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COMME ENJEU

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, ceux-ci peuvent être notamment différenciés au regard des intérêts défendus. Ainsi, et dans les pas de Christopher Hill dans son ouvrage The Changing Politics of Foreign Policy, nous pouvons distinguer trois groupes d’intérêts au Qatar différenciables par les objectifs qui leur auront était assignés par l’émir.

1. Le groupe défendant les intérêts sociaux et culturels : figure de proue des politiques de développement culturel et des réformes sociales au Qatar (notamment pour le développement des droits de femmes) la cheikha Moza, seconde épouse de l’émir et mère du prince héritier Tamim ben Hamad Al Thani, illustre la place accordée à la famille Al Attiyah dans le cercle rapproché des conseillers de l’émir. Au sein de cette grande famille plusieurs personnalités se sont vues dotées de prérogatives politiques telles que le frère de la cheikha Moza, Khalid Al Misnad conseiller rapproché de l’émir ainsi la cheikha bint Ahmad al- Mahmud première femme nommée à la tête du ministère de l’Éducation. À l’intérieur du territoire, l’influence de ce groupe d’intérêt s’est particulièrement illustrée par le développement des droits sociaux et notamment ceux des femmes qataries qui, à partir de 1999, se sont vues reconnaître un droit de vote aux élections du Conseil municipal de la ville de Doha. Dans le domaine extérieur, c’est à travers la politique de rayonnement éducative et culturelle, avec la création de la Cité de l’éducation (Education city) grande œuvre de la Cheikha Moza, mais aussi par le développement des musées, tels que le Musée d’art islamique de Doha (MIA), et des grandes expositions d’arts, que la tribu des Al Attiyah a marqué de son empreinte la stratégie d’exportation de l’image moderne du Qatar destinée à séduire l’Occident et à se différencier des autres pays du Golfe601

.

2. Le groupe défendant les intérêts économiques : ici s’illustre notamment le cheikh Hamad ben Faysal un cousin de l’émir nommé ministre du Commerce et de l’Économie. Également Yusûf Kamâl, un arabe sunnite d’origine iranienne (hawâla) cheville ouvrière de l’organisation du sommet de l’OMC tenu en novembre 2011 à Doha, membre du directoire des grandes familles de l’émirat dont la fonction réside dans la détermination des stratégies d’investissements du Qatar par le biais du Qatar Supreme Council for Economic and Investment Affairs (QSCEIA)602. Ceux-ci constituent les symboles de la jeunesse (35-45 ans) et

du dynamisme de la nouvelle équipe gouvernementale de l’émirat. Instigateur principal du développement de la politique de libéralisation de l’économie qatarie, ce groupe apparaît

600 MORIN J-F, La politique étrangère. Théories, méthodes et références, Armand Colin, Paris, 2013, p 157. 601 Sur ce point nous consulterons avec attention KAZEROUNI Alexandre, Musées et soft power dans le Golfe persique, Pouvoirs 1/2015 (n° 152), p. 87-97.

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comme l’une des pierres angulaires de la stratégie de diversification de l’économie de la rente des hydrocarbures ainsi que celle des politiques d’investissements dans les économies étrangères et plus particulièrement celles au sein des économies occidentales.

3. Le groupe défendant les intérêts diplomatiques : au sein de celui-ci, nous retrouvons l’une des figures marquantes de la politique étrangère en la personne de Hamad ben Jassem Al Thani (HBJ), ministre des Affaires étrangères de l’émirat cumulant par la suite la fonction de Premier ministre (du 3 avril 2007 au 26 juin 2013). « L’architecte » principal de la nouvelle politique étrangère du Qatar et également l’un des hommes d’affaires les plus riches de la monarchie. Aux côtés du Premier ministre ‘Abd Allah bin Khalifa (1996-2007) et du ministre de l’intérieur Muhammad ben Khalifa, tous deux frères de l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani, Hamad ben Jassem Al Thani, déjà nommé par Khalifa ben Hamad al Thani à la tête du ministère des Affaires étrangères (1992), s’emploiera à développer la nouvelle stratégie de la politique étrangère du Qatar autour de trois piliers : 1) le rapprochement avec la puissance américaine ; 2) la création de la chaîne Al Jazerra ; 3) l’articulation d’une diplomatie reposant sur des liens personnels.

