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4.1 Les différents modèles bi-dimensionnels du jugement social des personnes et des groupes42

4.1.2 Le modèle de Bogdan Wojciszke : moralité vs. compétence

compétence

Le modèle de Wojciszke (1994, 2005) est très consistant avec celui de Peeters. Selon Wojciszke (1994), le jugement que l’on fait d’une personne avec des traits repose sur la manière dont on interprète ses comportements. Cette interprétation repose sur deux dimensions qui sont la « moralité » et la « compétence » (Bazinska et Wojciszke, 1996). La première renvoie au caractère plus ou moins moral des intentions de la cible (ex : aider autrui

vs. tricher à un examen). La seconde renvoie à la capacité plus ou moins bonne de la cible à accomplir ces intentions. L’interprétation que l’on fait d’un comportement peut donc être classifiée selon quatre catégories : 1- les accomplissements moraux (ex : secourir une personne), 2- les échecs moraux (ex : ne pas réussir à secourir une personne), 3- les accomplissements immoraux (ex : tricher sans se faire prendre) et 4- les échecs immoraux (ex : se faire prendre en train de tricher). Wojciszke (1994) a examiné près d’un millier de jugements (cf. rapportés par les sujets) et a observé que les trois quarts étaient interprétables en termes de moralité et de compétence. Une analyse factorielle (Wojciszke, Bazinska et

1 Cette tâche consiste pour les sujets à décider si les stimuli apparaissant sur un écran sont des mots (ex : GENTIL) ou des non-mots (HIVGODJ).

Jaworsky, 1998) réalisée sur des jugements personnologiques _ faits à l’aide de traits sur des échelles _ a révélé que les deux dimensions rendaient compte de 82% de la variance, avec une nette prépondérance de la dimension « moralité » (53%). Cela suggère que les jugements personnologiques portent prioritairement sur cette dimension2.

L’explication de cette prépondérance repose sur la même logique que celle du modèle de Peeters (Wojciszke, 2005). En effet, les sujets étant par défaut en position d’observateur de la cible, leurs jugements portent d’abord sur les traits « moralité » parce qu’ils indiquent ce qui est profitable pour autrui. Selon Wojciszke (1994), on devrait donc s’attendre, corollairement, à ce que lorsque l’on juge ses propres comportements, on privilégie cette fois les traits « compétence » parce qu’ils indiquent ce qui est profitable pour soi. Des résultats valident cette hypothèse (Wojciszke, 1994). En effet, des sujets jugeaient un comportement ambigu (c.à.d. aussi bien interprétable en termes de moralité que de compétence) davantage avec des traits « moralité » lorsqu’ils adoptaient la perspective d’un observateur, alors qu’ils le jugeaient davantage avec des traits « compétence » lorsqu’ils adoptaient la perspective de l’acteur du comportement (cf. Figure 4). Dans un même registre, Wojciszke et Dowhyluk (2003) ont montré que les comportements jugés moraux vs. immoraux suscitaient des émotions (positives vs. négatives) plus extrêmisées que celles suscitées par les comportements jugés compétents vs. incompétents, et ceci d’autant plus que la perspective d’un observateur (vs. d’un acteur) était adoptée par les sujets. Ces résultats sont consistants avec le modèle de Peeters selon lequel les traits PA sont spécifiquement impliqués dans les décisions d’approche

vs. d’évitement.

2 Sur ce point, une vaste littérature (voir Abele et Bruckmüller, 2011 pour une revue) valide la suprématie de la première dimension dans le jugement des personnes. Par exemple, Ybarra, Chan et Park (2001), la mettent en évidence à partir de temps de réponses plus rapides pour des traits de moralité dans une tâche de décision lexicale. DeBruin et VanLange (2000) montrent que les sujets préfèrent disposer en premier de traits de moralité (dans 84% des cas) plutôt que de compétence (16% des cas) pour connaître une personne. Ils sont d’ailleurs inférés plus rapidement d’un comportement que les traits donnant la compétence (Bazinska et Wojciszke, 1996).

