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RENTIÈRE À LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

2) L A Q ATAR I NVESTMENT A UTHORITY : UN LEVIER ÉCONOMIQUE AU SERVICE DE LA STRATÉGIE DE DIVERSIFICATION

Créée en 2005, la Qatar Investment Authority est un fond souverain d’investissement développé tardivement comparativement aux autres fonds d’investissements du Golfe. Le fond

459 Cité dans DRIS AÏT HAMADOUCHE Louisa et DRIS Cherif, De la résilience des régimes autoritaires : la complexité algérienne, L’Année du Maghreb, VIII | 2012, pp 279-301.

460 Selon plusieurs de nos sources, et notamment des ingénieurs expatriés travaillant dans les champs gaziers de Ras-Laffan, qui se voient contrains par ce moratoire dans leurs travaux d’ingénierie dans le domaine gazier. Doha, mai 2015 ; Sur ce point voir également : U.S. Energy Information Administration, Qatar, International

energy data and analysis, Octobre 2015, disponible à l’adresse suivante : http://www.connaissancedesenergies.org/sites/default/files/pdf-pt-vue/qatar.pdf

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d’investissement du Koweït— Kuwait Investment Authority (KIA) 461— fut pionnier en la matière.

Dès 1953, alors que le pays n’avait pas acquis son indépendance, les recettes de l’économie koweitienne étaient réinvesties en dehors du territoire par le fond d’investissement. Plus tard le développement des fonds d’investissement dépassera largement le cadre régional du Golfe. Des auteurs comme Christopher Balding462

ou Christopher Portman463

se sont interrogés sur la place de ces fonds d’investissement dans d’autres pays comme le Mexique, la Malaisie, la Thaïlande ou l’Algérie, comparativement à ceux établis dans la péninsule arabique. Il apparaît ainsi que la taille, l’influence et le pouvoir des fonds d’investissement des pays du Golfe persique soient généralement exagérées par rapport à l’activité des fonds d’investissements des pays se situant en dehors de cette zone464

. Cette tendance à la surestimation des capacités des fonds d’investissement n’affecte pas exclusivement le Qatar. Aux Émirats Arabes Unis, les fonds d’investissements d’Abu Dhabi—Abu Dhabi Investment Authority (ADIA)465, et le Mubadala466

font également l’objet d’une méfiance particulière notamment depuis le 11 septembre 2001467

. Autant de défiances qui renvoient en substance à l’étude de la relation entre la diplomatie économique et la quête de puissance pour un État.

Bras financier de la politique d’investissement de l’émirat du Qatar, le QIA opère depuis 2005 une stratégie multidirectionnelle à travers le réinvestissement des revenus pétroliers et gaziers dans l’économie internationale et nationale dans un vaste programme établi dans plusieurs secteurs : éducation, industrie, tourisme, sport, culture ou encore finance.

Au niveau national, les politiques d’investissements dans l’éducation et l’innovation technologique apparaissent comme les fers de lance de la stratégie qui devra supporter la transition économique du pays à l’heure de la fin des hydrocarbures. Dans le domaine, les grands projets tels que Education city ou l’agence nationale Qatar Science and Technologie Park (QSTP) illustrent la visée le long terme des politiques nationales entreprises par l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani. Conjointement à ces investissements, et répondant aux mêmes perspectives à long terme, le gouvernement qatari s’engage dans une politique de promotion

461 D’après les sources, le bras financier du gouvernement koweitien gérerait plus de 200 milliards d’euros, voir le site officiel disponible à l’adresse suivante : http://www.kia.gov.kw

462 BALDING Christopher, A Portfolio Analysis of Sovereign Wealth Funds of The Persian Gulf, dans FRY Renee S., MCKIBBIN Warwick J., O’BRIEN Justin (eds) Sovereign Wealth, Londres, 2011.

463 PORTMAN Christopher, The Economic Significance of Sovereign Wealth Funds, Economic Outlook 32, N°1, Janvier 2008.

464 KAMRAVA Mehran, Qatar: Small State, Big Politics, Cornell University Press, 2013, p 97.

465 Selon les sources, le fond d’investissement serait doté à hauteur de 500 milliards d’euros, voir le site officiel disponible à l’adresse suivante : http://www.adia.ae/En/home.aspx

466 Site officiel disponible à l’adresse suivante : http://www.mubadala.com/

467 Voir SEZNEC Jean-François, The Sovereign Wealth Funds of the Persian Gulfdans, KAMRAVA Mehran (ed), The Political Economy of The Persian Gulf, New York, 2012.

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des emplois nationaux. Le phénomène qualifié de « qatarisation »468

, vise à répondre ici encore à une des faiblesses caractéristiques du micro-État : sa dépendance à la main d’œuvre étrangère.

