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2.1.1. La théorie des parties prenantes

Face à la pluralité des théories mobilisées dans les recherches sur la RSE (Gond et Mullenbach, 2004 ; Quairel et Auberger, 2005), notre choix a porté dans ce travail sur la théorie des parties prenantes (Freeman, 1984).

Ce choix est motivé d’abord par l’accord de la majorité des travaux sur la pertinence et la capacité de la théorie des parties prenantes à appréhender le concept de la RSE en mettant en exergue la proximité sémantique et originelle de ces deux concepts (Zeribi et Boussoura, 2008). Dans ce sens, Dontenwill (2005) stipule que cette théorie offre «un cadre théorique

pertinent et opératoire » pour les problématiques sociétales et Carroll (1991) soutient qu’il

existe un lien naturel entre l'idée de la RSE et les parties prenantes de l'organisation. En effet, les théoriciens des parties prenantes ne rejettent pas l’hypothèse de Friedman (1962) posant la maximisation du profit comme l’unique objectif. Mais d’autre part, ils ne soutiennent pas l’idée que les managers ont des obligations morales uniquement envers leurs actionnaires (Sen et Cowley, 2013). Dans ce sens, Freeman et al. (2010) évoquent les deux principes suivants : 1/ pour bien agir, les managers doivent faire attention à une large variété de parties prenantes (par exemple, les lobbyistes de l'environnement, la communauté locale, les concurrents), et 2/ les managers ont des obligations envers les parties prenantes, qui vont au-delà des obligations envers les actionnaires.

CHAPITRE 3 : Positionnement de la recherche

135 C’est dans ce cadre que la théorie des parties prenantes sert de base, depuis les travaux fondateurs de Freeman (1984), à tous les auteurs travaillant sur la responsabilité sociétale des entreprises quelle que soit la taille de l’organisation (Quairel et Auberger, 2005) et élaborant des travaux académiques ou institutionnels. En effet, dans sa définition de la RSE en octobre 2011, la Commission Européenne a également intégré le concept de PP et la présente comme l’engagement des entreprises, « en collaboration étroite avec leurs parties prenantes, dans un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale, environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans leurs activités commerciales et leur

stratégie de base» (CE, 2011).

Notre choix pour la théorie des parties prenantes est également motivé par l’adéquation de cette théorie à la problématique de notre recherche s’intéressant à la nature des logiques d’action des dirigeants qui favorisent un engagement RSE global des PME. La RSE étant présentée comme la résultante d’un jeu de pressions multiformes crées par des groupes d’acteurs aux motivations diverses (Lauriol, 2004), la théorie des parties prenantes permettrait de répondre dans une certaine limite à la question : « De qui l’entreprise est responsable ? » (Maignan et al., 1999). Il en découle alors que selon cette perspective, « la responsabilité

envers la société devient la responsabilité envers les parties prenantes » (Quairel et Auberger,

2005, p.113) et un engagement sociétal global est appréhendé comme un engagement important envers les différentes PP de la PME.

2.1.2. L’approche sociologique des logiques d’action

Un courant de recherche récent et mineur mobilise le concept de « logiques d’action » pour explorer et mieux comprendre l’adoption de pratiques responsables par les PME en raison de la nature personnalisée de la gestion dans ce type d’entreprises (Boiral et al., 2009; Ben Boubaker Gherib et Berger-Douce, 2012, Marchesnay, 2009). Ils postulent que les qualités d’un entrepreneuriat responsable et durable seraient influencées par les logiques d’action du dirigeant (Marchesnay, 2009 ; Boiral et al., 2009). Les conclusions de ces travaux ont toutefois principalement été arrêtées sur la base de travaux théoriques ou empiriques exploratoires. L’hypothèse de l’influence de la logique d’action du dirigeant sur l’engagement de la PME dans le DD n’a pas été vérifiée empiriquement par une démarche rigoureuse. S’inscrivant dans ce courant de recherche, nous privilégions dans notre travail une lecture de l’engagement sociétal des PME par les logiques d’action des dirigeants. Nous mobilisons en particulier l’approche francophone de la sociologie des logiques d’action proposée par Amblard et ses collaborateurs (1996, 2005), consistant « à mettre au jour « les raisons d’agir

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» des individus, en prenant en compte la diversité des mobiles et des rationalités à partir des

discours que tiennent les acteurs sur leur propre conduite » (Schieb-Bienfait et al., 2009,

p.6).

