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1.2. Principales approches de la RSE

1.2.1. Principales perspectives de la RSE

1.1.Emergence de la notion de RSE

Les origines de la notion de RSE semblent remonter à la fin du dix-neuvième siècle aux Etats-Unis, suite à la prise en compte de la dimension sociale par les hommes d’affaires. L’intégration de cette dimension serait favorisée par la culture religieuse prépondérante aux Etats-Unis, en particulier la culture protestante qui véhicule des valeurs d’éthique et philanthropiques fortes (Pesqueux, 2010).

Dans la littérature académique, on attribue à Howard Bowen (1953) la paternité du concept « moderne » de RSE en management dans son ouvrage intitulé ‘Social Responsibilities of the

Businessman’ (Carroll, 1979, 1999). Durant les années 1960 et 1970, de multiples travaux

s’intéressent au concept et diverses définitions sont proposées pour le cerner (Davis, 1973 ; Caroll, 1979). Toutefois, durant les années 1980, et suite aux critiques et débats suscités par des académiciens libéraux autour de la justification de la RSE, les recherches sur ce thème (Levitt, 1958 ; Friedman, 1970) se réduisent et se muent en des thèmes et théories alternatifs tels que la performance sociale de l’entreprise (PSE), la théorie des parties prenantes et la théorie de l’éthique des affaires (Carroll, 1999).

Ce n’est que vers la fin de la décennie 90 que la RSE est devenue un thème de recherche à part entière (Pesqueux, 2010). Il est à l’origine de l’émergence d’un nouvel espace académique, le courant « Business and Society » (Ben Yedder et Zaddem, 2009) ; un courant qui s’intéresse aux relations entre l’entreprise et son environnement sociétal (Acquier et Gond, 2005).

La RSE est aujourd’hui davantage intégrée au cœur des stratégies des entreprises. Selon Ben Yedder et Zaddem (2009), ceci serait expliqué par, d’une part, une orientation vers une consommation responsable et citoyenne et d’autre part, par l’urgence indiscutable en matière écologique, concrétisée par les récentes catastrophes naturelles et impacts environnementaux de certaines entreprises (Shell, Total), ainsi qu’en matière économique par les faillites touchant de grands groupes américains (Enron, Arthur Andersen).

1.2.Principales approches de la RSE

1.2.1. Principales perspectives de la RSE

La revue de la littérature sur la RSE met souvent en exergue l’existence de deux logiques concurrentes, une logique européenne d’une part, et une états-unienne de l’autre (Combes,

16 2005). En effet, en Europe, il existe une longue tradition de capitalisme social selon laquelle l’entreprise dispose d’obligations envers la société au-delà de la profitabilité des actionnaires (Doh et Guay, 2006) et le développement durable se présente comme le cadre de référence idéologique de la RSE (Ivanaj et Mc Intyre, 2006). Aux États-Unis, par contre, la notion est plus ancienne. Elle s’enracine dans des préceptes religieux et dans le courant moraliste éthique (Combes, 2005). La limitation de l’influence du concept de DD à la seule perspective européenne a toutefois été réfutée par Capron (2003) qui stipule que l’acception américaine de cette notion n’y est pas totalement hermétique (Ben Yedder et Zaddem, 2009). Il précise, cependant, qu’il existe des différences entre les deux approches. L’approche anglo-saxonne viserait plutôt à corriger les effets des activités économiques et à éviter les impacts dommageables à la valeur actionnariale et à la réputation. L’approche européenne présente, quant à elle, plus de sensibilité à l’égard de l’anticipation et la prévention des risques et se caractérise par une culture organisationnelle et un management basés sur la référence à des valeurs.

La comparaison des perspectives européenne et américaine montre également une divergence concernant la cible visée dans chaque perspective. L’approche anglo-saxonne du concept de RSE porte sur les comportements individuels, en l’occurrence ceux des dirigeants de l’entreprise ; ce qui concorde avec l’ouvrage fondateur écrit par H. Bowen (1953) intitulé «

La responsabilité sociale des hommes d’affaires ».

