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L’impact évaluatif des traits : du positif au positif vs. du négatif au négatif

L’étude de l’impact évaluatif des traits a été initiée il y a bien longtemps par les recherches séminales de Solomon Asch (ex : Asch, 1946). Ces recherches avaient recours à un paradigme expérimental standard dans lequel les sujets devaient se former une impression sur une personne fictive à partir d’une liste minimale de traits de personnalité12. Selon Asch, qui défendait une perspective gestaltiste, l’impression qui se forme sur une personne est nécessairement évaluative et ne peut se résumer à la moyenne de la valence des traits qui composent la liste de départ. Au contraire, il s’attendait à ce que certains traits, qu’il appelait les « traits centraux » (en fait, évaluatifs, comme « chaleureux » ou « froid »), détermineraient à eux seuls la valence de l’impression globale.

11 On utilise ici le concept d’attitude au sens de Fazio (2007), c'est-à-dire : l’association en mémoire plus ou moins forte entre un objet, un concept ou une personne et une valence positive ou négative.

12 Il ne s’agissait donc pas de présenter aux sujets des photos de personnes comme dans les recherches évoquées plus haut. Les études de Asch portaient spécifiquement sur l’effet de la valence linguistique des adjectifs sur l’impression évaluative globale que l’on se forme sur une personne.

Une de ses célèbres recherches (Asch, 1946, exp. 1) le montre bien. Les sujets devaient se former une impression sur une personne-cible qui leur était présentée à partir d’une liste de sept traits dont l’un variait selon deux conditions. Le premier groupe disposait de la liste suivante : « intelligent, compétent, travailleur, chaleureux, déterminé, pratique, prudent ». Le trait central était « chaleureux »13. Pour le second groupe, le trait « chaleureux » était remplacé par son antonyme : « froid ». Les sujets devaient ensuite juger cette personne-cible sur dix-huit couples d’antonymes (ex : généreuse / égoïste, sociable / asociale, honnête / malhonnête, populaire / impopulaire, etc.) en indiquant pour chaque couple quel adjectif convenait le mieux pour caractériser la personne. Comme Asch s’y attendait, les sujets n’ont eu aucune difficulté à réaliser ces jugements, ce qui montre qu’un ensemble minimal de traits suffit pour se former une impression globale de la personne. Mais ses résultats ont surtout montré que la variation « chaleureux / froid » entraînait des jugements radicalement opposés d’un point de vue évaluatif. Pour en donner une idée, dans la condition « chaleureux », 91% des sujets jugeaient la cible « généreuse », 91% « sociable », 90% « heureuse », 94% « facile à vivre », 84% « populaire », 69% « altruiste », etc. Ils jugeaient donc la personne de façon positive. Dans la condition « froid », les pourcentages étaient respectivement : 8%, 38%, 34%, 17%, 28% et 18%, etc. Autrement dit, dans cette seconde condition, les sujets jugeaient cette fois la personne de façon négative. Pourtant, seul un trait sur les sept de la liste de départ variait. Pour Asch, cette différence s’explique par le fait que « chaleureux / froid », contrairement à d’autres traits, sont des caractéristiques centrales dans la formation d’impression. Pour preuve, Asch (1946, exp.3) a montré qu’en faisant varier deux traits non centraux mais toutefois positif / négatif (« poli » vs. « insensible ») dans la même liste de sept traits, les deux groupes fournissaient cette fois des jugements plus homogènes. Par exemple, dans la condition « poli », 56% des sujets jugeaient la personne « généreuse », contre 58% dans la condition « insensible », etc. Ainsi, seuls les traits centraux apporteraient une information évaluative suffisante pour juger la personne sur d’autres traits ayant la même valence.

