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La fonction descriptive des traits dans le cadre de la psychologie de la personnalité

1.2 Réalisme psychologique et fonction descriptive des traits de personnalité

1.2.1 La fonction descriptive des traits dans le cadre de la psychologie de la personnalité

psychologie de la personnalité

Théoriquement, le construit « personnalité » renvoie à « un ensemble de facteurs internes plus ou moins stables qui font que les comportements d’un individu sont consistants dans le temps et diffèrent des comportements que d’autres personnes pourraient manifester dans des situations semblables » (Child, 1968, p. 83). Il est défini comme une réalité psychologique consistante sous-tendant les comportements. Les propriétés de cette réalité _ les « traits de personnalité » en tant que construits psychologiques_ renvoient à « des modes stables d’ajustement de l’individu à son environnement » (Allport et Odbert, 1936, p.26). Ce sont des propriétés latentes dont la mesure concrète permettrait idéalement de prédire le comportement (Allport, 1927, 1937). Il a donc fallu émettre une hypothèse pour les opérationnaliser : l’hypothèse lexicale (Allport et Odbert, 1936).

1.2.1.1L’hypothèse lexicale : les adjectifs de personnalité codent les

propriétés psychologiques et les comportements des personnes

L’hypothèse lexicale, toujours défendue (Ashton et Lee, 2005), stipule que les traits sont encodés dans le langage sous forme d’adjectifs désignant la personnalité (ex : gentil, hypocrite, ambitieux, fainéant, etc.). Ces nombreux adjectifs auraient été inventés dans l’unique but de désigner les différences de comportements que l’homme détecte dans son environnement social. Par exemple, si l’adjectif « sociable » existe, c’est parce que l’homme aurait repéré des comportements s’opposant dans un même registre de sociabilité (ex : certaines personnes vont souvent vers les autres, d’autres sont souvent repliées sur elles-mêmes, etc.). Goldberg (1981, p.141-142) résumait bien cette idée : « Les différences interindividuelles les plus significatives dans les relations quotidiennes entre les personnes sont encodées dans le langage. Plus ces différences sont importantes, plus les gens les

remarquent et les parlent, les conduisant éventuellement à inventer un mot pour les désigner »8.

L’hypothèse lexicale confère donc une fonction purement descriptive aux adjectifs de personnalité. En quelque sorte, l’univers des adjectifs constitue pour le scientifique de la personnalité ce que le tableau périodique des éléments constitue pour le chimiste, à savoir : l’univers fini des propriétés de son objet d’étude. Pour le personnologiste, ces propriétés codent des différences de comportements d’un individu à l’autre, différences imputables à des différences réelles de structure psychologique (Buss et Craik, 1983 ; Cattell et Scheier, 1961 ; Epstein, 1983, 2010 ; McCrae et Costa, 1995). Autrement dit, il suffit d’obtenir une mesure fidèle et valide du degré auquel un individu possède un trait pour le décrire avec exactitude et prédire ses comportements futurs9. C’est dans cet objectif qu’ont été élaborés les nombreux inventaires de personnalité (ex : Costa et McCrae, 1992 ; Harrisson et Gough, 1994). Ces instruments rassemblent un ensemble de descriptions comportementales (ex : je vais vers les autres) exemplifiant chacune un trait (ex : sociable), à l’aide desquelles les sujets doivent se décrire en indiquant leur degré d’accord ou la fréquence à laquelle ils manifestent chacune d’elles.

Le but de ces inventaires est d’obtenir une mesure valide des traits d’un individu donné, autrement dit, des scores d’exactitude réaliste (Funder, 1991). Mais la valence des adjectifs, dont l’impact sur les descriptions psychologiques est depuis Thorndike (1920) bien établi, est un facteur qui complique la tâche des chercheurs.

1.2.1.2La valence des traits dans le cadre de la psychologie de la

personnalité

Comme nous l’avons mentionné dans le premier chapitre, l’analyse des descriptions psychologiques a révélé un phénomène robuste : l’effet de halo (cf. Simms, Yufik, Thomas et Simms, 2008 ; Thorndike, 1920). Si pour les psychologues sociaux (ex : Rosenberg et

8 Ma traduction de : “Those individual differences that are of most significance in the daily transactions of persons with each other will eventually become encoded into their language. The more important is such a difference, the more people will notice it and wish to talk of it, with the result that eventually they will invent a word for it” (Goldberg, 1981, p.141-142).

9 Ce, parce que les théoriciens considèrent que, tout comme les gènes engendrent des phénotypes particuliers, les traits, en tant que caractéristiques latentes de personnalité, engendrent des comportements particuliers. Dans ce registre, Buss et Craik (1983) ont élaboré une approche dite « fréquentielle des traits ». Selon cette approche, un trait est une catégorie de comportements (ex : le trait « agressif » est un ensemble de comportements potentiels comme « frapper autrui », « insulter autrui », etc.). Ainsi, un individu peut être décrit en termes de fréquences auxquelles il manifeste des comportements exemplifiant tel trait.

Sedlack, 1972), cet effet prouve l’existence de TIP, pour les théoriciens de la personnalité, il constitue un biais systématique que les sujets font fonctionner à leur insu et qui réduit l’exactitude des scores obtenus dans les inventaires de personnalité (Anusik et al., 2009 ; Campbell et Fiske, 1959).

