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La formation des impressions en cognition sociale : le lien trait – comportement et le rôle

1.2 Réalisme psychologique et fonction descriptive des traits de personnalité

1.2.2 La fonction descriptive des traits dans le cadre du jugement social des personnes

1.2.2.2 La formation des impressions en cognition sociale : le lien trait – comportement et le rôle

comportement et le rôle secondaire de l’évaluation

La formation d’impression sur la personnalité est une activité très étudiée en cognition sociale. Les travaux l’étudiant sont sous-tendus par deux idées essentielles. La première est que les traits, en tant que concepts stockés en mémoire, sont associés à des exemplaires prototypiques de comportements, eux-aussi stockés en mémoire. Autrement dit, tout comme en psychologie de la personnalité, les traits de personnalité sont ici essentiellement envisagés et étudiés à partir de l’information descriptive qu’ils apportent. La seconde idée est que l’évaluation que donne un trait est assimilée aux affects exprimés par le juge à l’égard de la cible jugée, ce phénoème affectif étant secondaire dans la mesure où il est supposé découler (être inféré de) l’information descriptive donnée par le trait.

1.2.2.2.1Le lien trait - comportement

Les travaux de Peabody (1967, 1968, 1984) sont sans doute les premiers à avoir formalisé l’idée selon laquelle les traits sont cognitivement organisés par les comportements.

Selon Peabody, tout trait exprimerait deux types d’information : une information évaluative (cf. la valence) et une information descriptive (cf. un comportement). Mais dans la cognition du juge, les traits seraient davantage structurés par l’information descriptive que par l’information évaluative, une prédiction contraire aux résultats en vigueur (Asch, 1946). Pour le montrer, Peabody (1967) a formé des tétrades de traits similaires vs. dissimilaires sur les aspects descriptifs vs. évaluatifs23. En demandant à des sujets d’évaluer la similarité entre des couples de traits appartenant à ces tétrades, Peabody a fait émerger une structure en deux dimensions24 expliquant davantage la variance descriptive que la variance évaluative (voir aussi Saucier, 1994). Ce que ces travaux suggèrent, c’est que l’organisation cognitive des traits est davantage structurée par l’information descriptive que par l’information évaluative apportée par les traits.

Des recherches ultérieures ont développé des arguments similaires. Elles ont rendu compte de l’organisation et du fonctionnement cognitif des traits en s’inspirant du modèle de la catégorisation des objets naturels (Rosch, 1978). Ainsi, les traits fonctionneraient comme des catégories cognitives 1) comportant des exemplaires comportementaux plus ou moins prototypiques (Cantor et Mischel, 1977, 1979 ; Hampson, 1982 ; Schneider et al., 1979) et 2) organisés selon une hiérarchie inclusive semblable a celle qui structure les catégories d’objets (ex : « sincère » inclut « gentil » qui « inclut » serviable, etc. Hampson, 1982).

Nombres de travaux et modèles rendant compte de la formation d’impression ont en grande partie reposé sur cette association cognitive trait / comportement (ex : Srull et Wyer, 1989 ; Fiske et Neuberg, 1990 ; Fiske et Taylor, 1991 ; Idsen et Mischel, 2001 ; John, Hampson et Goldberg, 1991 ; Shoda, Mischel et Wright, 1989). Le célèbre « modèle du continuum » (Fiske et Neuberg, 1990) en est une illustration. Il repose sur l’idée que l’attribution d’un trait à une personne découle d’une catégorisation initiale de ses comportements. Ce processus d’attribution serait médiatisé par des facteurs motivationnels conduisant éventuellement le juge à intégrer d’autres comportements pour confirmer ou ajuster la catégorisation initiale.

23 Par exemple, la tétrade « avare, économe, généreux, dépensier » : « avare » / « économe » sont similaires sur l’aspect descriptif (ils renvoient au même comportement de garder son argent) mais dissimilaires sur le plan évaluatif (avare est négatif, économe est positif). Pour « généreux » / « dépensier », c’est pareil. En revanche, pour « avare » / « dépensier » et pour « économe » / « généreux », c’est l’inverse : ils sont similaires sur le plan évaluatif mais dissimilaires sur le plan descriptif.

24 La première dimension oppose les comportements liés à l’impulsion vs. l’auto-contrôle, la seconde oppose les comportements liés à l’assurance vs. non assurance.

