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3.1. Les types de positionnement épistémologique

3.1.1. La nature de la connaissance

Pour comprendre ce qu’est la nature de la connaissance, il faut s’intéresser à la nature de la réalité que nous cherchons à approcher au moyen de cette connaissance. Face à cette problématique, il apparait que le courant positiviste d’un côté et l’interprétativiste et le constructiviste de l’autre présentent plusieurs points de divergence (Tableau 3.5).

Pour les chercheurs optant pour une posture positiviste, la réalité a une ontologie et dispose d’une essence propre. Cette réalité est donc extérieure au chercheur et il peut tenter de la connaitre En effet, cette posture suppose « une indépendance entre l’objet (la réalité) et le

36 Source : Thiétart et al. (1999, pp. 14-15)

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sujet qui l’observe ou l’expérimente. (..) Cette indépendance de l’objet par rapport au sujet permet aux positivistes de poser le principe d’objectivité selon lequel l’observation de l’objet

extérieur par un sujet ne doit pas modifier la nature de cet objet ». Selon Popper (1991,

p.185), ce principe sous-tend que « la connaissance au sens objectif est une connaissance sans connaisseur ; c’est une connaissance sans sujet connaissant ».

Cette vision se démarque fortement de celle des paradigmes interprétativiste et constructiviste. Selon ces positionnements, la réalité sociale est faite d’interprétations et conçue comme dépendante de contextes historiques (Thiétart et al., 2014). Le chercheur ne peut pas connaitre l’essence de la réalité car il ne dispose pas de moyens pour l’atteindre directement. Les constructivistes radicaux (Glasersfeld, 1988) stipulent que cette réalité n’existe pas. Quant aux interprétativistes ainsi que les constructivistes modérés, ils ne présentent pas de positionnement clair concernant le présupposé d’une réalité en soi. « Ce qui importe pour eux c’est que cette réalité ne sera jamais indépendante de l’esprit, de la

conscience de celui qui l’observe ou l’expérimente (Thiétart et al., 1999, p.19).

Par conséquent, la conception de la construction sociale selon les constructivistes et les interprétativistes, soutient une vision relativiste de la connaissance scientifique et conteste la neutralité de la science ainsi que l’indépendance de l’activité scientifique à l’égard de la société (Thiétart et al., 2014). En effet, « la « réalité » (l’objet) est dépendante de

l’observateur (le sujet) ; et les observateurs « ont leur propre compréhension, leurs propres

convictions, leurs propres orientations conceptuelles » (Miles et Huberman, 2005, p. 22).

A l’opposé de l’hypothèse ontologique des positivistes, le chercheur s’inscrivant dans ces paradigmes rivaux se fonde plutôt sur une hypothèse phénoménologique réfutant la

« connaissance objective de la réalité. » et affirmant que l’ « on ne peut que se la représenter

voire la construire » (Thiétart et al., 1999, p.19).

Tableau 3. 5: Hypothèses sous-jacentes à la nature de la connaissance produite37

Nature de la connaissance produite

Nature de la

réalité Nature du lien sujet/objet Vision du monde social

Positivisme Objectivité Acontextuelle Hypothèse ontologique Indépendance Déterminée

Interprétativisme &

constructivisme

Subjective

Contextuelle Hypothèse phénoménologique Interdépendance Intentionnelle

CHAPITRE 3 : Positionnement de la recherche

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3.1.2. Le design d’une recherche

L’adoption d’une posture épistémologique impacte fortement le design de la recherche ou son schéma global, particulièrement entre les paradigmes rivaux : positivisme d’un côté et interprétativisme et constructivisme de l’autre.

Pour la première posture, l’approche privilégiée est le test d’hypothèses et l’analyse des rapports causes/conséquences courts, selon une logique déductive. Cette logique stipule que

« si les hypothèses formulées initialement (prémisses) sont vraies, alors la conclusion doit

nécessairement être vraie » (Thiétart et al., 1999, p.58). De ce fait, elle favorise la

quantification et les tests probabilistes au moyen d’échantillons représentatifs (Thiétart et al. 2014).

