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RENTIÈRE À LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE

1) É VOLUTION DES STRUCTURES INSTITUTIONNELLES , RÉSILIENCE POLITIQUE ET

AMÉNAGEMENTS DE STRUCTURES D

EXTRACTION GAZIÈRE

La formidable résistance de l’économie rentière du Qatar comparativement aux autres monarchies du Golfe447

en fait un exemple conforme au modèle d’État rentier (Rentier-state)448.

Les gains obtenus grâce à la libéralisation de l’économie qatarie ont été dans un premier temps mis au service d’une stratégie de modernisation des équipements liés à l’extraction des hydrocarbures et plus spécifiquement à l’exploitation des ressources gazières. Les réserves prouvées du petit émirat sont ainsi estimées à 24.5 trillons de m³ en 2014, en quasi-totalité (99 %) renfermée dans la partie Nord du pays —North Field449— tenue en partage avec l’Iran450

. Mais cette situation pose des problématiques relatives à l’exploitation réciproque du gisement. Régulièrement, le régime de Téhéran accuse le micro-État d’exploiter davantage de ressources gazières et d’extraire la part qui reviendrait à la République islamique. D’après les experts, il apparaît toutefois que la structure géologique du gisement soit composée de deux réservoirs distincts, séparés par une barrière imperméable rendant impossible l’extraction gazière par la partie adverse451

. Pour l’Iran, la modernisation des équipements liés à l’exploitation du gaz par le Qatar le rend suspect de sur-extraction. À partir des années 1980, dans le contexte de la baisse de production pétrolière et gazière globale, la stratégie qatarie sera de réinvestir dans les structures d’extraction et d’exploitation du gaz. Pour la majorité des autres pays, la baisse substantielle des revenus issus des énergies fossiles fait apparaître la nécessité de bâtir une

447 La pression économique imputable à la baisse des revenus issus de l’extraction des hydrocarbures a poussé ces États du Golfe a entamé plusieurs réformes politiques visant à compenser la réduction des allocations émanant de la rente. Voir LUCIANI Giacomo, Rente pétrolière, crise fiscale de l’État et démocratisation, dans,

SALAME Ghassan (ed), Démocratie sans démocrates. Politique d’ouverture dans le monde arabe et islamique,

Paris, Fayard, 1994, pp 199-231.

448 Sur ce point, nous pourrons notamment consulter l’ouvrage classique de MADHAVY Hosseyn, The Patterns and Problems of Economic Development in Rentier States : The case of Iran, Studies in the Economic History of

the Middle East, Oxford University Press, 1970. 449 Ou North Dome, South Pars.

450 Voir, BP Statistical Review of World Energy, June 2015.

451 Sur ce point, nous consulterons avec attention, AALI Jafar, RAHIMPOUR-BONAB Hossain, KAMALI Mohammad Reza, Geochemistry and origin of the world's largest gas field from Persian Gulf, Iran, Journal of Petroleum Science and Engineering, Vol 50, Issues 3-4, 16 mars 2006, pp 161-175.

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nouvelle stratégie économique afin de préparer la fin annoncée de l’ère du pétrole et du gaz452

. Au cours des années 2000, près de 50 % des capitaux qataris issus de l’exploitation des hydrocarbures sont réinvestis dans le secteur de l’exploitation du gaz naturel liquéfié (GNL)453

. Entre les années 2000 et 2010, la production de GNL passe de 28 milliards de m³ à 112 milliards de m³, faisant de l’émirat le premier d’exportateur mondiale de GNL à partir de 2007454

.

La modernisation de la production gazière au Qatar se traduit aussi par le développement d’une nouvelle technologie, dérivée du gaz naturel : le Gaz to Liquid (GTL). Réputé moins polluant que le kérosène traditionnel, ce nouveau produit tient une place de choix dans la stratégie des hydrocarbures développée par l’émir. Il a rencontré un accueil favorable auprès de marchés extérieurs si l’on en croit les projets de partenariats avec plusieurs grandes compagnies étrangères455

.