En somme, la constitution de ces groupes d’intérêts créés par l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani dont la vocation première était de participer à l’édification de la structure du pouvoir en interne a eu pour deuxième fonction de prendre part au développement de la nouvelle stratégie de politique étrangère voulue par l’émir et au sein de laquelle chacun de ces groupes s’est vu attribué la défense d’objectifs particuliers. Autrement dit, depuis l’indépendance du Qatar, l’interaction historique entre ces groupes tribaux constitue la base de la vie politique de l’émirat qui déterminera l’activité diplomatique à partir de 1995 et la fondation de la nouvelle politique étrangère.

B.L’EFFET DE LA NOUVELLE POLITIQUE ÉTRANGÈRE SUR LES

STRUCTURES INSTITUTIONNELLES.

Comme nous venons de le noter, l’interdépendance du processus de légitimation du pouvoir de Hamad ben Khalifa Al Thani dans la politique interne et de la politique étrangère menée par celui-ci résulte d’un mouvement ascendant. Cette dynamique ne saurait toutefois occulter la prise en considération du mouvement inverse, autrement dit de celui de l’influence

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de la politique étrangère d’un État sur les acteurs sociaux qui peuplent l’État. Le concept développé par James Rosenau de linkage603

, pouvant être traduit comme l’interdépendance des systèmes internes et des politiques étrangères, permet ainsi de mettre en valeur la nature des relations qui animent la politique intérieure et la politique extérieure en ce sens que l’approche doit davantage envisager celles-ci comme des « variables interdépendantes ».

Ainsi, dans quelles mesures le développement de la politique étrangère du Qatar a-t-il eu des effets sur la politique interne de l’émirat ?

Pour le comprendre, nous chercherons à mettre en lumière l’influence du processus d’intégration aux instances multilatérales sur la politique interne de l’émirat. À travers l’exemple de la participation du Qatar à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), nous mettrons en perspective les effets de celle-ci sur la structure de l’espace politique interne et plus particulièrement dans les rapports entre la population nationale et celle constituée des expatriés présents au Qatar.

1)

L’

INTÉGRATION DU

Q

ATAR À L

’O

RGANISATION INTERNATIONALE DE LA

F

RANCOPHONIE

(OIF)

La problématique de l’intégration et de la coopération des États au sein des instances multilatérales a été le terrain privilégié des études attenantes à l’institutionnalisme néolibéral. Constitué comme une réponse au néoréalisme développé par Kenneth Walts, la volonté première des néolibéraux est d’affirmer que le comportement le plus rationnel pour les États réside davantage dans la coopération que dans la confrontation 604

. La constitution d’organisations internationales ne représente pas une exception, mais bien le comportement normal, rationnel dans le sens de la théorie fonctionnaliste développé par David Mitrany605

, permettant à ceux-ci d’accroître les chances de voir aboutir la peine satisfaction de leurs objectifs. Pour ce qui est de l’intégration des micro-États aux instances multilatérales, les institutionnalistes libéraux ont notamment insisté sur le bénéfice pour ceux-ci d’intégrer les

603 ROSENEAU James (Ed), Linkage Politics, New York, The Free Press, 1969.

604 MACLEOD Alex et O’MEARA Dan (dir), Théories des relations internationales. Contestations et résistances, CEPES-Athéna Edition, Montréal, 2007.

605 MITRANY David, A Working Peace System: An Argument for the Functional Development of International Organization, The Royal Institute of International Affairs, Londres, 1943, reedition, 1966.

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