Dans son ouvrage, Bowen (1953) traite de la morale au niveau individuel en se concentrant sur les hommes d’affaires sans évoquer leurs organisations (Carroll, 1999). L’explication de cet intérêt pour les comportements individuels pourrait être justifiée par la dimension culturelle. Dans le contexte états-unien, la logique individuelle est plus prépondérante par rapport au contexte européen et l’éthique des managers ainsi que la volonté des acteurs dominent dans les rapports entre l’entreprise et son environnement. Dès lors, la régulation serait établie sans l’intervention des pouvoirs publics, considérés comme restreignant les libertés individuelles (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2007). Cette logique suppose ainsi une perspective « micro » politique de la RSE, de l’ordre de stratégies édictées par les directions générales (Pesqueux, 2009).

En Europe, par contre, la RSE porte sur les entreprises en tant que collectivités (Combes, 2005) et est beaucoup plus permissive à l’influence de l’État et des autorités publiques (Ben Yedder et Zaddem, 2009). Elle s’inscrit plutôt dans une perspective « macro » politique du développement durable (Pesqueux, 2009) l’imprégnant ainsi d’un aspect plus institutionnalisé.

CHAPITRE 1 : De la RSE dans l’univers des PME

17 Cet aspect est corroboré par la forte mobilisation de la définition de ce concept donnée par le livre vert de l’Union Européenne dans les travaux européens portant sur la RSE.

1.2.2. Principaux fondements théoriques de la recherche sur la RSE

La majorité des approches théoriques visant à définir la RSE et à en cerner les facteurs explicatifs s’enracine dans les théories de la firme et des organisations. Elles prennent appui sur deux paradigmes opposés (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010). Le premier recouvre les théories sociologiques néo-institutionnelles, suggérant que les motivations des organisations s’inscrivent dans une quête de légitimité (Gond et Mullenbach, 2004). Quant au second, il est fondé sur une approche économique de l’organisation et des théories contractuelles de la firme renvoyant aux principes de l’individualisme méthodologique (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010).

1.2.2.1.La théorie néo-institutionnelle

La théorie néo-institutionnelle a été développée par Meyer et Rowan (1977) et DiMaggio et Powell (1983). Il s’agit d’une vision institutionnelle suggérant que les motivations du comportement des organisations vont au-delà de l’optimisation économique vers des justifications et obligations sociales (Zukin et Dimaggio, 1990, cité par Gond et Mullenbach, 2004). En effet, Meyer et Rowan (1977) stipulent que, mises à part les sources habituelles de succès et de survie organisationnelle, les organisations intègrant des éléments rationalisés et sociétalement acceptés dans leurs structures formelles maximisent leur légitimité et augmentent leurs ressources et capacités de survie.

Dans cette optique, intégrer les principes de la RSE, revient pour les entreprises à une réponse aux pressions institutionnelles. La similarité entre les pratiques mises en œuvre dans les entreprises s’explique bien plus souvent par une quête de légitimité que par des contraintes économiques ou d’efficacité (Allouche, 2002). Oliver (1991) précise, dans ce sens, que les organisations peuvent mettre en œuvre des actions responsables sans que cela ait un lien direct avec un revenu positif ; mais plutôt parce qu’il serait impensable de faire autrement. Le souci de légitimité des organisations conduit souvent ces dernières à adopter des pratiques qui sont peu efficientes (King et Lenox, 2000 ; Boiral, 2007). En effet, dans cette perspective néo-institutionnelle, la rationalisation des pratiques responsables résulte moins de besoins internes ou d’un objectif d’efficience que d’un souci de conformité et de légitimité qui rend les organisations plus « isomorphiques » par l’adoption de structures identiques (Oliver, 1991).

18 C’est dans ce cadre que DiMaggio et Powell (1983) proposent trois types de déterminants : l’isomorphisme coercitif, l’isomorphisme mimétique et l’isomorphisme normatif.

L’isomorphisme coercitif provient des influences politiques et du problème de légitimité. Il résulte des pressions formelles et informelles exercées par d’autres organisations, desquelles elles sont dépendantes et des pressions culturelles de la société. De telles pressions peuvent être ressenties comme une force, comme une conviction ou encore comme une invitation pour se joindre à une collusion. Quant à l’isomorphisme mimétique, il stipule que l’incertitude représente une puissante force qui encourage l’imitation. Les organisations tendraient alors à prendre modèle sur les organisations similaires du même champ qu’elles perçoivent comme étant plus légitimes ou ayant plus de succès. L’omniprésence de certains types d’arrangements structurels pourrait être attribuée à l’universalité des processus mimétiques plutôt qu’à l’efficacité des modèles adoptés. Enfin, la troisième source du changement isomorphique organisationnel est normative. Elle provient principalement de la professionnalisation. DiMaggio et Powell (1983) interprètent la professionnalisation comme l’effort collectif des membres d’une profession pour définir les conditions et les méthodes de leur travail pour contrôler « la production des producteurs » et pour établir une base cognitive et une légitimation pour leur autonomie.