D’autres travaux ont privilégié une approche connexionniste selon laquelle l’organisation cognitive des concepts (et notamment des traits) s’assimile à un réseau d’associations sémantiques (voir Higgins, 1996). L’hypothèse centrale est que l’exposition à un stimulus donné (ex : un comportement) produit une activation du concept sémantique correspondant (ex : le trait), activation qui se propage en activant les concepts (ex : d’autres traits et comportements typiques du trait) auxquels il est associé. Les travaux portant sur l’inférence spontanée des traits à partir des comportements s’inscrivent dans cette approche (voir Ulleman et al., 2008). Ils montrent effectivement qu’une fois les traits activés, les comportements deviennent plus accessibles à l’esprit et, inversement, qu’une fois les comportements activés, les traits deviennent plus accessibles. Il a même été montré que l’activation d’un trait pouvait conduire les sujets à produire eux-mêmes des comportements en accord avec le trait (Bargh, Chen et Burrows, 1996)25.

Ce que suggèrent ces travaux de la cognition sociale, c’est que l’impression que l’on se forme sur une personne repose essentiellement sur la connaissance descriptive qu’apportent les traits : les comportements. Mais qu’en est-il de l’information évaluative que les traits apportent par leur valence ?

1.2.2.2.2Le rôle secondaire de l’évaluation

Si les traits codent cognitivement des informations descriptives, il demeure incontestable, au moins depuis Asch (1946), qu’ils s’organisent aussi par leur valence. Mais quel est la nature et le rôle de la valence des traits dans le jugement ?

Concernant sa nature, il est traditionnellement admis que l’évaluation renvoie à une donnée affective (Srull et Wyer, 1989) qui s’assimile à l’attitude plus ou moins positive du juge envers une cible, objet ou personne (voir Fazio, 2007). Concernant son rôle, sans entrer dans le détail, les chercheurs considèrent que la valence affective est une donnée primaire (Fazio, 2007) que l’on capte automatiquement (Bargh, 1997) et qui permet au juge de discriminer les cibles menaçantes des cibles non menaçantes dans l’environnement social.

25 Les sujets étaient exposés (de façon subliminale) soit à des traits relatifs à l’impolitesse, soit à des traits relatifs à la politesse, soit à aucun trait. Les résultats ont montré qu’en comparaison à la condition contrôle « aucun trait », les sujets étaient plus nombreux et plus rapides à couper la parole à l’expérimentateur dans la condition « impolitesse », et moins nombreux et moins rapides à le faire dans la condition « politesse ». Cela suggère que les traits sont reliés aux comportements, non seulement en tant que concepts sémantiques, mais également en tant que structure cognitive d’action.

Toutefois, de façon assez paradoxale, les chercheurs s’intéressant plus particulièrement à la valeur affective des traits dans le jugement social relèguent leur rôle évaluatif au second plan, l’information descriptive étant celle que le juge doit d’abord saisir afin de déterminer quels sont les affects à diriger envers une cible.

Srull et Wyer (1989) ont proposé un modèle séquentiel du jugement social qui le stipule très clairement. En effet, le premier postulat du modèle concerne l’information descriptive (cf. les comportements) : « Les gens disposant d’information sur les comportements d’une personne et qui doivent se former une impression vont spontanément interpréter ces comportements en termes de concepts-traits qui exemplifient ces comportements » (Srull et Wyer, 1989, p.60)26. Autrement dit, ce que le juge capte en premier dans son jugement, ce sont les propriétés personnologiques de la cible inférées de ses comportements. Le deuxième postulat du modèle concerne l’information évaluative (cf. les affects) : « les gens qui doivent se former une impression […] vont tenter de construire un concept général de la personne en tant qu’appréciable vs. non appréciable. Ce concept, bien que souvent basé sur les traits qui ont été utilisés pour interpréter ses comportements, est avant tout de nature évaluative. »27 (Srull et Wyer, 1989, p.61). Autrement dit, l’évaluation affective donnée par les traits est une conséquence de l’information descriptive.

Ce modèle de référence en cognition sociale illustre parfaitement la conception du réalisme psychologique puisque les traits y sont d’abord conçus à partir de leur fonction descriptive. Il est, en quelque sorte, une application du modèle scientifique des traits de personnalité au fonctionnement cognitif du juge.