de l’emploi ou une moindre rigidit´e et ce, principalement, parce que ces strat´egies s’opposent
aux mesures “lourdes” qui ont caract´eris´e les politiques d’emploi ant´erieures `a la crise. Et
pourtant, malgr´e le rˆole pivot qu’`a jou´e l’emploi public dans le march´e du travail sur les
deux premi`eres d´ecennies d’ind´ependance, la lecture du march´e qui peut se faire `a travers
ses nouvelles tendances requiert la prise en compte de beaucoup de facteurs. D’un cˆot´e,
l’apparente flexibilit´e doit ˆetre relativis´ee `a travers une appr´eciation plus critique de la mise
en œuvre des mesures de flexibilisation. De l’autre, il est n´ecessaire de mettre en relief le
rapport des individus par rapport `a l’emploi public de mˆeme que la dynamique d’emploi que
la crise a soutenue, l’´economie informelle, et qui r´eduit la port´ee des conclusions qui peuvent
ˆetre tir´ees des r´esultats des politiques post-crise.
2.2.2.1 Limites d’une th`ese de flexibilisation du march´e
En examinant de plus pr`es les ph´enom`enes parall`eles aux mesures de gestion de la crise,
l’id´ee de flexibilisation devient tr`es relative.
2.2.2.1.1 L’inertie de l’emploi
En premier lieu, on note que la baisse des effectifs a, en r´ealit´e, cach´e une profonde inertie
dans le volume de l’emploi public. Elle a ´et´e lente par rapport aux objectifs vis´es et a souvent
´et´e contrebalanc´ee par des mouvements dans le sens inverse, notamment dans la fonction
publique. La principale explication r´eside dans la gestion sociale de la crise de l’emploi.
2.2. Phase II : Une gestion lib´erable du march´e du travail
D’un cˆot´e, celle-ci a consist´e `a offrir des compensations aux candidats au d´epart volontaire
et `a les accompagner dans la reconversion. Pour encourager les candidatures au sein de la
fonction publique (l`a, on ne pouvait proc´eder `a des licenciement), le gouvernement malien
proposait 4 millions de FCFA
68pour les cadres A, 2,5 millions pour les cadres B et 1,75
mil-lions pour les cadres C. En plus de cette somme, les volontaires d’une anciennet´e sup´erieure
`a 5 ans mais inf´erieures `a 15 ans recevaient un remboursement total de leurs cotisations de
retraite. Ceux ayant effectu´e plus de 15 ans de service et ´etant `a moins de 5 ans de l’ˆage
de la retraite b´en´eficiaient du maintien de leur droit `a la pension de retraite. En outre, les
candidats b´en´eficiaient du soutien d’un fond de garantie facilitant l’octroi de prˆets bancaires
pour monter des entreprises. Certes beaucoup profiteront de cette occasion pour quitter un
emploi public dont le prestige et l’utilit´e diminuaient
69, mais ces dispositifs entraveront la
baisse des effectifs. Le coˆut de l’op´eration faisait que l’´Etat ne pouvait `a la fois atteindre ses
objectifs en termes d’effectif et r´esorber le d´eficit public comme pr´evus. La mˆeme contrainte
se posait au niveau des entreprises publiques. Les dispositifs juridiques, particuli`erement ceux
relatifs aux conditions de licenciement, ne se prˆetaient pas `a un amoindrissement du coˆut de
l’op´eration. Au final, la lenteur tenait moins `a l’h´esitation de l’´Etat `a se s´eparer d’une partie
de son personnel qu’`a la lourdeur financi`ere du licenciement (r`eglements, syndicats).
De l’autre cˆot´e, l’inertie a ´et´e favoris´ee par le choix des couches cibl´ees pour le
ration-nement. Dans la fonction publique, la pr´ef´erence donn´ee au gel des recrutements et, par
la suite, `a leur contrˆole grˆace au concours, exprimait clairement le choix des autorit´es de
contenir le coˆut social des compressions en ´epargnant le personnel d´esireux de rester. Et les
proc´edures qui en ont d´ecoul´e pr´esentaient des failles ; la r´eduction des effectifs ´etait moins
syst´ematique qu’orient´ee par des audits. En termes de structures, ceci impliquait une in´egale
vuln´erabilit´e face `a la perte d’emploi - les moins qualifi´es et moins bien plac´es ont ´et´e les plus
expos´es - tandis que, en termes de gestion, elles permettaient des agissements frauduleux
68. Chiffres donn´ees par Moisseron (2000). Dans cette p´eriode ant´erieure `a la d´evaluation du franc Cfa, 1 franc fran¸cais ´egalait 50 francs Cfa, soit une parit´e de 1 euros = 327,9785 FCFA.
69. D’apr`es beaucoup de t´emoignages requis lors de mes recherches sur le terrain, sous le r´egime militaire, les salaires des fonctionnaires pouvaient prendre beaucoup de retard, les laissant dans des situations pr´ecaires pendant des mois. Les syndicats ´etaient plus ou moins opprim´es par le pouvoir donc d´epourvu de la libert´e d’expression n´ecessaire aux revendications salariales. Ceci explique le volume des d´eparts volontaires.
dont certains freinaient encore plus le rationnement de l’effectif. Le ph´enom`ene d’employ´es
fictifs ou«fantˆomes
70»en constitue une majeure illustration. La r´ecurrence de ce personnel
particulier, dont les r´emun´erations ´etaient ´evidemment per¸cues par ses«cr´eateurs», a r´eduit
l’effectivit´e de la mesure de r´eduction des effectifs. En v´erit´e, ils ont ´et´e les premi`eres victimes.