L’ensemble des mesures adoptées par le gouvernement ira considérablement augmenter le PIB par habitant de l’émirat dans une perspective à court terme. Dès lors, la viabilité du système et l’augmentation des ressources sont devenues les piliers principaux de la capacité de résilience des structures politiques et sociales du pays face aux fluctuations économiques. Le processus de libéralisation de l’économie rentière du Qatar ne s’est pas opéré dans le sens d’une extension de la participation politique mais davantage dans celui d’une consolidation du pouvoir politique et économique de la famille régnante. Il appert ainsi que l’approche libérale en termes de modernisation érigeant un lien automatique entre développement économique et un ensemble de valeurs libérales en tête desquelles on retrouve le principe démocratique se révèle peu pertinente en tant que grille de lecture. Des auteurs comme Eva Bellin456

, Donald Losman457

, ou encore Steven Levitsky et Way Lucan458

, avaient déjà constaté que l’autoritarisme n’était pas empêché par le développement économique, celui-

452 Voir LUCIANI Giacomo, op. cit..

453 Le GNL est technique qui consiste à liquéfier le gaz par moins 160° dans le but de pouvoir transporter celui- ci dans des marchés tiers via les routes maritimes. Une fois acheminé, celui-ci est retransformé dans des terminaux de regazéification. Sur cette question voir, SROUR-GANDON Perla, La stratégie économique du Qatar. Politique énergétique et diversification économique, Confluences Méditerranée 2013/1, N° 84, pp 45-57. 454 Voir CIA World fact book, 1 janvier 2012, Ibid.

455 Selon Perla Srour-Gandon, il s’agit de plusieurs collaborations entamées à partir de 2005 avec les géants du secteur tels que Royal Dutch Shell, ExxonMobil ou encore l’entreprise sud-africaine Sasol. Ibid.

456 BELLIN Eva, The Robustness of Authoritarianism in the Middle East: Exceptionalism in Comparative Perspective, Comparative Politics, vol. 36, n° 2, janvier, 2004, pp. 139-157.

457 LOSMAN Donald L., The Rentier State and National Oil Companies: An Economic and Political Perspective, Middle East Journal, volume 64, n° 3, 2010.

458 LEVITSKY Steven et WAY Lucan A., Competitive Authoritarianism: Hybrid Regimes after the Cold War, Cambridge University Press, 2010.

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ci était effet « capable de muer sans changer de substance »459

. Néanmoins, si la stratégie d'extraction de gaz s’est avérée payante sur le court terme et plus particulièrement au cours du règne de l’émir Hamad ben Khalifa Al Thani, les autorités du Qatar apparaissent lucides sur les problématiques à venir. Au cours du printemps 2005, face à ces incertitudes l’émirat décide d’adopter un moratoire visant à restreindre les nouveaux investissements dans le secteur du gaz afin de solliciter d’autres secteurs de l’économie nationale. Initialement établi pour une période de deux ans, le moratoire a été à plusieurs reprises reconduit par le gouvernement qatari et maintenu jusqu’en 2015460

.

À partir des années 1990, l’émirat du Qatar structure son développement économique autour des instruments classiques à disposition des États rentiers. Bien que les autres monarchies du Golfe aient subi les effets des crises pétrolières, le monopole gazier du micro- État a fait office de rempart à la baisse généralisée des revenus liés aux hydrocarbures préservant la capacité de résilience de la monarchie qatarie, c’est-à-dire lui ayant permis d’accroître significativement sa richesse nationale sans recourir à des coupes budgétaires et sans opérer une réduction des allocations issues de la rente. D’autre part, la stratégie d’investissement dans l’exploitation et l’exportation des ressources gazières s’élabore sur le court terme. Un vaste programme de réinvestissement des revenus issus du gaz est mis en œuvre à partir de l’année 2005 en complément du moratoire. Ce programme va s’illustrer notamment par la création de la Qatar Investment Authority (QIA) et l’adoption par le Secrétariat Général du Développement du programme « Qatar National Vision 2030 ». Il s’agit donc ici pour le Qatar d’une stratégie à long terme élaborée en deux temps : 1) accroître significativement ses ressources, 2) diversifier ses investissements.

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UN LEVIER ÉCONOMIQUE AU SERVICE