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A l’origine, le différentiateur sémantique est un outil qui a été développé dans le cadre des recherches psycholinguistiques de Charles Osgood (Osgood, Suci et Tannenbaum, 1957). Il n’était initialement pas destiné à l’étude des TIP mais à celle de la signification connotative des mots. Mais cet outil permettait de faire émerger la structure factorielle sous-jacente des mots. Il a donc été utilisé par les psychologues sociaux (ex : Kim et Rosenberg, 1980 ; Kuusinen, 1969 ; Tzeng, 1975), et par Osgood lui-même par la suite (Osgood, 1962, 1979), comme un moyen de mettre à jour la structure dimensionnelle des traits. Avant d’aborder ces travaux, on rappelle l’essentiel du modèle d’Osgood et de l’outil qu’il a développé.

3.1.1 Du modèle d’Osgood…

Dans ses travaux initiaux, Osgood ne s’intéressait donc pas aux jugements sociaux mais à l’aspect connotatif de tout concept (ex : pomme, chien, etc.), c'est-à-dire, à leur signification affective / évaluative positive vs. négative. Comme la plupart des linguistes, Osgood distinguait clairement la composante connotative d’un mot de sa composante dénotative. Par exemple, si le mot « fleur » connote un affect positif, il dénote par ailleurs l’objet réel qu’il désigne. Pour Osgood, la signification connotative est structurée par plusieurs dimensions20 qui sont encodés dans l’univers des adjectifs. Pour vérifier cette

20 Pour Osgood et al. (1957), cette signification ne peut être que pluridimensionnelle parce qu’elle a pour origine les différentes modalités de l’évaluation sensorielle. Par exemple, l’évaluation que l’on fait d’un objet est différente selon qu’elle est réalisée par la vue, l’odorat, le toucher, etc. Les mots étant des concepts sémantiques se référant à ces objets, leur signification connotative devrait refléter les modalités évaluatives que

hypothèse, il a élaboré un instrument : le différentiateur sémantique. Cet instrument est constitué d’une grille d’évaluation consistant à positionner un mot sur une série d’échelles de Lickert opposant chacune deux adjectifs antonymes, comme dans l’exemple suivant.

l’on capte avec les organes sensoriels. Par exemple, si la vue permet d’évaluer le dynamisme d’un objet, et l’odorat d’évaluer l’agréabilité, ces modalités devraient se retrouver dans le structure des mots.

Mauvais . . . . X . Bon Laid . . . . . X Beau Sale . . . . . X Propre Faible . . . X . . Fort Léger . . X . . . Lourd Lent . . . . . X Rapide Passif . . . . . X Actif Etc.

En utilisant ainsi un grand nombre d’échelles et en demandant à ses sujets d’évaluer un grand nombre de mots, Osgood a montré à l’aide d’analyses factorielles que trois dimensions résument la variance des évaluations de façon satisfaisante : 1- la « valeur » (ex : bon-mauvais, agréable-désagréable, etc.), 2- la « puissance » (ex : fort-faible, lourd-léger,

etc.) et 3- « l’activité » (ex : actif-inactif, dynamique-mou, etc.), formant ainsi le modèle « VPA ». Cela signifie que n’importe quel mot peut être positionné dans l’espace connotatif VPA et peut donc être différencié d’autres mots. Prenons par exemple les mots « fusée » et « missile ». On imagine sans difficulté que si les deux diffèrent sur la dimension « valeur » (« missile » étant connoté plus négativement que « fusée »), ils diffèrent moins sur les dimensions « puissance » ou « activité ».

Des travaux ultérieurs (voir Osgood, 1962, 1979 ; Tanaka et Osgood, 1965) ont montré que ces trois dimensions structuraient une grande variété de concepts (ex : les valeurs humaines, les entités abstraites, les animaux, les objets physiques1). Notons également que dans le cadre de ces généralisations, Osgood a argué que les deux dernières dimensions (puissance et activité), étant donné leur corrélation positive, pouvaient être résumées en une seule qu’il a appelée le « dynamisme ». La signification connotative de tout concept pouvant ainsi être cartographiée dans un espace bidimensionnel orthogonal formé d’une dimension d’évaluation affective (cf. bon vs. mauvais) et d’une dimension d’évaluation du dynamisme (cf. fort vs. faible). Voyons maintenant comment le différentiateur sémantique a permis d’appréhender la structure des TIP.

