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, et de cette prise de conscience naît la possibilité « (d’) échapper à l’empire des notions vulgaires, pour tourner son attention vers les faits”176

. À la suite de ces considérations, l’étude imposait d’effectuer un choix parmi les outils théoriques satisfaisants. Dans le souci de rendre compréhensible l’utilisation successive de plusieurs théories, nous avons fait le choix de regrouper celles-ci au sein de quatre grandes approches :

1) Les approches structurelles 2) Les approches pluralistes 3) Les approches décisionnelles 4) Les approches culturelles

Nous allons à present exposer chacune des grandes théories qui gouvernent ces approches. Celles-ci seront développées par la suite dans chacune des parties de cette étude.

1) Les approches structurelles - Les théories réalistes

Si la théorie classique fait aujourd’hui l’objet d’une contestation croissante dans le champ des études de relations internationales, cet aspect démontre combien la lecture réaliste constitue toujours le paradigme dominant autour duquel tous les autres restent orientés177

jusqu’à s’imposer comme un véritable hégémon178. Comme le relève Martin Wight « De nos

jours, nous sommes tous réalistes »179

. La démarche praxéologique180

de la théorie classique, autrement dit sa volonté de faire des éléments observables du comportement les lois objectives nécessaires à la construction d’un savoir, ce que Pierre Bourdieu nommait également une « théorie de la pratique »181

, fait du

175 ibidem, p 31. 176 ibidem, p 32.

177 Sur cette question, nous consulterons avec attention l’article de LEGRO Jeffrey et MORAVCSIK Andrew, Is Anybody Still a Realist ?, International Security, 24, N°2, 1999.

178 Dans son manuel de Théories des relations internationales, Jean-Jacques Roche, intitule son chapitre consacré à l’étude de la théorie réaliste L’Hégémon réaliste. Cela traduit d’une tendance générale dans les manuels de relations internationales, en français comme en anglais, d’accorder à l’étude de la théorie réaliste le premier chapitre de l’ouvrage. ROCHE Jean-Jacques, op. cit. p 19.

179 WIGHT Martin, International Theory: The Three Traditions, Leicester University Press, 1994, p 15 ; cité dans BATTISTELLA Dario, op. cit.. p 124, note 2.

180 « La politique comme la société en général est gouvernée par les lois objectives qui ont leurs racines dans la nature humaine » : MORGENTHAU Hans, J, Politics among Nations, The Struggle for Power and Peace, New

York, Alfred Knopf, 1985, 6e édition, p 688, cité dans ROCHE Jean-Jacques, op. cit.., p 20 note 2.

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concept de puissance, dont Raymond Aron définissait les termes comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités »182

, l’élément central de l’analyse des relations internationales. Érigé en domaine autonome, c’est-à-dire distinct des logiques de l’ordre politique interne183

, les relations internationales contraignent alors les États qui demeurent les acteurs unitaires du système international à évoluer dans un environnement anarchique, synonyme de guerre, et marqué par l’absence d’une autorité supérieure légitime. Pour les réalistes, la conflictualité du système international fait de la politique de puissance l’élément central du jeu des États. En ce sens, dans les années 1930, Edward H. Carr affirmait dans Twenty Year’s Crisis. 1919-1939184 que la notion de puissance constituait la fin, les moyens

et la cause des relations internationales.

À partir des années 1960, et à la faveur de la révolution béhaviouraliste, le courant réaliste fut toutefois mis en difficulté dans sa capacité à pouvoir saisir la nature de la politique étrangère des États. Cette mise en accusation provenait du courant émergent en cette période : la Foreign Policy Analysis (FPA).

Afin d’étudier la politique étrangère, la FPA réclamait l’étude d’autres facteurs185

, comme le rôle des perceptions ou des idées, mais également d’autres niveaux d’analyses tels que celui du processus de décision186

, de la perception des normes ou encore de l’influence du processus institutionnel. Face au développement de la Foreign Policy Analysis, le courant réaliste a dû répondre à un certain nombre de défis théoriques : si la maximisation de la puissance constitue le facteur déterminant de la politique étrangère et que les États répondent uniformément à cette conception, comment appréhender les différences de pratique entre les politiques étrangères d’États aux capacités de puissance quasi-identiques ? Dans quelles mesures intégrer la disparité des objectifs assignés à une politique étrangère dans les hypothèses défendues par le postulat réaliste ? Ou encore, l’apparente irrationalité de certaines décisions

182 ARON Raymond, Paix et Guerre entre les nations, 1964, Paris, Calmann-Lévy, 8e ed. 1984.

183 BULL Hedley, Society and Anarchy International Relations, dans BUTTERFIELD Herbert, WIGHT Martin, (Eds), Diplomatic Investigations, Londres, Allen and Unwin, 1966.

