• Aucun résultat trouvé

La th´ eorie insiders-outsiders

Dans les trois autres versions (sur la base des diff´erents travaux : Stiglitz (1974), Yellen

1.2.2.3.2 La th´ eorie insiders-outsiders

La th´eorie insiders-outsiders [(Lindbeck et Snower, 1988, 1989), (Blanchard et Summers,

1986), (Oswald, 1985), (Gottfries, 1992)] offre une explication de la rigidit´e des salaires `a

travers le conflit entre les diff´erentes couches de l’offre de travail. L’hypoth`ese n´eoclassique qui

consistait `a identifier l’offre de travail comme un ensemble uniforme se d´ecline ici en approche

compartiment´ee du march´e du travail. Plus encore, ce sont les hypoth`eses qui changent : les

offres de travail ne sont pas consid´er´ees comme homog`enes et les impacts des offres ne sont

pas ´egaux (l’atomicit´e est rejet´ee). D’un cˆot´e, il y a les insiders, les travailleurs qui ont d´ej`a

un emploi et, de l’autre cˆot´e, les outsiders qui en cherchent. Les outsiders constituent une

menace pour les insiders dans la mesure o`u leur entr´ee dans l’entreprise peut se traduire par un

partage du pouvoir des premiers

50

. De ce fait, lesinsiders sont prˆets `a n´egocier leurs salaires,

leurs r´egimes de travail et augmenter leur offre de travail pour contrer l’entr´ee des outsiders.

Leur r´eponse `a la menace d´epend du niveau du chˆomage. En d’autres termes, l’impact de

la variation du chˆomage (d´eterminant le volume des outsiders) d´epend de l’´etat initial du

march´e du travail. Quand le chˆomage est faible (p´eriode de croissance et d’embauche), le

pouvoir desinsidersest fort. Ils s’opposeraient aux nouvelles embauches. Si le chˆomage s’´el`eve,

par contre, `a un niveau ´elev´e, ce pouvoir subit une forte d´et´erioration qui s’intensifie avec

toute augmentation suppl´ementaire du volume des outsiders. Il serait, cependant, simpliste

de r´eduire la relation entre les insiders et les outsiders `a un simple jeu de masses.

Le coˆut de rotation aussi intervient. De nouvelles embauches entraˆınent des coˆuts de

transaction li´es `a l’apprentissage qu’il est avantageux pour l’employeur de limiter. Ceci

ex-50. Dans cette perspective, on peut rapprocher lesinsiders des syndicats dans la vision de Dunlop (1944) selon qui, ils d´efendent les int´erˆets de leurs membres (consolidation de leurs filets de s´ecurit´e : indemnit´es de licenciement ou de d´epart volontaire, etc.). A cette position s’oppose celle de Ross (1950) qui voit en eux des organisations avec des strat´egies politiques. Pour Ross, les syndicats ont pour objectif principal l’´elargissement de leur pouvoir par l’agrandissement de leur taille. Cet objectif situe les syndicats dans un monde de concur-rence o`u ils surench´erissent les offres (n´egociations, s´ecurit´e d’emploi, etc.) tandis qu’ils nivellent par le bas leurs conditions d’adh´esion.

1.2. Les grandes mutations du d´ebat th´eorique sur le chˆomage

plique sa pr´ef´erence pour les employ´es de l’entreprise quand une opportunit´e d’emploi se

pr´esente au sein de l’entreprise. Il privil´egie les«internes», qui poss`edent d´ej`a des techniques

requises, l’exp´erience et la connaissance du corps socioculturel de la firme. Ici la th´eorie

insiders-outsiders se greffe `a celle de la segmentation (dans le sens interne versus externe).

L’importance des coˆuts de rotation peut aller jusqu’`a en faire un levier de n´egociation pour

les insiders. Pour ´eviter ces coˆuts, l’employeur peut c´eder `a des demandes de valorisation

salariale de la part de ses employ´es. Cependant, si la productivit´e ne suit pas, l’emploi se

trouve bloqu´e voire diminue car l’embauche est rench´erie. A ce niveau, on constate un retour

au raisonnement n´eoclassique. Toutefois, le d´efaut de march´e ne s’en trouve pas

syst´ematique-ment ´ecart´e car les diff´erences fondasyst´ematique-mentales entre les types d’offre de travail qui expliquent

les diff´erences salariales peuvent demeurer. Ces diff´erences, de qualification particuli`erement,