Ce processus vital pour l’économie du pays, soutenu activement par le fonds souverain, peine toutefois à rencontrer un franc succès. Notamment pour ce qui est de l’employabilité des nationaux qataris dans les entreprises du secteur privé. Si plusieurs raisons peuvent être avancées, il serait en premier lieu question de la différence entre le niveau de qualification requis dans les grandes industries étrangères implantées au Qatar et celui de la population nationale469

. Bien que ce phénomène tende à s’estomper au regard de la place occupée par les étudiants qataris inscrits dans de prestigieux cursus universitaires, le processus de qualification de la jeunesse de l’émirat ne pourra avoir un effet visible que dans plusieurs années. Très rapidement pourtant, les autorités s’étaient engagées vers l’objectif d’atteindre les 50 % d’employabilité des nationaux qataris dans les entreprises liées à l’énergie et l’exploitation des hydrocarbures d’ici 2005. Toutefois, cet objectif n’a jamais été atteint et à plusieurs reprises le gouvernement repoussera la date butoir470

.

Dans un cadre régional complexe où les grandes puissances moyen-orientales ont fait plusieurs fois la démonstration de leur force, la politique étrangère du Qatar tente à la fois d’assurer son indépendance face aux voisins qui menacent sa souveraineté et de préserver sa sécurité en se distinguant sur la scène internationale. Dans cette mesure, il advient que l’utilisation de la diplomatie économique du cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani réponde autant au principe idéologique d’indépendance qu’à la construction d’une véritable stratégie destinée à renforcer la puissance commerciale du Qatar. Comme le rappelle ici Mehran Kamrava :

« But for Qatar, international investments assume particular significance for two primary reasons. First, these investments take place in a dynamic context within which mutually reinforcing relationships are forged with the three other aspects of the country’s foreign policy—

468 Voir sur ce point le dossier constitué en 2016 par Oxford Strategic Consulting, Strategic Qatarisation : Focusing on Meaningful Employment, disponible à l’adresse suivante : http://www.oxfordstrategicconsulting.com/wpcontent/uploads/2016/11/StrategicQatarisation_OxfordStrategicCo nsulting_Nov2016.pdf

469 Sur la question de l’implantation des Université étrangère au Qatar, voir notamment : LAZAR Mehdi, Qatar, une education city. Délocalisation des campus universitaires et globalisation de l’enseignement supérieur,

Préface d’Emmanuel Caulier, Paris, éd. L’Harmattan, avril 2012.

470 La dernière en date était 2015. Toutefois, aucune information ne nous permet de vérifier si les objectifs fixés par le gouvernement ont été atteint. Sur ce point voir : SROUR-GANDON Perla, op. cit..

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military security, hedging, and especially branding. By and large « sovereign wealth fund portfolios appear to act as economically driven investors »471.

La proximité entre l’évolution de la politique d’investissement de l’émirat à travers le fond d’investissement et les initiatives de politique étrangère permet ainsi de comprendre les structures de l’environnement économique international qui influencent la mise en œuvre de la diplomatie qatarie.

Par exemple, il apparaît qu’au cours de l’année 2011, lorsque l’émirat s’est engagé pleinement dans le soutien au Conseil National de Transition libyen dans la lutte menée contre le régime du Colonel Mouammar Kadhafi, l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani avait conditionné une aide de subvention promise au gouvernement tunisien, délivrée par le biais de la QIA472

, à la reconnaissance par Tunis du CNT comme « unique représentant du peuple libyen »473. Dans la même perspective, un journaliste de la Koweit News Agency s’interroge sur

le lien entre la croissance des investissements entre Liban et le Qatar au cours de la période 2005-2009474

et l’accord obtenu par Doha en mai 2008 qui a contribué à faire avorter les prémisses d’une nouvelle guerre civile au Liban et ce successivement à la médiation entreprise par l’émirat Qatar475

. Ainsi, comme nous l’avons montré dans un chapitre précédent, la disponibilité des ressources économiques dote les États d’une capacité supérieure à pouvoir endosser de manière efficace le rôle de médiateur dans les conflits. En ce sens, la stratégie de médiation développée par l’émirat au cours de la période précédant les révolutions arabes sont adossées à la capacité de projection économique de la QIA476

.