184 CARR Edward H., The Twenty Years' Crisis: 1919–1939: An Introduction to the Study of International Relations, Harper Perennial; 450th ed, 1964.

185 La Foreign Policy Analysis fût notamment assimilée par la théorie classique aux études de Public Diplomacy, voir CARLSNEAS Walter, Foreign Policy, dans CARLSNEAS Walter, RISSE Thomas, SIMMONS Beth (eds),

Handbook of International Relations, Londres, Sage 2002.

186 Si les réalistes viennent à reconnaître que la politique étrangère est conduite à la faveur des politiques internes, ils admettraient l’échec de la théorie réaliste à pouvoir étudier les Politiques étrangères : le fondement de la pensée réaliste repose sur la distinction stricte entre la politique internationale (High politics) et la politique interne (Low politics). Sur cette question consulter, GIDEON Rose, Néoclassical Réalism an Theories of Foreign

Policy, World Politics, 51, (1), octobre 1998, cité dans GUIZZINI Stefano et STEN Rynning, Réalisme et analyse de la Politique Étrangère, dans CHARILLON Frédéric (dir), Politique étrangère. Nouveaux regards,

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qui ne répondraient pas prima facie à l’impératif de l’équilibre des puissances (Balance of Power) ?187 Autrement dit, pour le réalisme, le défi consistait à parvenir à réintégrer la notion de

puissance au cœur de l’étude de la politique étrangère.

Sur ce point, deux types de réponses furent proposés : le néo-réalisme et le réalisme néoclassique.

La paternité du mouvement néo-réaliste est attribuée à Kenneth Waltz dans son étude Theory of International Politics188et l’on retrouve au sein de cette sous-branche de la théorie

réaliste des auteurs comme Robert Gilpin, Joseph Grieco ou encore Robert Jervis189

. L’approche qui est offerte ici va permettre de réintégrer la notion de puissance au sein de l’étude de la politique étrangère en faisant de celle-ci le périmètre d’action, autrement dit le contexte ou la limite au sein de laquelle évolue la prise de décision. Le périmètre d’action, nous disent les néoréalistes, est dépendant des capacités de la puissance des États elle-même définies par la distribution d’éléments matériels de la puissance tels que le territoire, la population, la force militaire ou encore la capacité économique.

Dans cette configuration, les néoréalistes rappellent toutefois que la préoccupation principale des États est celle d’assurer leur propre survie. Cette position défensive amène donc les États à privilégier une politique d’équilibre destinée à maintenir le statu quo au sein du système international afin de ne pas affecter le niveau de conflictualité du système190

. Dans le raisonnement des néoréalistes, l’évolution des politiques étrangères se comprend alors à la lumière du décalage qui existe entre les « dynamiques internationales de puissance (le dilemme de sécurité) et la dynamique interne »191

, autrement dit : la politique étrangère des États, dont les décisions devraient être gouvernées par la rationalité, est affectée par différentes variables

187 Notion clé du paradigme réaliste, l’équilibre des puissances (balance of power), fût notamment théorisé par les réalistes : MORGENTHAU Hans, J, op. cit. ; ARON Raymond, Paix et Guerre entre les nations, 1964, Paris, Calmann-Lévy, 8e ed. 1984, ou encore dans WALTZ Kenneth, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979.

188 WALTZ Kenneth, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979.

189 GILPIN Robert, War and Change In World Politics, Cambridge University Press, 1983; GRIECO Joseph M, State Interests and Institutionnal Rule trajectories: A Neorealist interpretation on the Maastricht Treaty and European Economic and Monetary Union, Security Studies, 5, (3) printemps 1996; JERVIS Robert, Perception and Misperception in International Politics, 1976 ; Cooperation under the Security Dilemma, (World Politics,

Vol. 30, No.2, 1978.

190 Il s’agit ici de ne pas affecter le dilemme de sécurité.

191 GUIZZINI Stefano et STEN Rynning, Réalisme et analyse de la Politique Étrangère, dans, CHARILLON Frédéric (dir), Politique étrangère. Nouveaux regards, op. cit..

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