Oliver, Devious Objectives and the Disputants View of International Mediation. A Theoretical Framework, Journal of Peace Research, 35 (6), 1998, p. 707-722.

377 KAMRAVA Mehran, art.cit, p 4.

378 « La politique étrangère de l’Etat est fondée sur le principe du renforcement international de la paix et de la sécurité à travers l’utilisation de moyen encourageant la résolution pacifique de conflits internationaux ; elle doit supporter le droit des peuples à l’auto-détermination ; elle ne doit pas intervenir dans les affaires intérieures des Etats ; elle doit coopérer avec les nations favorables à la paix », Constitution du Qatar du 29

avril 2003, disponible sur, Constitution of Qatar :

https://www.constituteproject.org/constitution/Qatar_2003.pdf?lang=en

379 SINIVER Asaf, Power, Impartiality and Timing: Three Hypotheses on Third Party Mediation in the Middle East, Political Studies, 54 (4), 2006, p. 806-826.

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servi d’argument d’autorité dans la participation à la résolution des conflits, comme en témoignent les investissements massifs réalisés par le Qatar dans les territoires où la médiation qatarie fut entreprise, dans le sud du Liban ou encore dans des infrastructures soudanaises380

. - c) La personnification de la médiation.

Elle est un aspect récurrent dans la diplomatie qatarie. Au cours de ces différentes médiations, tant l’Émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al Thani que le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Hamad ben Jassem Al Thani furent impliqués directement dans le processus de médiation. Cette stratégie qui a visé à capitaliser sur la personnalité des deux hommes forts du pays a été payante pour le Qatar. Les deux cheikhs réputés pour leur charisme et leurs qualités diplomatiques apparaissent comme les artisans principaux de la réussite de l’entreprise médiatrice du Qatar. Toutefois, et comme le rappel Mehran Kamrava, si cet aspect a constitué une force pour la politique étrangère du Qatar, celle-ci peut également apparaître comme une grande faiblesse si l’efficacité de la médiation ne repose que sur cet aspect381

. L’intervention personnelle de décideurs principaux n’est pas en soi nuisible à la médiation. Cependant, l’efficacité de la médiation sur le long terme repose également sur les capacités institutionnelles, telles que la capacité du personnel diplomatique à pouvoir poursuivre les démarches entreprises une fois les négociations terminées afin de convertir ses initiatives en succès diplomatique, et comme le rappel Sultan Barakat382

, la petite taille du Qatar et la faiblesse de ses ressources humaines, réduisent les chances de trouver une solution durable au conflit.

C’est ainsi que se dessine l’implantation de la stratégie de la médiation au Qatar. Profitant de la vacuité du pouvoir dans l’espace régional, successive au déclin des hégémons, le Qatar use ainsi de la médiation comme promoteur de sa puissance383

. Ainsi, et comme le rappelle l’école néoclassique, le développement de la politique de puissance permet à un État de mieux garantir sa sécurité. Pour Doha, la sécurité par la méditation est assurée au moyen de deux logiques.

380 BEHRENDT Sven, Gulf Arab SWFs — Managing Wealth in Turbulent Times, Policy Outlook ,Washington, DC: Carnegie Endowment for International Peace, 2009, p. 4; pour un apercu des investissements qataris au Liban, au Soudan, ainsi qu’au Yemen voir: KAMRAVA Mehran, Mediation and Qatari Foreign Policy, op. cit.. 381 Ibid, p 17.

382 BARAKAT Sultan, Qatari Mediation: Between Ambition and Achievement, Brooking Doha Center Analysis Paper, N°12, Novembre 2014.

383 BARAKAT S., The Qatari Spring: Qatar’s Emerging Role Peacemaking, Londres, London School of Economics and Political Science, 2012.

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Au niveau le plus élémentaire, la première logique est celle qui tient de la volonté de l’émirat de cultiver la paix et la stabilité en cherchant à endiguer toute propagation d’une crise dans l’espace régional384

. C’est en tout cas la position officielle défendue par le palais du Diwan Amiri : « le Qatar est un État soucieux de la persévération de la sécurité dans la région, tout conflit contient des risques de propagation qui serait nuisible à sa survie»385. Dans une autre

perspective, la stratégie de la médiation pour le Qatar constitue le fer de lance de la promotion de l’image du Qatar. Selon la logique « être reconnu, pour être protégé », la médiation qatarie n’a de cesse de se faire le propre relais médiatique de chacune de ses prises de positions en tant que médiateur dans un conflit. Par le biais de sa chaîne Al Jazeera, la publicité offerte à sa stratégie s’exporte dans le monde entier et a participé à façonner l’image d’un émirat œuvrant pour la paix dans la région. En témoignent les nombreuses apparitions des diplomates qataris dans les émissions de la chaîne satellitaire386

, Doha décuple la force de sa stratégie de médiation en la propulsant au rang de produit marketing, destinée à séduire toujours plus de consommateurs, et toujours orientée vers la maximisation de la puissance du Qatar.