Mais l’analyse des descriptions psychologiques a révélé l’existence d’un autre phénomène lié à la valence des traits et lui aussi considéré comme un biais. Traditionnellement, il est appelé biais de « désirabilité » parce qu’il renvoie à la tendance des sujets à donner à travers leur réponses une bonne image d’eux-mêmes (Paulhus, 1984 ; Paulhus et Reid, 1991 ; Pauls et Stemmler, 2003 ; Sullivan et Scandell, 2003). Sans entrer dans le détail, ce biais aurait deux composantes : l’une, dite auto-duperie, renvoie à l’attitude ou l’estime de soi positive que le sujet exprime de lui-même de façon non consciente dans ses réponses. Elle s’assimile en partie à l’effet de halo puisqu’elle se manifeste par la maximisation non conscientes des scores aux items positifs et / ou la minimisation des scores aux items négatifs (Paulhus et Reid, 1991). L’autre composante, dite hétéro-duperie, renvoie à l’auto-valorisation consciente que le sujet fait de lui-même en fonction de la demande situationnelle, comme par exemple, la demande d’une situation de recrutement. Dans ce cas, l’inexactitude des scores est due à la falsification volontaire des réponses par le sujet (Paulhus et Reid, 1991). Nombre de recherches (ex : Furnham, 1990 ; Furnham et Hendersen, 1982 ; Paulhus, Bruce et Trapnell, 1995 ; Scandell et Wlazelek, 1996 ; voir Zickar et Gibby, 2006 pour une revue) indiquent en effet que les sujets recevant une consigne d’auto-valorisation « se faire bien voir » utilisent davantage les traits positifs et moins les traits négatifs que ceux recevant une consigne d’auto-dévalorisation « se faire mal voir », en comparaison à ceux recevant un consigne standard « être le plus honnête possible ». Si les sujets sont ainsi capables de falsifier leurs profils sous l’effet de consignes expérimentales, alors sans doute le font-ils également lorsque, d’eux-mêmes, ils cherchent à se valoriser aux yeux du chercheur. Dès lors, les scores obtenus contiennent une part d’erreur.

Tel est le raisonnement qu’adoptent les théoriciens de la personnalité à propos de la valence des traits, théoriciens qui, depuis longtemps (Ruch, 1942), développent des échelles visant à mesurer et à neutraliser statistiquement l’effet d’hétéro-duperie (Costa et McCrae, 1983 ; Ones, Viswesvaran et Reis, 1996 ; Piedmont, McCrae, Riemann et Angleitner, 2000). Concernant l’auto-duperie, il est généralement admis qu’elle renvoie en partie à une caractéristique stable de la personnalité qui fait que les sujets développent une image positive d’eux-mêmes (Paulhus et John, 1998).

1.2.1.3Conclusion sur la fonction descriptive des traits en psychologie de la personnalité

L’hypothèse lexicale stipule que les différences réelles de comportement sont encodées dans le langage courant sous forme d’adjectifs (Allport et Odbert, 1936 ; Ashton et Lee, 2005). Il est admis que ces adjectifs « fournissent des explications du comportement humain à la fois conceptuellement légitimes et empiriquement utiles »10 (McCrae et Costa, 1995, p.232).

« Conceptuellement légitimes », parce que ces traits sont supposés désigner les propriétés d’une réalité psychologique latente : la personnalité. A titre d’exemple, notons que les travaux découlant de l’hypothèse lexicale tentent de montrer que les traits ont des substrats biologiques dans le génome humain11 (DeYoung, 2010 ; McCrae et al., 2010). Autrement dit, les traits de personnalité seraient en partie héritables (Bouchard et Loehlin, 2001 ; Krueger, South, Johnson et Iacono, 2008), et leur transmission génétique répondrait aux mécanismes basiques de la sélection naturelle12 (Penke, Denissen et Miller, 2007).

« Empiriquement utiles », parce qu’ils sont supposés permettre la prédiction des comportements futurs des personnes. La conséquence de ce présupposé est que les théoriciens de la personnalité opérationnalisent essentiellement les traits par l’information descriptive qu’ils apportent sur les comportements. Les inventaires de personnalité, dans lesquels chaque trait est opérationnalisé par une description comportementale, en sont l’illustration par excellence. En effet, la valence des traits qui apporte une information évaluative est considérée comme un biais qu’il faut neutraliser pour obtenir une mesure valide du degré auquel un individu possède réellement tel trait.

10 Ma traduction de : « personality traits provide both conceptually legitimate and empirically usefull explanations for human behavior and experience » (Costa et Costa, 1995, p.232).

11 Pour montrer cela, deux types de méthodologies sont employées. La première est indirecte parce qu’elle se base sur la comparaison entre les descriptions que des jumeaux monozygotes (ayant 100% de gènes en communs) vs. dizygotes (ayant 50% de gènes en commun) font d’eux-mêmes dans des inventaires de personnalité. Ainsi, la plus value de variance commune que les premiers affichent sur certains traits est interprétée comme la part de l’effet génétique sur l’expression phénotypique des traits (Bouchard et Loehlin, 2001). Le résultat le plus typique est que 50% de la variance des traits correspond à l’effet génétique, et 50% à l’effet environnemental (voir Krueger et al., 2008 pour une revue). La seconde, plus récente, consiste à calculer des corrélations entre des mesures de traits et des mesures génotypiques (McCrae, Scally, Terracciano, Abecasis et Costa, 2010).

12 Par exemple, Nettle (2006, cité dans Krueger et al., 2008) a argué que le trait « extraversion » avait un impact sur les chances de reproduction des individus dans la mesure où ce trait entraîne le développement de liens sociaux et maximise ainsi la probabilité de rencontrer des partenaires romantiques potentiels.

Telle est la définition que les scientifiques de la personnalité confèrent aux traits : ils désignent des propriétés réelles et ne codent que la description des comportements. Nous allons maintenant examiner les travaux de la psychologie du jugement social qui adoptent la conception du réalisme psychologique.