Figure 4 : Résultats de Wojciszke (1994, exp.1) : interaction perspective (acteur vs. observateur) X interprétation du comportement (moralité vs. compétence). Le schéma est extrait de Wojciszke (1994, p.226).

Par ailleurs, Wojciszke (1997) a mis en évidence que les traits donnant la « moralité » et la « compétence » étaient globalement similaires aux traits donnant la « PA » et la « PS » (voir aussi Wojciszke, Dowhyluk et Jaworski, 1998), et que l’ensemble de ces traits satisfaisaient les définitions de deux concepts initialement utilisés pour rendre compte de la structure du fonctionnement culturel : respectivement le collectivisme vs. l’individualisme3

(Wojciszke, 1997, exp.1). Pour cela, il a demandé à des participants d’indiquer dans quelle mesure des traits communiquant l’individualisme vs. le collectivisme4 expriment la compétence, la moralité, la PS et PA (cf. Peeters, 1992). Les résultats montrent que les scores de compétence et de PS sont globalement plus élevés pour les traits individualistes (ex : capable, ambitieux, etc.) que les scores de moralité et de PA, alors qu’un pattern symétrique était observé pour les traits collectivistes (ex : honnête, altruiste, etc.). Dans une seconde étude, Wojciszke (1997, exp. 2) a demandé aux participants de classer les traits (individualistes vs. collectivistes) en fonction de l’importance que ces caractéristiques ont

3 L’individualisme est défini comme un mode de pensée caractérisant davantage les sociétés occidentales et consistant à privilégier les intérêts personnels avant ceux du groupe (Hofstede, 1980 ; Triandis, 1995) et à focaliser sur les échanges économiques plutôt que sur les relations (Kim, Triandis, Kagitcibasi, Choi et Yoon, 1994). Le collectivisme est défini comme un mode de pensée caractérisant davantage les sociétés non occidentales et consistant à privilégier les intérêts du groupe et les relations sociales avant ceux de l’individu (Triandis, 1995). Ces deux syndromes sont considérés comme deux dimensions orthogonales permettant de rendre compte du fonctionnement de toute société (voir Green, 2006).

4 Rokeach (1973), s’intéressant aux valeurs humaines universelles, a montré qu’elles pouvaient s’exprimer à l’aide de traits de personnalité et être catégorisées selon les concepts de collectivisme et d’individualisme. Il a pour cela réduit la liste de traits constituée par Allport et Odbert (1936) à trente-six valeurs qu’il a réparties en deux catégories : les valeurs dites « terminales » (des buts idéaux comme le plaisir, l’accomplissement, etc.) et les valeurs dites « instrumentales » (des manières d’être comme l’honnêteté, l’ambition, etc.). Des EMD réalisés sur chacun des deux ensembles de valeurs ont fait émerger deux dimensions interprétables en termes d’individualisme vs. collectivisme (Johnston, 1995 ; Schwartz et Bilsky, 1990). Ce sont ces traits de personnalité « collectivistes » (ex : sociable) vs. « individualistes » (ex : ambitieux) que Wojciszke (1997) a utilisés dans sa recherche.

pour eux-mêmes vs. pour autrui. Les résultats indiquent que les traits individualistes sont cités avant les traits collectivistes lorsque l’on répond « pour soi », et que le pattern symétrique est observé lorsque l’on répond « pour autrui ». Les traits « individualistes vs. collectivistes » fonctionneraient donc, respectivement, comme les traits « PS et PA » et les traits « compétence/moralité ».

Les deux modèles que nous venons d’évoquer (Peeters et Wojciszke) rendent compte de la bi-dimensionnalité des jugements de personnes. Nous allons voir qu’un autre modèle, reposant sur une même bi-dimensionnalité, a été développé pour rendre compte du jugement social au niveau stéréotypique, c'est-à-dire du jugement social des groupes.