2.2.2.1.2 Contournement des mesures salariales
On rel`eve aussi, durant les p´eriodes de gestion de la crise, la mise en place de
contre-mesures, des strat´egies de contournement des dispositifs de baisse du salaire. Ces strat´egies
ont ´et´e favoris´ee par les dispositifs de protection des statuts. Ce sont des comportements de
client´elisme, d’absent´eisme r´eel ou fictif et des ph´enom`enes d’effectifs fictifs. Le
contourne-ment des statuts par l’´Etat s’est accompagn´e d’un contournement de ses nouveaux dispositifs
par les employ´es. C’est `a travers les ph´enom`enes auxiliaires aux variations du salaire que
l’on peut appr´ehender ces ph´enom`enes. D’ordre plus qualitatif, ils affectent le contenu du
travail, la relation du salaire `a l’emploi et, au niveau malien, informe sur les codifications de
comportements sur le march´e du travail.
En faisant un d´etour th´eorique, nous faisons remarquer que, dans le mod`ele du
tire-au-flanc du salaire d’efficience (Shapiro et Stiglitz, 1984), par exemple, le cœur du probl`eme est
situ´e dans l’imparfaite information de l’employeur sur l’assiduit´e du travail de son employ´e,
plus concr`etement dans la d´efaillance du syst`eme de surveillance. L’employ´e, alors tent´e par
le comportement de tire-au-flanc, doit ˆetre dissuad´e par un salaire sup´erieur `a celui du
mar-ch´e. En marge de celui-ci, l’employeur peut aussi mobiliser `a son avantage l’´etat du march´e,
sp´ecialement si celui-ci a un niveau de chˆomage ´elev´e (ou croissant). Au Mali, l’emploi public
a failli des deux cˆot´es. Alors que le statut assurait aux employ´es une protection (voire
immu-nit´e) contre les licenciements, les syst`emes de gestion d´efaillants des ressources humaines ont
´et´e permissifs du d´eveloppement de comportements d´eviants dans diverses variantes. Dans le
contexte de baisse des salaires, ces comportements ont servi `a contourner les contraintes. On
trouve une illustration dans le ph´enom`ene de «promotions artificielles» dans les entreprises
70. Ce ph´enom`ene ne semble pas ˆetre que«malien»: Selon Rosanvallon (1995), 50% des r´eductions d’effectifs effectu´es au Cameroun entre 1981 et 1990 ´etaient compos´es d’emploi fictifs ; seul 10% des r´eductions pr´evues ont eu lieu au B´enin.
2.2. Phase II : Une gestion lib´erable du march´e du travail
publiques. Le blocage des salaires, dans un contexte o`u leur niveau r´eel baissait, d´egradait
l’avantage du maintien de l’emploi public. Cependant, la promotion permettait de contourner
ce blocage car les grilles de salaires associaient les r´emun´erations aux cat´egories
socioprofes-sionnelles et non aux niveaux de productivit´e. On voyait donc des membres du personnel
passer d’une cat´egorie `a une autre
71. De tels passages, pour les «promus» affectaient
au-tant les salaires que les avantages de postes (primes de logement, primes de d´eplacements,
etc.), tandis que pour l’emploi global, ils modifiaient la structure des qualifications au sein
des effectifs. Ces modifications ´etaient autant d´etach´ees des productivit´es qu’elle n’´etait pas
accompagn´ees d’un effort de formation (l’Etat a beaucoup plus soutenu la formation des
licen-ci´es pour faciliter leur reconversion) afin d’ajuster les comp´etences aux exigences des postes.
Les productivit´es n’ont donc pas suivi, mais plus encore, les comportements d´eviants propres
aux insiders qui contournent les menaces externes et les contraintes internes `a l’aide de leur
position strat´egique n’ont pas cess´e. Les ph´enom`enes de missions fictives, de facturations
frauduleuses ou mˆemes d’effectifs fictifs ont persist´e. Or c’est par rapport `a un all`egement du
mode de gestion qu’une r´eduction de l’effectif et des salaires doit ˆetre appr´eci´ee comme signe
d’une flexibilisation du march´e du travail (ou de l’emploi public).
2.2.2.2 L’extension au reste de l’´economie
Ces ph´enom`enes limitent les interpr´etations que nous pourrions faire des mesures de
ges-tion de la crise pour l’´economie malienne actuelle.
2.2.2.2.1 Salaire comme indicateur ambigu (de la flexibilit´e ou de la rigidit´e)
En partant des postulats th´eoriques o`u l’ajustement des salaires et des emplois d´epend
des r`egles internes et des contraintes institutionnelles (Doeringer et Piore, 1971), une baisse
de salaire ne saurait ˆetre interpr´et´ee que dans le sens d’une flexibilit´e du march´e du travail.
On retrouve cette id´ee chez Moisseron (2000) qui affirme que«la baisse significative des
sa-laires r´eels et la compression des effectifs montrent que l’hypoth`ese de rigidit´e des march´es du
travail en Afrique doit ˆetre mise en cause». Et pourtant, dans le cas malien, les conditions
cr´e´ees par les premi`eres strat´egies d’emploi offrent une lecture diff´erente du mouvement des
71. D’apr`es une ´etude de Lesueur et Plane (1994) effectu´ee sur des entreprises en Afrique subsaharienne, il y a une sym´etrie entre l’´evolution de ces deux cat´egories : le personnel d’ex´ecution et les agents de maˆıtrise.