qui cr´eent ou consolident l’aversion de l’employeur pour les coˆuts de rotation tiennent `a des

imperfections de march´e. On peut mettre en cause l’imparfaite immobilit´e du travail, qui

empˆeche la pr´esence en un lieu donn´e des outsiders ad´equats pour rendre la menace

ext´e-rieure cr´edible et empˆecher l’augmentation du salaire des insiders. On peut, par ailleurs, les

lier aux diff´erences d’acc`es `a la formation ou aux diff´erences de capacit´e de financement de

cette formation. Si l’on consid`ere que les individus ne disposent de dotations initiales

condi-tionnant leur avancement dans les formations, leur financement reposerait sur les employeurs

ou le syst`eme de financement disponible dans l’´economie. Pour le premier, il y a un risque

de perdre l’employ´e au profit de la concurrence apr`es le financement de la formation, d’o`u

une faible incitation `a investir dans son financement. Pour le second, il y a des risques de

non remboursement qui varieraient d’un individu `a un autre. Le financement accord´e par le

syst`eme varierait `a son tour d’une personne `a une autre, menant `a des diff´erences dans les

qualifications. Dans ce processus, de mˆeme que pour l’employeur, l’asym´etrie de

l’informa-tion joue un rˆole important. C’est l’absence ou l’imparfaite information dont les financeurs

disposent qui explique leur r´eticence `a investir dans la formation

51

.

Au final, du fait des imperfections de march´e, le pouvoir des insiders peut transformer

la dynamique de l’emploi au-del`a d’un moment et affecter le chˆomage dans les p´eriodes qui

51. C’est l’asym´etrie d’information qui justifie l’intervention en mati`ere de formation. Voir la sous-section 5.1.2.1

suivent. Dans ce sens, la th´eorie insiders-outsiders se prˆete `a une explication de l’hyst´er`ese

du chˆomage

52

, c’est-`a-dire la persistance de celui-ci malgr´e la disparition des causes qu’on

lui avait identifi´ees.

A ce niveau, la th´eorie insiders-outsiders rejoint les pr´econisations not´ees plus haut. Il

revient `a la politique de l’emploi d’all´eger les coˆuts de rotation, d’un cˆot´e, en r´eduisant

les contraintes l´egales `a l’embauche et au licenciement et, de l’autre cˆot´e, en r´eduisant les

coˆuts de transactions li´es `a la formation pour l’entreprise notamment en offrant un syst`eme

d’´education/formation r´epondant avec pr´ecision aux besoins de l’appareil productif.

Si les prescriptions qui d´ecoulent de ces th´eories peuvent s’orienter dans plusieurs directions

- les politiques de l’emploi reproduisent les mˆemes caract´eristiques -, l’ultime objectif rejoint

l’id´ee fondamentale de la th´eorie n´eoclassique de l’emploi : le salaire comme ´el´ement explicatif

du chˆomage. Certes, le changement de regard sur le march´e, l’acceptation de son caract`ere

d´efectueux, a conduit `a une pr´evalence de l’expression de «coˆut salarial»du fait de la prise

en compte de coˆuts de transaction, mais la place du salaire demeure centrale car, au fond, la

correction des d´efauts de march´e qui sont `a l’origine des ´ecarts des salaires de leurs niveaux

d’´equilibre n’a d’autre but que le r´etablissement de ceux-l`a.

Donc le salaire revient au premier plan de l’analyse. Cette r´esurgence th´eorique du salaire

a de fortes r´epercussions dans les pratiques en mati`ere d’emploi. Celles-ci doivent consister `a

r´eduire l’´ecart entre le coˆut salarial et le salaire (d’´equilibre), que l’origine de cet ´ecart r´eside

dans le d´efaut de march´e (o`u, tout autre facteur exclu `a l’exception des d´efauts de march´es, on

aurait des salaires optimaux) ou qu’elle provienne d’autres facteurs dont les charges fiscales

et sociales.