S’agissant des autres paradigmes, le chercheur s’intéresse au pourquoi et au comment. Un chercheur interprétatif cherchera alors à comprendre les motivations en se fondant sur les discours des acteurs / objets de la recherche. Un chercheur s’inscrivant dans le paradigme constructiviste se concentrera plutôt sur « les finalités des actions menées par les acteurs dans l’organisation. Elle introduit donc la complexité systémique dans l’ensemble des interdépendances imbriquées. Il y a de ce fait incompatibilité avec les techniques économétriques qui ne s’appliquent que sur des phénomènes dont l’analyse permet d’isoler

rigoureusement et de manière transparente les interdépendances. » (Maurand-Vallet, 2011,

p.6). En effet, aussi bien pour le paradigme interprétativiste que constructiviste, les approches qualitatives sont fortement préconisées, notamment par le recours à l’analyse des discours des acteurs, et la logique déductive est remise en cause. Les modes de raisonnement inhérents à ces paradigmes sont l’induction et l’abduction.

La logique inductive correspond au « raisonnement par lequel on passe du particulier au général, des faits aux lois, des effets à la cause et des conséquences aux principes. Il n’y a induction, au sens propre du terme, que si sans rien démontrer, en vérifiant une relation sur un certain nombre d’exemples concrets, le chercheur pose que la relations est vraie pour

toutes les observations à venir ». (Thiétartet al., 1999, p.58). Quant à l’abduction ou

l’adduction, elle « consiste à tirer de l’observation des conjonctures qu’il convient ensuite de

tester et de discuter». (Koenig, 1993, p.7, cité par Thiétart et al., 1999)

Au final, un positiviste vise l’explication de la réalité, l’interprétativiste cherchera à comprendre et le constructiviste à construire. Et la représentation que se fait le chercheur de la réalité, objet de sa recherche se traduira au niveau de la démarche méthodologique choisie (Maurand-Vallet, 2011).

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3.2.Positionnement de la recherche

3.2.1. Le positionnement épistémologique

Le champ de la responsabilité sociétale des PME est un champ encore faiblement structuré d’un point de vue théorique et empirique. La revue de la littérature nous a permis de relever les limites des recherches actuelles conduites dans ce champ. Les résultats des travaux portant sur ce thème préconisent de poursuivre et d’améliorer la production de connaissance sur le sujet à travers deux axes. D’une part, une articulation des recherches avec un système théorique plus conséquent lors de la mise en place du cadre conceptuel. D’autre part, la prise en compte du point de vue du dirigeant et des spécificités des contextes dans lesquels il opère. Ces spécificités intègrent l’ensemble des déterminants et des variables internes et externes. L’enjeu est alors de comprendre l’adoption de comportements responsables dans les PME par la production de connaissances qui prennent fortement en compte les perceptions et intentions des dirigeants et le contexte dans lequel leurs actions s’inscrivent. Ces deux objectifs constituent les fondements d’un positionnement interprétativiste.

Le positionnement interprétativiste va également de pair avec notre recours à l’approche sociologique des logiques d’action (Amblard et al., 2005) pour deux raisons principales. En premier lieu, il est à noter que « l’hégémonie positiviste est critiquée dans les sciences

sociales » (Deschenaux et Laflamme, 2007, p. 9).En effet, comme le relèvent Thiétart et al.

(1999, p. 19), « le principe d’objectivité de la connaissance, appliqué en sciences sociales, soulève différents problèmes : l’être humain peut-il être son propre objet ? le sujet peut-il

observer son objet sans modifier la nature de ce dernier ? ». En second lieu, Amblard et ses

collaborateurs (2005) présentent leur approche comme s’inscrivant dans la continuité des travaux de Weber, un des pionniers de la sociologie compréhensive, ancrée elle-même dans le courant interprétativiste.

S’agissant des modes de raisonnement adoptés dans ce travail, nous empruntons d’abord une démarche déductive suivie d’une démarche inductive. A travers la phase déductive, nous entendons étudier la structure du phénomène étudié, la RSE dans les PME moyennant une approche quantitative. Suite à cette première appréhension de l’objet de notre recherche, nous suivons une logique inductive selon une démarche qualitative dans le but de comprendre ce qui favorise l’engagement RSE dans ce type d’organisations.

CHAPITRE 3 : Positionnement de la recherche

155 3.2.2. Le design de la recherche

3.2.2.1.Choix d’une démarche multi-méthodes

Notre problématique de recherche porte sur la nature des logiques d’action des dirigeants qui favorisent un engagement RSE global dans les PME. Plus précisément, nous visons à comprendre les logiques d’action des dirigeants face aux questions sociétales et à identifier les logiques d’action les plus propices à une démarche d’intégration globale de la RSE dans les PME en Tunisie.

