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Les théories implicites de personnalité (TIP) : les traits sont mentalement structurés par la

Dès les années 1950, la psychologie sociale a été marquée par une volonté croissante de rendre compte de l’activité de jugement social en étudiant l’organisation cognitive du juge (voir Sampson, 1981). L’étude de la formation des impressions n’y a pas fait exception puisqu’il a été rapidement avancé que les résultats de Asch pouvaient s’expliquer par l’existence d’une organisation cognitive des relations qu’entretiennent les traits de personnalité, organisation qui a été qualifiée de « théories implicites de personnalité » (Beauvois, 1982 ; Bruner et Tagiuri, 1954 ; Leyens, 1983 ; Schneider, 1973 ; Wegner et Vallacher, 1977). Plus précisément, les TIP ont été définies comme un ensemble de croyances partagées portant sur « la probabilité des co-occurrences entre les traits qu’il [l’homme de la rue] utilise pour percevoir et décrire autrui ou lui-même » (Beauvois, 1984, p.145). Elles sont dites « implicites » parce que l’homme de la rue qui les fait fonctionner est incapable de les formaliser, ni d’ailleurs d’expliquer que ce sont ces théories qui déterminent ses jugements (Nisbett et Belows, 1977 ; Nisbett et Wilson, 1977). Ainsi, si l’on infère rapidement que quelqu’un de « chaleureux » (ex : parce qu’on a inféré ce trait d’un de ses comportements) est aussi « généreux » et « amical », etc., mais probablement pas « solitaire » ni « antipathique », c’est parce que des liens entre les traits sont déjà organisés en TIP que l’on fait fonctionner à notre insu au moment où l’on juge cette personne, même si on ne la connaît pas. Passini et Norman (1966 ; Peabody et Goldberg, 1989) l’ont montré. En effet, ils ont observé que les descriptions (réalisées à l’aide de traits opérationnalisés dans un inventaire de personnalité) de personnes inconnues des sujets étaient sous-tendus par des matrices de corrélations (entre les traits) tout à fait semblables à celles sous-tendant les descriptions de personnes connues depuis longtemps par les sujets. Cela suggérait que les sujets ont fait fonctionner une même TIP pour juger les personnes, quelle que soit la connaissance qu’ils avaient d’elles.

Le concept de TIP permet donc d’expliquer pourquoi les sujets de Asch sont en mesure de fournir des jugements consensuels à propos d’une cible fictive à partir d’un ensemble minimal de traits. Mais comment expliquer que ces jugements présentent une forte consistance évaluative ? Il faut pour cela examiner de plus près la manière dont les traits et leurs relations sont mentalement structurés.

Selon Beauvois (1982, 1984), les TIP n’impliquent pas seulement des relations de cooccurrences dans le répertoire mental de traits, mais également une structure dimensionnelle qui organise ces relations. Beauvois donne une revue des différentes techniques ayant servi à mettre en évidence ces dimensions16. Elles consistent pour l’essentiel, soit à demander à des participants d’estimer la pertinence d’un ensemble de traits de personnalité pour juger des personnes-cibles (ex : Thomas est « chaleureux » : 1- pas du tout, 2- moyennement, 3- tout à fait ?), soit à leur demander d’estimer la probabilité que deux traits soient co-occurrents chez une même personne (ex : est-ce qu’une personne « chaleureuse » est aussi « généreuse » : 1- pas du tout, 2- moyennement, 3- tout à fait ?). En fonction de la technique employée, les analyses se basent sur la réduction statistique des corrélations (cf. analyse factorielle) ou des distances euclidiennes (cf. échelonnement multidimensionnel) entre les traits. Autrement dit, les relations statistiques entre les traits (supposées traduire des relations psychologiques : les TIP) sont résumées par un nombre restreint de dimensions.

Quelle que soit la technique utilisée, le résultat le plus récurrent est que la dimension la plus massive (celle qui explique le taux le plus élevé de la variance des corrélations / distances) est fortement évaluative puisqu’elle oppose clairement des adjectifs à valence positive à des adjectifs à valence négative (De Boeck, 1978 ; De la Llana, 1972 ; Hanno et Jones, 1972 ; Kim et Rosenberg, 1980 ; Rosenberg, Nelson et Vivekananthan, 1968 ;