Se positionnant dans la lignée des travaux portant sur la sociologie des organisations telle que développée par Crozier (1963) et Friedberg (1977) à travers l’analyse stratégique et par Sainsaulieu (1977) à travers l’analyse identitaire, cette approche fut d’abord formulée par Bernoux (1995) puis, de manière collective, par Amblard, Bernoux, Herreros et Livian (1996). Elle vise à explorer le lien entre l’intention et l’action, de retrouver la « piste sinueuse

des choix opérés par l’acteur et de rendre compte de ce qui les fonde…» (Amblard et al.,

2005, p.198). Dans leurs travaux, ces auteurs ont retenu le modèle interactionniste, où les comportements sont interprétés comme des actions entreprises en vue d’atteindre certains objectifs.

Pour Amblard et ses collaborateurs, l’acteur n’existe pas en soi mais il est construit et défini comme tel par son action et il est historiquement et culturellement constitué. En effet, les logiques d’action s’expriment lors des interactions résultant de la combinaison de l’acteur et de la situation d’action. Dès lors, la compréhension des logiques d’action nécessite l’examen des diverses composantes tant structurelles que dynamiques et stratégiques qui la génèrent (Schieb-Bienfait et al., 2009). Cette sociologie des logiques d’action renvoie donc à un effort d’analyse visant à rendre compte des différents niveaux où s’enracinent les comportements des acteurs (Amblard et al., 2005). Ce type d’analyse va de pair avec les conclusions de notre revue de la littérature sur les déterminants de l’engagement sociétal des PME proposant que les recherches sur ce thème gagneraient à dépasser les analyses centrées sur les dirigeants en les articulant à des facteurs contextuels.

En effet, parmi les intérêts majeurs du concept de logique d’action tel que défini par Amblard et al. (1996), nous retrouvons une posture théorique de dépassement du dualisme acteur/système permettant de conjuguer microanalyse et contextes de l’action (Schieb-Bienfait et al., 2009), et sans privilégier une dimension par rapport à une autre. Cette posture coïncide avec la mise en garde de certains chercheurs contre une surreprésentation des dirigeants de PME au détriment de l’impact d’autres facteurs. En effet, le rôle joué par le dirigeant de la PME dans l’engagement sociétal de son entreprise est crucial (Spence et Lozano, 2000 ; Paradas, 2006 ; Russo et Perrini, 2010 ; Murillo et Lozano, 2006 ; Jenkins, 2006; Sen et Cowley, 2012). Néanmoins, il est nécessaire d’intégrer des facteurs contextuels telles que les pressions provenant de PP comme les clients et l’Etat ou encore l’influence des employés (Jeppesen et al., 2012). D’autres recherches insistent sur l’influence des contextes

CHAPITRE 3 : Positionnement de la recherche

137 historique, institutionnel et économique (Campbell, 2007 ; Matten et Moon, 2008) ou encore sur le rôle des initiatives collectives des PME dans la sensibilisation à la RSE (Hamann, et al., 2015). Ainsi, le concept de logique d’action semble constituer une piste intéressante pour mieux comprendre l’engagement RSE des PME, tout en dépassant les limites relatives à la focalisation sur le dirigeant.

Par ailleurs, initialement utilisée dans le domaine de la sociologie, cette approche est aujourd’hui fortement mobilisée dans des travaux théoriques concernant la compréhension de la réflexion et des décisions stratégiques de l’entrepreneur (Guyot et Vandewattyne, 2004, 2008 ; Ellouze-Karray, 2006 ; Brechet et Schieb-Bienfait, 2009), un champ de recherche proche de celui portant sur la PME. Elle semble constituer un cadre théorique pertinent pour comprendre l’appropriation de démarches responsables par les PME. En effet, outre le lien étroit que présentent des constituants relatifs à l’acteur et à la situation d’action avec résultats de travaux antérieurs portant sur la RSE dans le champ des PME, ce cadre propose une analyse basée sur une logique d’articulation entre ces différentes dimensions.