1.2.2.2.La théorie de l’agence

Selon la théorie de l’agence (Jensing et Meckling, 1979), l’entreprise est assimilée à un ensemble de contrats se basant sur une relation d’agence. Une telle relation stipule que le principal dispose d’une capacité à contrôler l’agent pour l’amener à servir ses propres intérêts (Lauriol, 2004). Cette perspective présente alors la gestion de l’entreprise comme fondée uniquement sur un objectif de maximisation de la valeur actionnariale ou de marché (Jensen, 1986), occultant ainsi la prise en compte de variables culturelles et individuelles dans le processus de prise de décision (Mathieu et Soparnot, 2007).

Dès lors, la théorie de l’agence constituerait une perspective « simpliste » qui ne permettrait pas d’appréhender l’intégration des principes du DD dans la stratégie et la gestion de l’entreprise (Mathieu et Soparnot, 2007). Ces propos sont toutefois nuancés par Quairel et Auberger (2005) qui expliquent que dans le cas des grandes entreprises, la relation entre actionnaires et dirigeant et le contrôle que peuvent exercer les premiers sur le second, pourraient constituer une pression favorisant l’engagement sociétal, notamment dans le cadre

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19 de fonds d’investissements socialement responsables1. Cependant, les auteurs précisent que dans le cas des entreprises de petites tailles, où le dirigeant est généralement propriétaire, ce type de pressions n’existe pas.

En dépit des critiques formulées à l’encontre de cette théorie pour étudier la RSE (Carroll, 1979 ; Capron et Quairel, 2001 ; Mc Williams et Siegel, 2001 ; Greenwood, 2002), elle proposerait des pistes de compréhension de l’entreprise selon une logique relationelle, puisqu’elle évoque la notion de jeux de pouvoirs entre acteurs (Charreaux, 1998). D’autant plus que la relation principal-agent constituerait une version réduite de la notion de partie prenante. « Considérée de la sorte, l’analyse offre une représentation élargie du modèle de Carroll (1979) sur les parties prenantes contractuelles et renoue, ainsi, avec les

développements sur la RSE ». (Mathieu et Sopranot, 2007, p.10).

1.2.2.3.La théorie de la dépendance envers les ressources

Cette théorie souligne la dépendance de l’entreprise envers des acteurs de son environnement et affirme que la pérennité de l'entreprise dépend de son aptitude à gérer des demandes de groupes différents, en particulier ceux dont l'apport de ressources et le soutien sont déterminants pour sa survie (Pfeffer et Salancik, 1978, cité par Oliver, 1991). Les théoriciens de la dépendance envers les ressources (Pfeffer, 1982 ; Pfeffer et Salancik, 1978) suggèrent que les organisations tentent d’atteindre la stabilité et la légitimité et que cette stabilité organisationnelle n’est achevée qu’à travers l’exercice du pouvoir, le contrôle ou la négociation dans le but de garantir un niveau stable des ressources vitales et de réduire l’incertitude de l’environnement (Oliver, 1991).

Cette situation implique un management qui reconnaisse et identifie les groupes sociaux dont l’organisation dépend, ajuste ses actions à leurs demandes, gère les contre-pouvoirs et tente de les influencer afin de réduire les incertitudes. La théorie de la dépendance à l’égard des ressources inscrit, alors, l’appropriation de pratiques responsables dans le cadre des finalités économiques traditionnelles de l’entreprise (Quairel et Auberger, 2005) et met en évidence la grande variété de comportements actifs que les organisations peuvent adopter pour manipuler les différentes pressions auxquelles elles sont assujetties ainsi que les attentes des apporteurs de ressources (Oliver, 1991 ; Capron et Quairel-Lanoizelée, 2010).