Selon la perspective gestaltiste de Asch, le fait qu’un trait central soit présent dans la liste de départ conduit les sujets à interpréter la valence des autres traits de cette liste dans le sens de la valence du trait central. Autrement dit, l’ensemble des traits de la liste constituerait une unité évaluative globale à laquelle la personne jugée est assimilée. C’est cette assimilation

13 Le trait « chaleureux » est central, non pas parce qu’il est au centre de la liste, mais parce qu’il est supposé être plus évaluatif que les autres.

qui produit l’effet de halo. Ainsi, un trait central comme « chaleureux » entraîne une impression globale plutôt positive et permet d’inférer d’autres traits positifs comme généreuse, sociable, populaire, etc., alors qu’un trait central comme « froid » entraîne une impression globale plutôt négative et permet d’inférer d’autres traits négatifs comme égoïste, asociale, impopulaire, etc. Bien des recherches ont confirmé cette interprétation (Hamilton et Zanna, 1974 ; Kaplan, 1974 ; Kelley, 1950 ; Mensch et Wishner, 1947 ; Wishner, 1960 ; Wyer, 1974). Par exemple, Nisbett et Wilson (1977) ont montré qu’une même personne (que les sujets voyaient en vidéo) présentée comme chaleureuse vs. froide était jugée conformément à la valence du trait induit. En fait, qu’ils aient à juger son apparence physique, sa personnalité ou ses comportements, les sujets faisaient fonctionner un effet de halo de façon non consciente (ils prétendaient que leurs jugements, tous conformes à la valence du trait central, n’avaient pas été influencés par l’instruction chaleureux vs. froid).

Mais il faut signaler que ces recherches s’inscrivant dans la tradition de Asch ont connu un déclin vers le début des années 1980. Notons que des travaux récents ont été entrepris pour préciser l’effet de centralité des traits (McCarthy et Skowronski, 2011 ; Orehek

et al., 2010)14. Mais dans l’ensemble, les recherches anciennes ont laissé place à d’autres travaux examinant l’impact évaluatif des traits à partir d’une procédure différente, dite « procédure d’amorçage »15 (Bargh, Bond, Lombardi et Tota, 1986 ; Bargh et Pietromonaco, 1982 ; DeCoster et Claypool, 2004 ; Erdley et D’Agostino, 1988 ; Higgins, Rholes et Jones, 1977 ; Ikegami, 1993 ; Lerouge et Smeesters, 2008 ; Moskowitz et Roman, 1992 ; Srull et Wyer, 1979 ; Stangor, 1990 ; voir Higgins, 1996). Les résultats typiques sont consistants avec ceux de Asch : le jugement d’une cible est automatiquement assimilé à la valence du trait préalablement amorcé. Par exemple, dans l’étude princeps (Higgins et al., 1977), les sujets jugeaient une personne ayant produit un comportement risqué (traverser l’Atlantique à la rame) plus sympathique lorsqu’ils avaient préalablement été amorcés avec des traits positifs

14 McCarthy et Skowronski (2011) ont par exemple montré que l’effet chaleureux / froid était d’autant plus marqué lorsque la cible à juger est perçue comme psychologiquement distante (ex : du point de vue géographique : elle étudie dans un autre pays, ou temporel : elle étudiait dans la même université mais dix ans auparavant) vs. proche du juge. Orehek et al. (2010, exp.1) ont quant à eux montré que les traits centraux permettent effectivement d’inférer d’autres traits ayant la même valence mais que ces inférences fonctionnent de façon unidirectionnelle (si « chaleureux » implique systématiquement « sympathique » mais « sympathique » n’implique pas nécessairement « chaleureux »).

15 Cette procédure consiste généralement à exposer les sujets à un (ou plusieurs) traits. Les tâches employées pour amorcer les traits sont variées. Elles vont de la simple lecture du trait (Higgins et al., 1977) à l’exposition subliminale (Bargh et Pietromonaco, 1982), en passant par des procédures plus complexes consistant par exemple à exposer les sujets à un stimulus (ex : une photo, une description comportementale) impliquant l’inférence d’un trait (ex : Moskowitz et Roman, 1992).

(ex : aventureux, confiant, etc.), que lorsqu’ils avaient préalablement été amorcés avec d’autres traits négatifs (ex : imprudent, vaniteux, etc.).

Nous retiendrons que lorsqu’on se forme une impression sur une personne à partir d’un ensemble minimal de traits, les plus évaluatifs d’entre eux (les traits centraux selon Asch) conduisent à inférer d’autres traits dont la valence est congruente. Pour comprendre ce phénomène a lieu, il nous faut maintenant examiner comment les traits sont mentalement structurés en abordant la notion de théories implicites de personnalité.

2.2 Les théories implicites de personnalité (TIP) : les