Le déploiement de la politique de médiation traduit la volonté du Qatar d’assurer et de renforcer sa sécurité au moyen d’une stratégie calibrée pour accroître de manière prudente son influence sur la scène régionale. Face aux menaces environnantes et à la faiblesse de ses capacités de puissance, l’effort déployé par le Qatar pour apparaître comme l’un des médiateurs principaux de la région répond ainsi à la configuration du système régional dans lequel les acteurs traditionnels ne parviennent plus à tenir leur rôle. Cela renvoie à ce que Raymond Aron interprétait comme le motif d’action des États : selon lui, lorsque l’État agit, soit en faveur de l’équilibre (statuquo), soit en faveur de l’action, son comportement est déterminé par les conditions offertes par le système. Toutefois, et comme le rapporte le travail de Terris, Lesley et Zeev Maoz387

, si pour chaque catégorie d’État, il existe une grammaire d’action, celle-ci étant corrélée aux capacités de puissance des États, la politique de médiation apparaît comme un outil pratique pour les petits États pour faire croître leur influence tout en préservant un climat de sécurité. Nous rejoignons ainsi l’analyse de Mehran Kamrava lorsque

384L’interconnexion complexe des acteurs, mais aussi des enjeux fait de la région du Moyen-Orient un terrain particulièrement propice à l’effet de Spill over.

385 Entretien avec l’Ambassadeur de Suisse au Qatar, Doha, 15 mai 2015.

386 TERRIS, L. G., and MAOZ Z., Rational Mediation: A Theory and a Test. Journal of Peace Research, 42(5), 2005, pp. 563–583.

387KLEIBOER Marieke and HART Paul, “Time to Talk? Multiple Perspectives on Timing of International Mediation”, Cooperation and Conflict, Vol. 30, No. 4, 1995, pp. 307-348.

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celui-ci note « primary motivation for Qatari mediation efforts is a combination of small state survival strategies and the desire for international prestige »388

.

2)L

ES RÉVOLUTIONS ARABES OU LE TEMPS DES OPPORTUNITÉS

L’épisode des révolutions arabes vient une nouvelle fois confirmer l’hypothèse selon laquelle la maximisation de la puissance du Qatar est corrélée aux fluctuations du système régional dans lesquels l’émirat trouve les opportunités pour développer son influence.

À bien des égards, les révolutions arabes faisaient ressurgir les profondes dysfonctions qui caractérisaient le Moyen-Orient depuis près d’un demi-siècle. Celles-ci traduisaient une profonde insatisfaction économique, politique et sociale, aggravée par le népotisme et la corruption des pouvoirs en place. Cette colère sourde qui a agité la jeunesse du Moyen-Orient se transforma en une rage éclatante sans communes mesures dans l’histoire de la région389

, annonçant quelques semaines plus tard la chute des régimes autoritaires en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Yémen, ainsi que la déstabilisation des régimes en Syrie et Bahreïn.

Seulement quelques semaines séparent la désignation du Qatar comme futur hôte de la coupe du Monde de Football en 2022 et l’acte désespéré de Mohamed Bouazizi s’immolant par le feu le 17 décembre 2010. À première vue tout oppose ces deux événements. L’un symbolise le rêve d’un Émir orgueilleux rêvant de voir son pays devenir le premier État arabe à organiser la grand-messe du football et l’autre le geste désespéré d’un vendeur ambulant de Sidi Bouzid à qui l’on confisqua ses marchandises. Toutefois, ils peuvent être rapprochés en ce qu’ils symbolisent pour le Qatar une nouvelle étape dans sa politique étrangère, qui, après sa désignation en tant qu’organisateur de l’événement sportif, verra la période des révolutions arabes comme un terrain propice à l’expression d’une politique de puissance beaucoup plus agressive qu’auparavant.

a) La révolution égyptienne

Lorsqu’éclate la révolution égyptienne à la fin du mois de janvier 2011 avec ses premières conséquences sur l’ordre régional arabe, le Qatar apparaît comme particulièrement

388 KAMRAVA Mehran, op. cit., p 540.

389 ULRICHSEN Kristian Coates, The Political Transformation of the Middle East and North Africa, World Financial Review, June 2011.