S’inscrivant dans une démarche exploratoire à visée compréhensive, les objectifs de notre recherche correspondent au cadre référentiel des recherches qualitatives. En effet, Yin (1994) explique qu'une enquête qualitative constitue la stratégie privilégiée pour tenter de comprendre comment et pourquoi, lorsque le chercheur n'a que peu d'influence sur les événements, et lorsque l'attention est dirigée sur un phénomène contemporain dans un contexte réel.

Par ailleurs, le recours à l’approche sociologique des logiques d’action, un cadre d’analyse permettant de joindre l’analyse de l’acteur et de son contexte pour comprendre l’appropriation d’une approche RSE globale concorde avec les préconisations de Hlady Rispal (2002) concernant les études qualitatives. Selon cette auteur, ce type de recherche se concentre sur l’analyse de phénomènes contextualisés et permet de se focaliser sur les acteurs, leurs perceptions et /ou leurs actions.

En outre, l’auteur précise que face à la complexité, le chercheur se place dans une situation d’immersion pour tenter de la comprendre et de la présenter en détail. Dans ce cadre, les recherches qualitatives présentent « une palette de techniques d’interprétation dont le projet est de décrire, décoder, traduire ou du moins saisir la signification, et non la fréquence, d’un

phénomène d’un monde social survenant d’une façon plus ou moins naturelle » (Maanen,

1983 cité par Hlady Rispal 2002).

Cependant, l’identification de cas de PME tunisiennes selon leur appropriation de pratiques responsables a constitué le premier obstacle rencontré au cours de notre recherche sur le terrain. Nous avons en effet relevé une absence de données statistiques valides et publiques sur la RSE en Tunisie permettant d’identifier des PME selon la nature de leur engagement sociétal. Afin de remédier à cet obstacle, nous avons décidé de mener dans un premier temps une enquête dans une logique déductive dans le but de fournir une cartographie de l’engagement sociétal des PME par l’évaluation de leurs pratiques.

156 Le recours à ce type de protocole de recherches où des données quantitatives viennent

« appuyer la partie qualitative d’une étude pendant la phase de conception » a été préconisé

dans la littérature pour « la constitution d’un échantillon représentatif et en localisant des cas

antipodes (qui diffèrent des autres sur certains traits) » (Miles et Huberman, 2005, p.83).

Miles et Huberman (2005, p.84) recommandent en effet ce plan d’étude multi-méthodes où

« une enquête initiale permet au chercheur d’identifier les phénomènes importants à étudier ;

le chercheur tente de parvenir ensuite à une compréhension au plus près et conceptuellement

forte afin de voir comment le phénomène fonctionne ».

3.2.2.2.L’étude de cas comme stratégie d’accès au réel

La recherche qualitative recouvre une pluralité d’études possibles. Elle peut conduire à des études cliniques, d’action-intervention, phénoménologiques, ethnographiques, de la théorie enracinée et autres (Hlady Rispal, 2002). Pour identifier la piste sinueuse des choix opérés par les dirigeants de PME par rapport au DD et la RSE, et rendre compte de ce qui les fonde (Amblard et al., 2005), nous avons retenu comme stratégie de la recherche l’étude de cas. Cette stratégie de validation empirique examine un phénomène contemporain au sein de son contexte réel lorsque les frontières entre acteur et contexte ne sont pas clairement évidentes et pour lesquelles de multiples sources de données sont utilisées (Yin, 1990).

Notre choix a porté sur cette stratégie de recherche (Yin, 1990 ; Eisenhardt, 1989) parce qu’elle est fortement utilisée en sciences de gestion. Elle présente également l’avantage de mettre l’accent sur la compréhension des dynamiques présentes au sein d’un environnement unique et se justifie par la complexité du problème à étudier, comme c’est le cas pour l’approche sociologique des logiques d’action.

Hlady Rispal (2002, p.62-63) évoque trois objectifs de l’étude de cas, en notant que nombre de recherches nourrissent ces trois objectifs tout en insistant davantage sur l’un ou sur l’autre. 1/la visée compréhensive pour « saisir le sens subjectif et intersubjectif d’une activité

humaine concrète, à partir des perceptions et actions des différents acteurs en présence » ;

2/l’analyse de processus pour décrire et analyser l’évolution d’une variable dans le temps et dans certains cas pour saisir « la façon dont une idée se développe et devient une innovation

ou une action stratégique » ;

3/ la découverte de causalités récursives durant laquelle une description approfondie de la situation de gestion est conduite dans le temps. La qualité de la description repose dans ce cas sur la multiplicité des données observées, sur le décryptage de dimensions ou de variables

CHAPITRE 3 : Positionnement de la recherche

157 pertinentes pour rendre compte du phénomène étudié. Le chercheur peut alors reconnaitre des régularités dans le processus et identifier des séquences ou des phases qui le caractérisent. Il privilégie dans le recueil et l’analyse des données une approche systémique. Il considère un ensemble d’interactions donnant un sens à une action qui s’insère en son sein.