16 Beauvois (1984) distingue deux types de techniques. Les premières (dites « techniques descriptives ») consistent à demander aux participants de citer des noms de personnes et de les juger avec des traits. Pour cela, soit, premièrement, ils utilisent librement les traits qui leurs viennent à l’esprit (dans ce cas, on note la fréquence de cooccurrence des traits pour juger une même personne) soit, deuxièmement, on leur fournit une liste standard de traits avec laquelle ils doivent évaluer le degré de pertinence de chaque adjectif pour juger chaque personne (sur des échelles allant d’un pôle « pas du tout pertinent » à un pôle « tout à fait pertinent », voir Kim et Rosenberg, 1980). Les secondes (dites « techniques d’inférence sémantico-conceptuelle) consistent à demander aux participants d’estimer la probabilité que deux traits soient co-occurrents chez une même personne. Pour cela, soit, premièrement, on leur demande de répondre à une série de questions du type « est-ce qu’une personne

chaleureuse est aussi une personne honnête ? » (ils répondent sur des échelles), soit deuxièmement, on leur demande d’estimer la probabilité (sur des échelles) qu’une personne « chaleureuse » soit aussi : « généreuse », « honnête », « fiable », « irresponsable », etc.

Rosenberg et Olshan, 1970 ; Rosenberg et Sedlack, 1972)17. Ainsi, du point de vue de leur organisation cognitive, les cooccurrences entre les traits sont principalement structurées par la valence. Autrement dit, des traits comme « chaleureux » et « généreux » sont mentalement positivement corrélés entre eux, et négativement corrélés à des traits comme « asocial » et « hypocrite », qui sont positivement corrélés entre eux. Labourin et Lecourvoisier (1986) ont obtenu cette dimension évaluative à l’aide d’une procédure analogue à celle de Asch (1946). Les sujets devaient se former une impression sur des portraits de personnes fictives constitués à l’aide de différentes combinaisons de traits. Ils devaient se concentrer sur les traits les plus évaluatifs, c'est-à-dire, ceux qui leur permettaient d’apprécier ou de déprécier. Ils devaient ensuite juger les personnes sur d’autres traits. Les résultats d’un EMD ont fait émerger deux dimensions dont la première était clairement évaluative et interprétée par les auteurs comme étant en rapport avec la sociabilité plus ou moins bonne des individus.

Ces résultats permettent de rendre compte de la consistance évaluative observée dans les jugements personnologiques, qu’ils soient réalisés dans des tâches de formation d’impression sur des cibles fictives (Asch, 1946), visionnées en vidéo (Nisbett et Belows, 1977), ou qu’ils soient réalisés dans des tâches de description personnologique (Thorndike, 1920) ou des tâches d’amorçage (Higgins et al., 1977)18. En effet, les résultats conduisent à avancer que l’organisation cognitive des traits est structurée par leur valence. Ainsi, dès qu’il s’agit de juger la personnalité d’un individu, tout un chacun s’en remettrait à une TIP évaluative et inférerait des traits positifs à partir d’autres traits positifs, et des traits négatifs à partir d’autres traits négatifs (Kim et Rosenberg, 1980), ce que confirment les travaux les plus récents portant sur ce sujet (McCarthy et Skowronski, 2011 ; Orehek et al., 2010).

17 Notons que ce résultat est également est tout à fait consistant avec celui que retrouve les chercheurs en psychologie de la personnalité. En effet, ces derniers étudient la structure des traits à partir d’inventaires de personnalité à l’aide desquels les sujets fournissent des descriptions d’eux-mêmes ou d’un autrui. Ces descriptions ne reposent pas sur des traits mais sur des descriptions comportementales exemplifiant ces traits. Quel que soit le nombre de dimensions dégagées par les analyses factorielles, il apparaît souvent que ces dimensions sont sous-tendues par un facteur évaluatif global opposant les items à valence positive aux items à valence négative (voir Srivastava, Guglielmo et Beer, 2010).

18 Il faut préciser que les effets d’amorçage évaluatif ne sont pas directement expliqués par les auteurs à l’aide du concept de TIP mais par un concept proche : celui du réseau sémantique (Collins et Loftus, 1975). Selon la théorie du réseau, tout concept, et notamment les traits, sont connectés par les liens sémantiques (appelés les nœuds), formant ainsi un réseau. Ainsi, lorsqu’un sujet est exposé à un stimulus ayant une certaine valence (ex : l’adjectif « chaleureux »), il est supposé activer le nœud correspondant dans le réseau, cette activation se propageant et activant aussi les nœuds associés (ex : d’autres traits positifs comme honnête, sociable, etc.). Ainsi, la théorie du réseau fournit une explication purement cognitive de l’organisation de tout concept. Elle n’est en ce sens pas étrangère à la notion de TIP qui porte quant à elle précisément sur l’organisation cognitive des traits.