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bien placé pour faire de cette situation une opportunité d’asseoir un nouveau statut. Celle-ci est permise par la combinaison de plusieurs facteurs : 1) l’absence de contestation au Qatar ; 2) l’état des relations nouées avec l’Égypte avant 2011 ; 3) le succès de la chaîne Al-jazzera 4) les liens avec la confrérie des Frères musulmans.

1) Fort d’un PIB par habitant avoisinant les 102.000 dollars par an et d’un taux de chômage de 0.3 %, la population au Qatar semble être selon l’expression anglaise consacrée « too rich to revolt ». De plus, le Qatar n’a jamais connu de problématiques majeures inhérentes aux communautés résidant sur son territoire ayant constitué des menaces à l’équilibre des pouvoirs internes dans d’autres États du Golfe. La confrérie des Frères Musulmans ou encore la minorité chiite390

ne sont pas mis à la marge de la société qatarie391

. Contrairement à ses voisins donc, le Qatar dispose d’une grande liberté d’action face à sa société. Cet aspect est primordial pour comprendre l’influence du Qatar au cours des révolutions arabes, car, comme le rapportent Fareed Zakaria et Thomas Christensen392

, il advient que l’opportunité pour un État de maximiser sa puissance au moyen de sa politique étrangère soit dépendant des capacités de l’État à détenir un contrôle total sur ses ressources de puissance face à sa société. Autrement dit, le Qatar jouit d’une flexibilité relativement élevée ce qui constitue un avantage face à ses concurrents.

2) La crédibilité acquise par Doha auprès des couches populaires égyptiennes avant la révolution de 2011 a constitué un avantage dans le déploiement de la stratégie qatarie. Les tensions qui ont jalonné les relations entre Hosni Moubarak et le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, qui débutèrent dès 1995 lorsque l’Égypte entreprit de soutenir l’ascension au pouvoir d’autres membres de la famille Al Thani393

et qui ont connu leur point d’orgue en mars 2009 lorsque le président égyptien refusa de siéger au Sommet de la Ligue arabe organisé à Doha394

, ont contribué à façonner l’image d’un État défendant les intérêts du camp révolutionnaire égyptien395

. Toutefois, cette tendance s’est inversée au cours de la deuxième phase de la

390 La population chiite au Qatar représente entre 5 % et 15% de la population.

391 MAJIDYAR Ahmed K., Is sectarian balance in the United Arab Emirates, Oman, and Qatar at risk?, American Enterprise Institute, 21 October 2013.

392 Sur cette question : ZAKARIA Fareed, From Wealth To Power : From Wealth to Power: The Unusual Origins of America's World Role, Princeton University Press, July 26, 1999; Thomas J. Christensen, Useful Adversaries, Princeton University Press, October 28, 1996,

393 AL-RASHEED Madawi, Saudi-Qatari tensions divide GCC, Al-Monitor, 6 March 2014 394 Qatar: Egypt gives Qatar the cold shoulder, Los Angeles Times, 29 March 2009.

395 Celui-ci s’était nourri d’une opposition grandissante face au régime de Hosni Moubarak, voir : SEDGWICK Mark, Measuring Egyptian Regime Legitimacy, Middle East Critique, N°19, 2010, pp 67-251.

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révolution. Au cours du mois de juin 2013 les manifestations qui visèrent à renverser Mohammed Morsi laissaient apparaître des slogans dénonçant les stratégies du Qatar396

. 3) Créée en 1996, la chaîne Al Jazeera connut un succès sans précédent dans l’histoire de la télévision satellitaire arabe. Ce formidable outil de promotion de la « cause arabe »397

est devenu en quelques années l’un des outils les plus importants de la politique étrangère du Qatar. Si dans les premières heures de la révolution égyptienne, celle-ci fut qualifiée de « révolution 2.0 »398

, rapidement les analystes399

ont reconnu l’importance du rôle joué par la chaîne. Comme le souligne John Alterman400

, les programmes se sont constitués comme autant de relais aux informations publiées sur les différents réseaux sociaux occupés par la jeunesse égyptienne. La couverture en direct des manifestations, les prises de positions au cours des débats télévisuels, la diffusion des bandes annonces « spectaculaires » de la révolution, ont joué le rôle de propulseur ou de « mégaphone de la révolution » pour reprendre l’expression