La proximité entre les objectifs extérieurs défendus par la politique étrangère et les stratégies engagées à travers le fonds d’investissement souverain répond en premier lieu à l’adaptation aux structures de l’environnement économique international. L’influence des changements économiques sur l’organisation de la politique étrangère a notamment favorisé la diffusion de l’image de l’émirat. Lorsqu’éclate en 2008 la crise économique, la stratégie

471 KAMRAVA Mehran, op. cit., p 97.

472 Africa Intelligence, Qatar to buy Tunisia’s backing for NTC ?, Ruling Circles, 07 juillet 2011, disponible à l’adresse suivante : https://www.africaintelligence.com/MCE/power-brokers/2011/07/07/qatar-to-buy-tunisia-s- backing-for-ntc,91186011-ART

473 Déclaration du porte-parole du ministère des Affaires étrangères du Qatar, dans Lybie, le Qatar reconnaît le Conseil national de transition, AFP, 28 mars 2011.

474 Les investissements orchestrés depuis la QIA vers le Liban seraient passé de 55 millions de dollars à 93 millions de dollars.

475 Voir, AL-HALABI, Lebanon, Qatar to Announce Joint Committee, Agreements—Qassar, Kuwait News Agency, 28 Avril 2010.

476 Pour chaque catégorie d’État il existe ainsi une grammaire d’action appropriée corrélée aux capacités de puissance. Il apparaît ainsi que la stratégie de médiation soit un moyen prudent et efficace d’assurer la sécurité et le prestige des micro-États sur la scène internationale, voir KLEIBOER Marieke and HART Paul, op. cit..pp. 307-348.

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d’investissement de la QIA deviendra beaucoup plus agressive. Au cours du premier trimestre de la même année, le fond d’investissement engagera près de 9 milliards d’euros dans les économies occidentales477

.

Dans l’industrie, la QIA acquiert 9.1 % du groupe allemand Hochtief ; 13 % du groupe français Lagardère ; 6 % du groupe Vinci ; 5 % de Veolia environnement ; 3 % d’EADS et près de 1 % de Suez478

. Dans la banque et la finance : la QIA se procure 24 % du London Stock Exchange ; 10 % du Helsinki Stock Exchange 479; s’investit à hauteur de 5 milliards dans

le secteur bancaire grec, ayant permis notamment la fusion de deux grandes banques du pays, Alpha et Eurobank480

. Les investissements massifs de la QIA se poursuivent également à la fois dans le domaine de l’immobilier et de l’hôtellerie (hôtel Hyatt Regency Paris Étoile, anciennement Concorde La Fayette qui change de nom après le rachat de la QIA ; l’hôtel Royal Monceau…)481

via deux filiales de la QIA, le Qatar Holding (QH) et le Qatari Diar (QD)482

, orientées spécifiquement vers ce type d’investissements pour le compte du fond souverain.

En parallèle de ces investissements dans les domaines économiques et financiers, la QIA s'illustre également activement dans le secteur sportif483

, avec comme figure de proue les investissements massifs aujourd’hui très connus des amateurs de football auprès du club du PSG ou en tant que sponsors du célèbre club catalan du FC Barcelone.

Enfin, dans le domaine culturel. À partir de 2008, les investissements opérés depuis la QIA s’organisent à la faveur d’un important programme culturel développé par le Diwan Amiri : construction du Musée d’Art Islamique, du Musée Arabe d’Art Contemporain, d’un Musée orientaliste, d’un Musée des Sciences Naturelles, mais également, l’édification du projet phare de la stratégie d’investissement dans le domaine culturel, la réalisation du Musée

477 JAKSON David, Less Noise from Leveraged Wealth Founds, Euromoney, Novembre 2008, p 50, cité dans KAMRAVA Mehran, op. cit.. p 99.

478SROUR-GANDON Perla, op. cit., p 55.

479 Sovereign Wealth Funds, Euromoney, Février 2008, p 30 cité dans KAMRAVA Mehran, op. cit., p 99 480La Grèce signe un accord d’investissements de cinq milliards d’euros avec le Qatar, RFI, 25 septembre 2010, disponible à l’adresse suivante : http://www.rfi.fr/economie/20100925-grece-signe-accord-investissements-cinq- milliards-euros-le-qatar

481 Voir, Le Qatar en passe de devenir le premier investisseur immobilier au monde, Le Monde.fr, 19 juin 2010, disponible à l’adresse : http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/06/19/le-qatar-en-passe-de-devenir-le- premier-investisseur-immobilier-au-monde_1375541_3234.html#Y3Iej1qmEs2X6vaf.99

482 Voir le site officiel à l’adresse suivante : http://www.qataridiar.com/English/Pages/default.aspx

483 Les investissements dans le domaine sportif s’étalent dans plusieurs disciplines : équitation, cyclisme, tennis, handball, sports mécaniques… pour plus d’informations, nous consulterons avec attention, BONIFACE Pascal, VERSCHUUREN Pim, BILLION Didier, ABY Romain, La diplomatie sportive qatarie, Le ‘’sport power’’ : le sport au service de la reconnaissance internationale du Qatar, Diplosport, IRIS/CSFRS, 2012.

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