Dans la littérature, nous retrouvons plusieurs types d’études de cas. Cependant, la typologie proposée par Yin (1994, 2003) est celle communément choisie pour présenter les différentes possibilités d’études de cas envisageables. Selon cette typologie, quatre grands types de design existent selon le nombre de cas (unique ou multiples) d’une part et le nombre d’unités d’analyses dans chaque cas (perspective holistique avec une seule unité d’analyse ou enchâssée avec de multiples unités d’analyse), d’autre part.

Concernant le nombre de cas à étudier, un vif débat a eu lieu entre les tenants de l’étude de cas unique et les tenants des études de cas multiples (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1994). Le nombre de cas découle directement des objectifs de la recherche. Le choix d’un cas unique est préconisé s’il présente un caractère extrême ou unique ou n’était pas encore accessible à la communauté scientifique ou s’il permet de tester une théorie pour la confirmer, la réfuter ou la compléter (Yin, 1990). Quant au recours aux cas multiples, il permet de renforcer la portée et la validité de la recherche (Yin, 1994). La comparaison d’études de cas peut servir à décrire un phénomène mais aussi à générer de nouvelles théories. L’idée de base derrière une comparaison de cas est de pousser la recherche au-delà des résultats qu’un cas unique pourrait apporter. Nous augmenterons ainsi l’authenticité des propositions émergentes (Gendre-Aegerter, 2008).

Au vu de l’état des connaissances actuelles sur la responsabilité sociale des PME ainsi que les données sur le contexte empirique de l’étude et les résultats de notre enquête permettant d’identifier plusieurs PME au sein de chaque groupe d’engagement RSE, nous optons pour l’approche par études de cas multiples selon le processus décrit par Eisenhardt (1989). Ce processus se décompose en plusieurs étapes et ne nécessite pas la formulation d’hypothèses de départ. Par contre il requiert une question initiale de recherche avec la possibilité d’établir des construits a priori, une sélection de cas, une élaboration des protocoles et des instruments de récolte et d’analyse des données ainsi qu’une démarche itérative de formulation d’hypothèses ou de propositions qui seront discutées à partir de la littérature existante.

Quant à la détermination de l’unité d’analyse, elle constitue un élément important dans la clarification de l’objet de recherche. En effet, l’identification de l’unité d’analyse induit à définir ce qu’est le cas (Yin, 1994). La définition de l’unité du cas est guidée par la

158 problématique et les questions de recherche selon Yin (2003) : « As a general guide, your tentative definition of the unit of analysis (and therefore of the case) is related to the way you

have defined your initial research questions ». Les limites de l’unité d’une étude de cas

peuvent en effet être extrêmement variables d’une recherche à une autre (Yin, 2003), le cas peut être un individu, un rôle, un petit groupe, une organisation, etc (Miles et Huberman, 2005).

La problématique de notre recherche portant sur la nature des logiques d’action des dirigeants favorisant un engagement RSE global des PME, notre unité d’analyse principale est la logique d’action du dirigeant de PME face à l’adoption de pratiques RSE. Elle renvoie à deux types de sous-unités d’analyse. Sur le plan organisationnel, nous nous intéressons aux PME tunisiennes. Sur le plan individuel, nous nous focaliserons sur le dirigeant, puisque nous nous intéressons aux logiques d’action qui sous-tendent leur adoption de pratiques RSE dans leur entreprise.

Partant de ces différents choix, nous décidons d’étudier dans chaque cas ou PME, d’abord le dirigeant dans le but de saisir les différentes composantes relatives sa logique d’action ; et ensuite les employés dans le but d’apporter une multiplication de modes d’appréhension des pratiques RSE mises en œuvre d’une part, et de la situation d’action du dirigeant d’autre part. Dans notre recherche, nous nous focalisons principalement sur la compréhension des logiques d’action sous-tendant les différents types d’engagement RSE.

Une première étape consisterait à mettre en évidence les différentes phases ayant mené au type d’engagement RSE de la PME. Une fois les pratiques RSE de la PME décrites et leur évolution décryptée, une analyse en profondeur de chacune des phases identifiées est menée pour répondre à la problématique de notre recherche.