3.1.2 … aux deux dimensions des TIP

Le différentiateur sémantique a été très utilisé pour faire émerger la structure dimensionnelle des traits de personnalité, ou autrement dit la structure des TIP (voir Kim et Rosenberg, 1980). Il suffisait pour cela de remplacer les échelles d’anonymes par des couples de traits de personnalité antonymes. Cette technique permettait ainsi de recueillir les jugements réalisés par des sujets à propos, soit de personnes cibles (il s’agissait dans ce cas de jugements personnologiques), soit de traits (il s’agissait dans ce cas de jugements de co-variations linguistiques).

Kuusinen (1969) a ainsi formé cinquante-neuf échelles d’antonymes (ex : patient / impatient, moral / immoral, excité / calme, etc.)2 pour étudier les jugements personnologiques. Les sujets devaient évaluer des personnes (ex : eux-mêmes, un ami, un collègue, Albert Einstein, etc.) en les positionnant sur chaque échelle. L’analyse factorielle a fait émerger une structure proche du modèle VPA expliquant près des trois quarts de la variance (voir aussi Osgood, May et Miron, 1975 ; Tzeng, 1975). La première dimension donnait « l’évaluation » en terme de moralité (ex : moral / immoral, digne de confiance / pas digne de confiance, etc.), la seconde donnait « l’activité » en terme de dynamisme (ex : actif / inactif, agile / maladroit,

etc.), la troisième donnait la « puissance » en terme de dominance (ex : flexible / rigide, individualiste / régulier, etc.). Rosenberg et Olshan (1970) se sont, quant à eux, intéressés aux jugements de co-variations linguistiques. En effet, les sujets devaient évaluer, non pas des personnes, mais des traits, et ceci sur plusieurs échelles d’antonymes typiques du différentiateur sémantique. Ils ont trouvé une structure tridimensionnelle semblable. De même, Mulaik (1964) l’a retrouvée dans l’évaluation des personnes, des groupes, et des traits de personnalité. De tels résultats suggèrent que les dimensions obtenues à l’aide du différentiateur sémantique renvoient bel et bien à la structure d’une TIP couvrant l’ensemble du registre personnologique.

Par ailleurs, Kim et Rosenberg (1980), en examinant les jugements personnologiques ainsi que les covariations, ont montré que les deux dernières dimensions (« puissance » et « activité ») étaient positivement corrélées, et ne formaient qu’une dimension (proche de la dimension « dynamisme » d’Osgood) orthogonale à la première (« évaluation »). Ils ont d’abord demandé à une vingtaine de sujets d’évaluer chacun trente-cinq personnes sur des

échelles du différentiateur sémantique. Les résultats d’une analyse factorielle (cf. AF) montrent que les deux dernières dimensions (« activité » et « puissance ») sont positivement corrélées (R=.51 en moyenne)3 et que les corrélations individuelles (c.à.d. pour chaque sujet examiné séparément) entre ces deux dimensions sont significatives pour la quasi-totalité des sujets (allant de R=.15 jusqu’à R=.88). Ensuite, ils ont demandé à ces mêmes sujets d’évaluer une liste de traits (qu’ils avaient produits librement vs. qu’on leur a fournie) sur les échelles du différentiateur. Les résultats d’une seconde AF montrent des résultats similaires. En effet, les deux premières dimensions expliquent 68% (valeur=43% et puissance=25%) et la troisième (activité) explique seulement 9% pour les réponses libres. De même, pour les réponses structurées, les deux premières expliquent 58% (valeur=34%, puissance=24%) et la troisième seulement 13%. Là encore, les deux dernières dimensions étaient positivement corrélées, et ceci dans les deux conditions (« réponses libres » : R=.54 et toutes autres corrélations entre les trois dimensions <.32 ; « réponses structurées » : R=.33 et toutes autres corrélations proches de 0). Ces résultats montrent, comme ceux d’Osgood et al. (1975), que les deux dernières dimensions ne forment qu’une.

Ainsi, la mise à jour des dimensions structurant les traits à l’aide du différentiateur atteste de l’existence de deux dimensions évaluatives plutôt que trois. Pour Kim et Rosenberg (1980), la première dimension (l’évaluation générale), serait en rapport avec la sociabilité et l’intimité (ex : amical/inamical, honnête/malhonnête, appréciable/inappréciable, etc.) et la seconde (le dynamisme) serait en rapport avec la compétence et le succès (ex : intelligent/inintelligent, mature/immature, efficace/inefficace, etc.).

Nous allons voir maintenant qu’une même structure bidimensionnelle des TIP a été mise en évidence à l’aide d’une autre technique : la technique du tri.

3.2 Les deux dimensions des TIP mises à jour avec la