52. Propos´e par J. Ewing (1972) en physique, Phelps (1994) est le premier `a importer le concept. On parle d’hyst´er`ese (ou hyst´er´esis) quand un ph´enom`ene ne d´epend pas que de ses d´eterminants actuels mais aussi de son ´evolution pass´e. Dans le cas du chˆomage, la recherche des causes va donc au-del`a des d´eterminants connus pour inclure l’´evolution du chˆomage lui-mˆeme. Son niveau peut donc continuer donc `a v´ehiculer l’emprunte de certains ´el´ements explicatifs mˆeme apr`es la disparition de ceux-ci. Selon Blanchard et Summers (1986), il y a hyst´er`ese du chˆomage quand le chˆomage d’une p´eriode courante d´epend de valeurs retard´ees de lui mˆeme avec une somme de coefficients sur les retards qui, sans ˆetre n´ecessairement ´egale `a 1, s’approche du chˆomage

1.2. Les grandes mutations du d´ebat th´eorique sur le chˆomage

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons pr´esent´e le chˆomage sous deux angles. D’un cˆot´e, nous

l’avons approch´e au travers d’un indicateur statistique dont nous avons montr´e les limites

dans le contexte malien. Ces limites d´ecoulent de l’´ecart entre les hypoth`eses fondatrices du

concept et le contexte ´etudi´e. Nous les avons illustr´ees en soumettant l’agent informel aux

trois crit`eres d’´evaluation du chˆomage. Nous avons trouv´e que :

– le crit`ere de non exercice d’une activit´e r´emun´er´ee (salari´ee ou pas) conduit `a

comptabi-liser parmi les actifs occup´es des individus qui occupent des emplois pr´ecaires, irr´eguliers

et souvent p´enibles. Ce d´efaut, qui est inh´erent `a la vision normative de l’emploi sur

la-quelle le concept de chˆomage se repose, est exacerb´e quand l’´economie ´etudi´ee a plus de

80% de ces emplois offerts par l’informel o`u, par ailleurs, les formes d´eviantes d’emplois

sont r´ecurrentes ;

– le crit`ere de disponibilit´e aussi est fragile car il ne permet pas de diff´erencier les individus

enracin´es dans leur activit´e de par des investissements en capitaux physique et humain

des individus qui exercent dans l’informel en attendant un emploi meilleur ou pour

trouver un compl´ement de revenu ;

– le crit`ere de recherche aussi peine `a prendre sens dans le cadre malien. Si sur la base des

enquˆetes, ce crit`ere est trop ´evasif car ne reposant que sur la d´eclaration des sond´es,

sur la base des informations collect´ees, il conduit `a une restriction du chˆomage aux

individus instruits et vivant dans les espaces urbains. Ces individus sont bien plac´es

tant de par leur localisation g´eographique (concentration des offres d’emploi dans les

milieux urbains, surtout la capitale) que de par leur sensibilisation sur les d´emarches de

recherche (enregistrement aupr`es de bureaux de placement, r´eponses `a des annonces,

etc.). Les chiffres du chˆomage, en les mettant en avant, n´egligent aussi les actifs de

l’informel qui ont souvent un niveau d’´education faible et qui n’ont pas n´ecessairement

acc`es aux structures appropri´ees pour les recherches.

Au final, on finit avec un chˆomage qui a du mal `a refl´eter les«r´ealit´es du march´e du travail».

Nous avons montr´e que la place de l’informel dans les statistiques a chang´e avec les

d´ebats th´eoriques. Ce changement qui ´etait observable dans la litt´erature sp´ecifique au secteur

informel ´etait en r´ealit´e tributaire d’un large mouvement, le d´eplacement du cœur du d´ebat

sur le chˆomage vers les explications n´eoclassiques. Ces derni`eres sont revenues au devant de la

sc`ene `a partir des 1970. Elles ont signifi´e la mise en cause des caract´eristiques de l’emploi qui

participaient de sa vision normative, dont principalement le niveau du salaire. Ce faisant, elles

ont contribu´e `a l’´emergence de la vision extensive de l’emploi dont le comptage de l’informel

profite.

Dans la mesure o`u l’informel ne traduit pas l’´ecartement syst´ematique d’un individu de

l’emploi ni sa participation `a sa forme normative, nous choisirons de privil´egier l’emploi et le

march´e du travail pour comprendre le chˆomage, fondamentalement comme la pr´esence d’un

individu dans l’exc´edent d’offre de travail et accessoirement comme l’absence de certaines

caract´eristiques dans l’emploi occup´e. Dans les deux chapitres suivants, il sera donc question

du fonctionnement du march´e du travail malien et des rigidit´es qu’on l’on peut y identifier et

mettre au service d’une explication des insuffisances du march´e `a pourvoir l’offre de travail

en emploi.

Chapitre 2

Caract´erisation du march´e du

Outline

Documents relatifs