1 L’ISR concerne des opérations d’investissement prenant en considération les différentes « parties prenantes »

20 1.2.2.4.La théorie des parties prenantes (PP)

Si, comme le précise Persais (2004), le concept de partie prenante (PP) apparaît dans la littérature managériale pour la première fois comme un jeu de mots (stakeholder/stockholder) dans une note du Stanford Research Institute (SRI), c’est depuis la publication de l’ouvrage de Freeman (1984) que ce concept s’est répandu imposant la définition d’une PP comme « tout groupe ou tout individu qui peut affecter ou être affecté par la poursuite des buts organisationnels »

Durant les années 80 et 90, plusieurs autres définitions et un nombre important de typologies ont été avancés pour catégoriser les PP en internes et externes pour Caroll et Nasi (1997) ou primaires et secondaires pour Clarkson (1995). Mitchell et al. (1997) présentent un modèle plus développé pour différencier entre les PP en fonction de leur possession de l'un ou plusieurs de ces trois attributs : le pouvoir, la légitimité et l'urgence. A la même période, une littérature émergente en management a pris appui sur le concept de PP pour contester le cadre existant de la RSE (Maignan et al., 1999). Ainsi, Clarckson (1995) et Donaldson et Preston (1995) ont avancé que les entreprises n’ont pas de responsabilités envers la société d’une manière générale mais uniquement envers leurs PP et que l’entreprise est une « Stakeholder corporation », entendue comme un groupement d’intérêts coopératifs et concurrents (Donaldson et Preston, 1995). Depuis, parmi une minorité de cadres théoriques permettant de structurer avec recul une réflexion de fond sur la RSE, la théorie des parties prenantes semble correspondre, aujourd’hui, à l’approche dominante en la matière (Déjean et Gond, 2002). Aujourd’hui, dire que les entreprises ont des parties prenantes est devenu un lieu commun de la littérature du management, académique, comme professionnelle (Donaldson et Preston, 1995). Le schéma de l’entreprise au cœur d’une roue dont les parties prenantes constituent les rayons (selon la métaphore de Freeman, 1984) fait désormais partie intégrante des modèles organisationnels (Dontenwill, 2005).

Selon la perspective des PP de l'entreprise, une entreprise peut durer dans le temps si elle est en mesure de construire et de maintenir des relations durables avec tous les membres de son réseau de relations (Perrini et Tencati, 2006). Ces relations constituent les principaux actifs que doivent gérer les gestionnaires, et elles sont les sources ultimes de la richesse organisationnelle (Post et al., 2002).

Mercier (2001) estime que cette approche constitue une grille d’analyse tout à fait intéressante pour : 1/« proposer une vision alternative de la gouvernance des entreprises » ; 2/« analyser

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les mécanismes de management des parties prenantes introduites de façon croissante dans les organisations : adoption de codes de conduite, création de comités éthiques, publication de

bilans éthiques et sociaux » ; 3/« aborder les problèmes de respect de la personne, d’équité

(interne et externe) et de justice organisationnelle en GRH » et 4/« concrétiser la notion de

développement durable et de respect de l’environnement ».

Dès lors, la théorie des PP semble expliquer que « l’entreprise évolue dans un environnement où coexistent différents acteurs (…) à l’égard desquels elle est tenue d’honorer des

engagements sociétaux » (Boussoura et Zeribi-Ben Slimane, 2008, p.3). Et c’est dans ce sens

qu’elle sert de base, depuis les travaux fondateurs de Freeman (1984), à tous les auteurs travaillant sur la RSE quelle que soit la taille de l’organisation (Quairel et Auberger, 2005). En effet, la RSE a généralement été présentée comme la résultante d’un jeu de pressions multiformes crées par des groupes d’acteurs aux motivations diverses (Lauriol, 2004) ; « la

responsabilité envers la société devient alors la responsabilité envers les parties prenantes »

(Quairel et Auberger, 2005, p.113).

De même, Dontenwill (2005) stipule que cette théorie offre un cadre théorique pertinent et opératoire pour les problématiques sociétales. Premièrement, car elle permet de percevoir l’entreprise comme un lieu de médiation d’intérêts parfois contradictoires. Et deuxièmement, vu qu’elle offre une nouvelle vision de l’entreprise comme un « moyen au service des projets des hommes ».